Protection du Patrimoine
En juillet 1796, le département de Loire-Inférieure consulte l’ingénieur Julien Groleau sur l’opportunité de détruire la cathédrale afin de prolonger la rue du Département (actuelle rue du Roi Albert) jusqu’au château. L’ingénieur plaide avec succès pour la conservation d’un édifice qui, au siècle suivant (en 1862), est classé comme Monument historique aux côtés du château dont la municipalité avait réclamé, en 1791, la destruction à l’Assemblée nationale.
Les destructions
Loin d’être l’apanage de la période révolutionnaire – et sans oublier que celle-ci est à l’origine de la notion de « monument historique » –, la destruction est l’horizon permanent sur lequel se profile la protection du patrimoine, entre sélection passive opérée par le temps, guerres, « vandalisme » et choix dits « raisonnés ». En 1868, six ans après le classement du château et de la cathédrale, débute le percement « haussmannien » de la rue de Strasbourg qui éventre la ville médiévale sur son flanc est. Les plans d’« alignement », d’« extension » et d’« aménagement » s’inscrivent avec constance dans une démarche hygiéniste qui se traduit par une mutilation du tissu urbain ancien. C’est aussi l’argument hygiéniste qui est avancé pour légitimer les comblements de l’Erdre et des deux bras nord de la Loire entre 1926 et 1939, sans susciter de véritable réprobation.
Il n’en va pas de même avec la destruction, en 1958, du pont transbordeur. Celle-ci est précédée d’un débat public qui implique élus, presse, associations et particuliers, préfigurant ainsi un double élargissement : celui du champ patrimonial et celui de ses acteurs. La fonction symbolique et identitaire de cet outil devenu emblème portuaire échappe aux critères classiques du système des beaux-arts et mobilise un large public.
Les bombardements de la Seconde Guerre mondiale concernent, à des degrés divers, 45% du parc immobilier. Tandis qu’une reconstruction « à l’identique » est choisie pour la place Royale et certains bâtiments du 18e siècle, des constructions contemporaines sont retenues pour la rue du Calvaire et le quartier du Marchix bientôt rénové et dont la destruction des « taudis » a été déclarée d’intérêt public en 1942.
Démolition du palais du Champ-de-Mars
Date du document : 22-11-2012
Les enjeux actuels
Le plan de sauvegarde et de mise en valeur, adopté en 1972 selon les dispositifs de la loi Malraux de 1962, est, avec ses 126 hectares, l’un des plus vastes du pays. Des élus obtiennent de ne pas y inclure « les zones de mutations » où des projets immobiliers sont en cours ou prévus. « Mutation » contre « sauvegarde » : les termes du débat confortent fétichistes et tenants de la table rase dans une conception également passéiste du patrimoine. Il est révélateur que ce soit à une association para-municipale créée en 1986, Nantes Renaissance, que la municipalité, divisée, confie une action de sensibilisation, de médiation et de suivi pour restaurer, valoriser et réhabiliter le patrimoine en secteur sauvegardé, tâche dont elle s’acquitte avec succès.
C’est sur fond de destructions parfois accompagnées de vives polémiques (tours LU entre la fin des années 1960 et 1974 ; garage Citroën de la rue Riom, palais du Champ-de-Mars et éléments des anciens chantiers navals entre 1987 et 1990…) que progresse la reconnaissance du patrimoine industriel. La reconversion en 1982-1983 de la Manufacture des tabacs, action pionnière en France, est suivie, dans les années 1990, de celles des dernières halles de l’usine LU et de celle d’une partie du patrimoine industriel et portuaire de l’Île de Nantes, pour lequel se mobilisent plusieurs associations. En 2005, près de cinquante ans après la destruction du pont transbordeur, la grue Titan grise du quai Wilson est classée au titre de Monument historique.
Mosaïque de la devanture du café  Au bon raisin 
Date du document :
Vestiges de la porte Sauvetout
Date du document : 06-04-2012
Les enjeux sont en effet devenus d’autant plus complexes que la notion de patrimoine s’est élargie non seulement au patrimoine naturel mais, aussi et surtout, à un patrimoine immatériel (oral, culinaire, mémoriel…) par définition presque impossible à protéger. À Nantes comme ailleurs en outre, les « professionnels du patrimoine » ont été presque uniquement formés à l’étude et à la préservation du patrimoine matériel, quasiment le seul à susciter débats, actions et… polémiques, à l’exemple du cas du couvent des cordeliers en 2011.
En 2012, 121 édifices nantais figurent sur la liste des Monuments historiques : 98 sont inscrits et 23 comportent au moins une partie classée. La municipalité élue en 1977 avait fait œuvre novatrice en intégrant au plan d’occupation des sols la liste d’un patrimoine local non protégé et situé hors secteur sauvegardé. Cette liste, évolutive, est reprise et étoffée dans le plan local d’urbanisme et comporte, en 2013, 1830 sites, édifices, « séquences » d’espaces publics de qualité, éléments du « petit patrimoine » et même « vues » à protéger. Le PLU prévoit aussi « le renforcement des secteurs protégés le long des coulées vertes » et « le maintien ou l’accroissement de la part des masses boisées protégées ». Les vives tensions entre les effets de la densification urbaine et les exigences de la sauvegarde mettent à l’épreuve le respect de cette liste, bien moins protectrice sur le plan juridique que le classement ou l’inscription au titre des Monuments historiques.
Une nouvelle polémique, suscitée en janvier 2008 par les fouilles tardives et minimalistes conduites dans le quartier médiéval du Bouffay à l’occasion d’un projet immobilier, est suivie de la création d’un poste d’adjoint au Patrimoine et d’une Direction du patrimoine et de l’archéologie à laquelle sont transférées les missions de l’association Nantes-Renaissance. En 2010 est mis en place un Conseil nantais du patrimoine auquel est attribué un rôle d’alerte et de proposition en matière de protection. Le défi d’une politique patrimoniale est bien celui de la reconnaissance effective d’une « compétence partagée »…
Manoir Bouvet
Date du document : 20-09-2012
Font polémique également des choix faits en matière de restauration : fallait-il restituer sur une des façades du château le cartouche portant les armes de Louis XIV martelées pendant la Révolution ? Plus largement, d’aucuns soulignent que les « altérations » subies au cours des siècles par le monument sont elles-mêmes riches de sens et dénoncent une reconstitution jugée par eux « complaisante », « lisse » et « inauthentique ». Si le château et la cathédrale ont fait l’objet de grands chantiers patrimoniaux, c’est seulement dans les années à venir que les Archives municipales devraient occuper, à la Morhonnière, des locaux enfin dignes de leurs fonds et de leurs missions… De même, la sauvegarde d’éléments emblématiques du patrimoine industriel peut n’être qu’un trompe-l’œil si celle-ci les coupe de l’arrière-plan des techniques, machines, savoir-faire, mémoires… bref, de tout ce par quoi ils excèdent le seul intérêt architectural et disposent d’une épaisseur de sens qui les prémunit aussi bien contre une vision aseptisée que contre une interprétation univoque.
Si la protection du patrimoine exige un tri qui passe par la connaissance, elle ne saurait être l’affaire des seuls spécialistes car, outre ses implications financières, ce tri engage l’avenir et concerne chaque citoyen. La contribution du patrimoine au débat sur la ville et ses mutations est peut-être, à Nantes, sa plus grande réussite.
André Péron
Extrait du Dictionnaire de Nantes
(droits d'auteur réservés)
2018
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Nantes, la métamorphose d'une ville - Auran/Ina : La rénovation Ile Feydeau
Nantes, la métamorphose d'une ville - Auran/Ina : Le rôle de Nantes Renaissance
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André Péron
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