Saint-Domingue
Le négoce nantais établit assez vite des liens avec les Antilles. Ils datent de 1629 avec Saint-Christophe, soit à peine quatre ans après qu’elle est devenue française. Des relations avec la Guadeloupe et la Martinique s’établissent vers 1646, une dizaine d’années après leur occupation. Le même décalage s’effectue entre l’installation du premier gouverneur français dans la partie ouest de Saint-Domingue (1655) et l’affirmation de liens commerciaux avec Nantes. Ces débuts demeurent cependant encore mal renseignés. Et l’on connaît encore insuffisamment la nature du rôle effectivement joué par les Nantais dans la « mise en valeur » initiale de l’île et le trafic des engagés.
L’essor de la « perle des Antilles » est spectaculaire. À la veille de la Révolution, sa part dans la valeur des exportations coloniales vers la France est de 116 millions de livres sur un total de 205. Les Nantais y jouent un rôle important, moins sans doute en matière de commerce en droiture (domaine où Bordeaux est en tête) que pour la traite. Jusqu’en 1721, lors de la phase de démarrage du commerce négrier nantais, les pratiques sont encore un peu exploratoires du côté américain, et la Martinique fait jeu égal avec Saint-Domingue. Mais cette dernière devient ensuite la destination principale des négriers nantais. À la fin du siècle, 85% des expéditions y aboutissent, notamment au Cap-Français et à Port-au-Prince (8% allant à la Guadeloupe et 3,2% à Cuba, alors espagnole). Une large part des retours coloniaux et notamment sucriers, s’effectue aussi à partir de Saint-Domingue.
Les mémoires de l’armateur Joseph Mosneron-Dupin (1748-1833) rappellent que le capitalisme commercial est alors encore largement relationnel et que les liens familiaux, même larges, y sont essentiels. À Saint-Domingue, les capitaines nantais cherchent ainsi à loger chez des familles alliées. Et c’est en usant de toutes leurs relations qu’ils y battent les routes afin d’essayer de se faire rembourser ce que les colons doivent. Ce texte permet aussi de mesurer l’ambiguïté des relations entre Nantais et « Américains », à la fois associés et concurrents, proches (par les liens familiaux et les séjours de colons en métropole, où l’on envoie facilement étudier les enfants) et conscients de différences parfois montées en épingle, surtout lorsque les affaires tournent mal. Alors, pour tenter d’assurer le retour de leurs créances, certains Nantais décident d’investir sur place, dans des plantations dont l’exploitation est généralement laissée à des gérants ; sorte d’intégration verticale qui n’est pas aussi efficace que souhaitée (les négociants investisseurs apprenant alors à subir les aléas du système de la plantation) et dont l’analyse précise pourrait être faite grâce à l’état liquidatif constitué, sous la Restauration, par les familles demandant à être remboursées de leurs pertes.
Avec la Révolution, les menaces pesant sur la traite et le commerce colonial, Saint-Domingue devient, dès 1790, la préoccupation essentielle du négoce nantais. Assemblées, pétitions, adresses à l’Assemblée nationale, visent à défendre les liens commerciaux avec l’île. Pour une fois réunis en une sorte d’« union sacrée », colons et négociants de métropole s’opposent à l’octroi de droits égaux aux citoyens libres de couleur. Déclenchée en août 1791, la révolte des esclaves suscite des projets de reconquête de l’île. L’année suivante, les pertes des maisons nantaises sont estimées à 93 millions de livres, créances et biens-fonds confondus ; chiffre sans doute exagéré (la dette active de Nantes sur l’île serait de 30 millions, en 1790), mais significatif de l’ampleur des pertes et du traumatisme ressenti par un négoce nantais se mettant désormais à idéaliser les « temps anciens » de prospérité. Nul empressement, cependant, côté nantais, à soutenir financièrement les réfugiés de Saint-Domingue débarquant dans la cité ligérienne à l’époque révolutionnaire. Et, lorsque la traite nantaise renaît, sous la Restauration, c’est désormais sans Saint-Domingue, beaucoup de négriers se dirigeant vers les îles espagnoles, notamment Cuba, où le système de la plantation est en plein essor. Nantes ne s’individualise d’ailleurs pas vraiment à cette époque, car c’est l’ensemble du négoce français qui manque alors la possibilité de renouer des relations commerciales avec l’île devenue indépendante sous le nom d’Haïti.
Olivier Grenouilleau
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)
En savoir plus
Bonnet-Guilbaud Natacha, « La politique d'achat servile à Saint-Domingue au 18e siècle : le cas des plantations nantaises », Revue du philanthrope : histoire et mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions en Normandie, n°6-2015 "Financer et armer pour la traite au Havre et à Nantes au 18e siècle. Maîtres accusés et accusateurs", 2016
Ducoin Jacques, « Du temps des engagés au temps des esclaves : Bertrand d'Orgeron (1613-1676) et la colonisation de Saint-Domingue », Cahiers des Anneaux de la Mémoire, n°16, "La Loire et le commerce atlantique, 17e-19e siècle", 2015, p. 44-59
Foubert Bernard, « Correspondance de Saint-Domingue », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, n°147, 2012, p. 277-330
Héry Edmond, « Une famille nantaise à Saint-Domingue », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, n°122, 1987, p. 139-166
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