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Résistants


Hormis le Mémorial des Cinquante otages, aucun monument commémoratif nantais ne porte de liste nominative des résistants morts pour leur engagement. Cette absence tient aux luttes mémorielles engagées pour l’héritage symbolique de l’armée des ombres, et à la difficulté à connaître tous les vrais acteurs d’un combat clandestin.

Le poids de la mémoire

La compétition mémorielle s’impose lors des élections municipales de mai 1945, chaque parti revendiquant sa participation à la Résistance. Le Parti communiste tente d’imposer l’idée de son engagement pionnier dès la guerre d’Espagne. De 1945 à 1949, 16 des 27 rues dénommées portent des patronymes de résistants, de sensibilités politiques différentes, six plaques commémoratives sont apposées sur les murs de la ville. En 1947, 33 associations d’anciens résistants, déportés, victimes de guerre sont déjà créées. Cette multiplication des porteurs de mémoire et la force des enjeux rendent impossible, au lendemain de la guerre, l’inventaire des résistants. De 1946 à 1951, une commission tente d’établir une liste des « Martyrs de la Résistance » ; elle propose 450 noms en 1947, puis 245 et 396. Faute d’accord, la mairie renonce au principe de cette liste qui devait figurer sur une stèle sur le boulevard des Martyrs nantais de la Résistance. Le contexte politique des années 1950 incite à occulter la collaboration et Vichy, et à valoriser une résistance conçue de façon très large et englobante, réduisant le rôle du Parti communiste qui défend son image de « parti des fusillés ». La mémoire de la Résistance à Nantes se cristallise alors sur les Cinquante otages, ce qui rend plus difficile la prise en compte d’autres événements et d’autres acteurs. En 2001, la reconnaissance de l’exécution de Hotz par Gilbert Brustlein comme acte de résistance ouvre un temps nouveau que confirment les commémorations des procès des Quarante-Deux et des Seize en 1943, ou encore la mise au jour de la participation de républicains espagnols aux combats contre l’occupant.

Bekanntmachung – Arrêt de la Cour Martiale

Bekanntmachung – Arrêt de la Cour Martiale

Date du document : 01-09-1941

Les limites de l’histoire

La prégnance des enjeux de mémoire de la Résistance rend nécessaire, mais difficile, l’écriture de son histoire. Mouvement essentiellement clandestin pour la Résistance intérieure, il a surtout laissé des traces dans les archives des instances de répression française et allemande. Les demandes de reconnaissance a posteriori, comme la carte de combattant volontaire de la Résistance, sont d’interprétation délicate. Aux questions centrales sur le nombre et l’origine des résistants, l’historien ne peut donc prétendre apporter de réponses sûres et définitives. Le recensement des résistants de la Loire-Inférieure, tués ou morts en déportation, effectué par Xavier Trochu et Jean-Pierre Sauvage, fournit une base pour tenter le portrait de groupe des combattants de la liberté.

De 1940 à 1945, 498 Nantais, au sens le plus large, c’est-à-dire nés, domiciliés ou ayant agi à Nantes, ont payé de leur vie leur engagement. Vingt-huit de ces victimes sont des femmes ; leur part est sans doute minorée par l’utilisation d’une source qui prend en compte toutes les victimes d’actions militaires dans lesquelles elles étaient moins représentées. L’âge moyen de ces 498 Nantais est de 32 ans, mais toutes les classes d’âge sont concernées. Le plus jeune résistant, exécuté au Grand Blottereau le 22 mars 1944, est Jean-Louis Drouet, un apprenti peintre de 15 ans. Francis Guibert, élève du lycée Livet n’a que 16 ans quand il meurt dans le camp de déportation de Sandbostel ; membre du groupe des étudiants du Front national, il a été arrêté le 24 juillet 1944 pour « attaque à main armée ». Emily Wrendrey a 84 ans quand elle meurt le 28 janvier 1941 dans les locaux de la Kommandantur de Nantes après un interrogatoire de sept jours ; elle était membre du réseau d’Estienne d’Orves.

La diversité démographique accompagne une diversité professionnelle et sociale. Les professions connues de 326 des 498 résistants disparus couvrent l’éventail de toutes les activités mais révèlent la prééminence des ouvriers qui représentent plus de 39 % de l’effectif, alors qu’ils ne constituaient que 18 % des 195 000 Nantais de 1938. L’archétype du résistant pourrait être alors Louis Bâle, cet ouvrier ajusteur, communiste, fusillé à l’âge de 33 ans au Bêle le 25 août 1943. Il appartient à ce que l’historien Gérard Noiriel appelle « la génération singulière » de la classe ouvrière française dont le « cycle héroïque » s’ouvre avec le Front populaire et se prolonge avec la Résistance. Le recrutement populaire est confirmé par la place tenue par les employés qui constituent 21 % des victimes nantaises, parmi eux 19 employés des chemins de fer. Commerçants, étudiants, cadres, policiers sont presque à parts égales, chaque groupe comptant de 16 à 21 morts.

La Résistance nantaise est bien une mosaïque qui juxtapose, dans le même refus de l’Occupation, ceux qui croient au ciel comme Michel Brouard, prêtre, exécuté le 13 août 1944, et ceux qui croient aux lendemains qui chantent comme Libertaire Rutigliano, le jeune ingénieur de 23 ans membre du Front national, mort en déportation le 6 mai 1945. Après la guerre, elle réunit dans une même volonté de transmettre ce moment d’insoumission la militante communiste Renée Losq et l’aristocrate catholique Yolaine de Sesmaisons.

Didier Guyvarc’h
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d’auteur réservés)

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En savoir plus

Bibliographie

Audion Ghislain, Réfugiés espagnols en Loire-Inférieure, 1936-1945 : de la République espagnole à la Résistance, Geste, 2015

Belser Christophe, Bloyet Dominique, Nantes et la Loire-Inférieure : les années noires, Patrimoines médias, 2014

Bloyet Dominique, Gasche, Etienne, Jeunes résistants en Loire-Atlantique, Coiffard, 2014

Guiraud Robert, Le Roux Christian, Les PTT dans la Résistance en Loire-Inférieure : Marcel Hatet (1898-1943), Centre d’histoire sociale, 2005

Sauvage Jean-Pierre, Trochu Xavier, Mémorial des victimes de la persécution allemande en Loire-Inférieure 1940-1945 : fusillés et exécutés, Comité de recherches historiques sur la persécution et la répression allemande en Loire-Inférieure 1940-1945, 2001

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2e GM Résistant

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Rédaction d'article :

Didier Guyvarc’h

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