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Ancienne manufacture royale de Corderie École de Commerce

Central téléphonique Cambronne


Fin octobre 1927, après plusieurs années d’attente, le Central téléphonique « Cambronne », situé entre la rue de l’Héronnière et la rue Maurice-Sibille, est enfin opérationnel. Malgré quelques dysfonctionnements techniques dont la presse se fait l’écho, un peu plus de 3 000 abonnés nantais bénéficient désormais d’un service automatisé pour leurs appels locaux.

L’automatisation des appels est alors une première dans la ville. Cette innovation technique a nécessité la construction d’un nouveau bâtiment fonctionnel dont la façade sud d’inspiration Art déco se démarque sur le front de Loire.

Un central téléphonique tant attendu

Au début des années 1920, Nantes comme beaucoup de villes françaises, pâtit d’un réseau téléphonique obsolète et dépassé. Les retards pris par la France en matière de téléphonie doublés des dommages de la Première Guerre mondiale, obligent à un sursaut. La modernisation des lignes devient une priorité de l’État qui engage un plan de redressement à partir de 1922. Outre la standardisation de l’appareil téléphonique par l’adoption d’un modèle unique – le PTT 24 –, la reconstruction des centraux et leur automatisation sont engagées. Dans ce contexte, Nantes dont le « téléphone était tout juste bon à figurer dans le musée des ...antiquités » (Le Phare de la Loire, 16 septembre 1926), est en bonne place pour bénéficier d’un tout nouvel équipement.

Le projet dont les plans sont dressés par l’architecte du ministère des PTT Charles Giroud dès 1921, nécessite l’achat d’un terrain en centre-ville : un terrain est trouvé entre la rue de l’Héronnière que l’on projette de prolonger, et la rue Cambronne (actuelle rue Maurice-Sibille). Le suivi du chantier est confié à un architecte nantais, Henri Vié et l’équipement intérieur relève de la Western Union Cy Ltd. Même si le bâtiment est livré dès 1925, la mise en place du matériel connaît quelques vicissitudes ; par ailleurs, le câblage du réseau doit être entièrement revu avec la pose de 17 kilomètres de câbles en aérien et en souterrain.

Une baie de sélection de l’Automatique

Une baie de sélection de l’Automatique

Date du document : 30/10/1927

Ce n’est qu’à l’automne 1927 que les premiers appels automatiques sont enfin rendus possibles. Non sans mal, si l’on en juge par la presse : « Dès le premier jour de la mise en service, il y a eu 1 305 abonnés qui ne fonctionnaient pas… c’est-à-dire plus du tiers. […] Et avant-hier, à 16 heures, 189 seulement. C’est dire l’effort fait en une semaine. Mais – et c’est ce qui a très certainement exaspéré le plus certains abonnés –, des postes qui avaient fonctionné normalement ou même à moitié tombèrent tout à coup en dérangement. Pourquoi ? Très vraisemblablement par la faute des lignes aériennes. La pluie était tombée. Et les averses sont néfastes aux fils […] » (Le Phare de la Loire, 11 novembre 1927).

Mode d’emploi du téléphone automatique publié dans l’« Écho de la Loire », le 27 octobre 1927

Mode d’emploi du téléphone automatique publié dans l’« Écho de la Loire », le 27 octobre 1927

Date du document : 27/10/1927

Malgré ces débuts chaotiques, l’Automatique apparaît comme une avancée, même s’il ne concerne que les appels internes à Nantes. Les communications entre villes restent des opérations manuelles qui impliquent la présence d’opérateurs, essentiellement des femmes que l’on surnomme « les demoiselles du téléphone ».

L’extension du réseau en quelques années amène à développer les capacités du bâtiment. En 1929, la terrasse du bâtiment de l’Héronnière est remplacée par un niveau supplémentaire en attique. À cette date, le bâtiment technique comprend :
• Au rez-de-chaussée : la salle des répartiteurs automatiques qui redistribuent les appels,
• Au premier étage : la salle de l’Automatique,
• Au deuxième étage : celle de l’Interurbain qui assure les communications extérieures à Nantes,
• Au dernier niveau : une deuxième salle réservée à l’Interurbain et à de nouvelles installations techniques.

Détail d’une photographie aérienne du 24 mai 1934

Détail d’une photographie aérienne du 24 mai 1934

Date du document : 24/05/1934

Un bâtiment « recto-verso » (1921-1927)

Le central « Cambronne » a la particularité de conjuguer sur une même parcelle deux ensembles d’édifices distribués sur chacune des deux rues.

Donnant sur la rue Cambronne (rue Maurice-Sibille, aujourd’hui) au n°3, le premier bâtiment se présente sous la forme d’un immeuble de rapport que rien ne distingue des immeubles voisins, excepté la présence discrète du logo des PTT sur les grilles des fenêtres. Par mesure d’économie, il a été convenu de conserver le bâtiment existant du 19e siècle et d’y aménager les logements de fonction du directeur, du concierge ainsi que les bureaux de l’administration. L’entrée du personnel du central se fait également par le porche donnant sur cette rue. C’est une entrée discrète au regard de l’importance de l’équipement. Il a bien été envisagé d’ouvrir une porte principale sur la rue de l’Héronnière prolongée, mais cet accès n’a jamais été réalisé.

Façade du bâtiment situé 3 rue Maurice-Sibille

Façade du bâtiment situé 3 rue Maurice-Sibille

Date du document : 15/01/2025

À l’opposé du bâtiment de la rue Maurice-Sibille, le nouveau bâtiment technique des PTT donnant sur la rue de l’Héronnière affirme sa présence, se distinguant par ses volumes et par son style. Il se compose d’une façade de 30 mètres de long sur près de 20 mètres de haut. Il a fallu donner une dérogation pour permettre la construction de ce bâtiment qui dépasse la hauteur réglementaire dans cette rue étroite du centre historique. Cette architecture fonctionnelle dénote au milieu des immeubles anciens. D’autant qu’elle présente un décor stylisé Art déco qui recouvre les allèges, pilastres et consoles.

Façade sud du Central Cambronne et son décor à mosaïques

Façade sud du Central Cambronne et son décor à mosaïques

Date du document : 15/01/2025

Son concepteur, Charles Giroud, décline ici un modèle architectural, déjà déployé à Paris pour plusieurs bureaux et centraux téléphoniques. Entre 1910 et 1924, Charles Giroud dirige la construction du bureau des PTT rue Gutenberg (15e arrondissement), puis en 1925, il conçoit dans la tradition des architectures industrielles Art déco, le premier central automatisé de Vaugirard (15e arrondissement).

À Nantes, l’architecte reprend ces mêmes principes architecturaux : une trame normée formant une composition répétée, avec pour module la grande baie carrée entrecoupée de trumeaux rehaussés d’un décor polychrome ; des travées dont le nombre est décliné selon le terrain et le besoin ; un toit terrasse offrant une vue panoramique (et des possibilités de surélévation future). Charles Giroud adopte aussi le procédé Hennebique déjà utilisé à Paris, pour la réalisation de la structure et des planchers en béton armé. La seule différence notoire entre les réalisations parisiennes et nantaise concerne le décor. À Paris, le parement de briques permet des jeux décoratifs, à Nantes on lui préfère la mosaïque. Il faut peut-être y voir l’influence d’Henri Vié, architecte associé, qui a pour habitude de travailler avec des mosaïstes.

Un « double » en projet puis en construction (1941-1950)

En 1941, un projet d’extension est lancé. Henri Vié, architecte régional des PTT, est chargé de proposer une nouvelle construction sur la parcelle voisine du Central Cambronne. L’architecte nantais propose de prolonger le bâtiment de la rue de l’Héronnière selon la même distribution et la même composition architecturale que le bâtiment d’origine. La façade sud qui reprend la même trame est doublée. Une fois réalisée, elle s’étendra sur 65 mètres, donnant une grande visibilité à l’ensemble. Côté rue Maurice-Sibille au n°5, Henri Vié conçoit pour l’administration un immeuble de quatre étages, sobre, marqué seulement par une haute entrée surmontée du sigle des PTT. La différence de traitement des bâtiments entre les deux rues est, comme en 1921, pleinement assumée.

Si les premiers plans des extensions datent de 1941, il faut attendre 1947 pour que le permis de construire soit déposé. La guerre retarde le projet. Entre temps, l’architecte apporte quelques modifications à ses plans. L’une des plus significatives date de 1946 et porte sur l’aménagement d’abris antiaériens dans les caves pour 250 personnes. Cette proposition intervient alors que la ville a subi d’importants bombardements en 1943 et 1944 qui ont affecté tout le centre historique et reste dans les mémoires.

La construction de l’extension a lieu entre 1947 et 1951, date à laquelle les bâtiments sont achevés comme le montre la photographie aérienne de l’IGN.

Le Central Cambronne, le 28 juin 1951

Le Central Cambronne, le 28 juin 1951

Date du document : 28/06/1951

Côté rue Maurice-Sibille, les matériaux employés sont caractéristiques de la période de la Reconstruction, tel ce parement composé de panneaux de pierre imitant la pierre.

Façade du bâtiment situé 5 rue Maurice-Sibille

Façade du bâtiment situé 5 rue Maurice-Sibille

Date du document : 15/01/2025

Quant à la façade sur la rue de l’Héronnière, elle a dû être réalisée à l’économie dans cette période de pénurie. D’où l’absence probable des mosaïques auxquelles on substitue un simple enduit peint.

Différence de traitement des façades 1921-1941, rue de l’Héronnière

Différence de traitement des façades 1921-1941, rue de l’Héronnière

Date du document : 15/01/2025

Après cette date, les PTT continuent de s’étendre en acquérant de nouvelles parcelles, notamment au début des années 1960 à l’angle de la rue des Cadeniers et de la rue de l’Héronnière, où un bâtiment administratif est construit en 1965 (remplacé depuis 2010 par un immeuble de bureaux et de logements).

Entre 1921 et 1965, le Central Cambronne, premier central téléphonique automatisé de Nantes, a connu d’importantes transformations au gré du développement du réseau de téléphonie des PTT. En 1927, ce nouvel équipement novateur avait marqué un changement dans les habitudes de communications des Nantais. À ce changement répondait alors un nouveau site, Cambronne qui succédait au central « Brancas » situé dans l’ancestrale poste des PTT (aujourd’hui disparue). De nos jours, le réseau des portables est venu modifier profondément le réseau des opérateurs. Cependant, même si le central des PTT n’est plus, le site reste attaché à l’histoire de la téléphonie, avec la présence d’une unité de réseau sectorielle basée 5 rue Maurice-Sibille. Et le nom même des PTT a perduré à travers un restaurant associatif dont le siège est situé 3 rue Maurice-Sibille.

Irène Gillardot
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2025

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