Ancien garage Citroën rue Alfred-Riom
En 1985, l’annonce de la démolition du garage Citroën de la rue Alfred-Riom, fleuron du patrimoine industriel du 20e siècle, va provoquer un important mouvement de contestation. En vain. Chronique d’une disparition…
Une succursale nantaise
Quand André Citroën s’établit à Nantes en 1925, c’est l’âge d’or des voitures de luxe. La France est le pays le plus motorisé d’Europe. La grande industrie a profité de l’effort de guerre et Citroën, reconverti dans la construction d’obus, revient à l’automobile, adoptant les chaînes de montage en vogue outre-Atlantique. Lancée en 1919, la Citroën type A est la première voiture française conçue pour la série.
André Citroën porte une grande attention aux lieux de vente, qui doivent être des vitrines de la marque. Il dispose pour cela d’un service d’architecture intégré, dirigé par l’architecte d’origine nantaise Maurice Ravazé (1885-1945). Pour Citroën, il réalisera les établissements parisiens des Champs-Élysées et de la place de l’Europe, des succursales et magasins en province et en Afrique du Nord, une filiale à Bruxelles ou de simples stations-service.
Une élégante façade « Art Déco »
Premier projet de la façade du garage Citroën
Date du document : 1925
Pour sa succursale – on dit aussi « concession » – de Nantes, la société fait le choix d’une double implantation. Le magasin central d’exposition est aménagé place Graslin, à l’angle de la rue Gresset, au rez-de-chaussée d’un immeuble fin 18e siècle entre la Cie générale transatlantique et les grands cafés animés. Pour son grand garage, Citroën opte pour un quartier un peu excentré, le quartier Lamoricière, décrit dans un rapport comme « habité bourgeoisement, ne disposant d’aucun garage et voisin d’un quartier riche et très commerçant ». De plus, « les artères avoisinantes » de la rue Alfred-Riom « sont des rues ou des boulevards très longs et extrêmement bien percés ».
Rue Alfred-Riom, sur l'emplacement de l'ancienne usine Lotz, Maurice Ravazé réalise en 1925 une façade d’esprit « Art Déco » qui fait office de tampon entre la rue et la vaste halle industrielle à structure métallique de 3 400 m2 au sol qui forme l’essentiel du garage. Les cent cinq mètres de cette façade sont rythmés avec élégance par dix arcades monumentales réparties de part et d’autre du fronton de l’entrée principale. Au rez-de-chaussée, on trouve des salles d’exposition et de vente, le magasin de pièces détachées, des aires de stockage, de réparation rapide et de lavage. Au fond du hall public, le monte-voiture et des rampes de montée et de descente permettent d’accéder aux ateliers de mécanique et de carrosserie du premier étage.
En-tête de lettre de société Citroën
Date du document : 1932
Symbole de la modernité des années 1920, l’automobile affirme sa présence dans la ville et invente une nouvelle architecture combinant construction industrielle et recherche d’élégance.
Le garage joue son avenir devant les tribunaux
Changement d’époque… Au milieu des années 1980, Citroën quitte les abords du centre-ville pour la route de Vannes. Un promoteur immobilier, la Socafim, obtient de la mairie le permis de démolir le vieux garage de la rue Alfred-Riom pour réaliser un programme de logements.
La municipalité est alors en pleine révision du Plan d’occupation des sols. « Entre les deux derniers recensements, explique-t-elle, la ville a perdu 16 500 habitants. Il est temps de renverser la vapeur ». Les élus entendent favoriser la réalisation d’opérations immobilières sur le territoire communal. En donnant son feu vert à la démolition, la nouvelle équipe remet en cause les choix de la municipalité précédente qui avait repéré le garage comme bâtiment d’intérêt architectural à préserver. « Plus pour les promoteurs, moins pour le patrimoine » résume Presse-Océan.
La mairie n’a pas non plus tenu compte de l’avis défavorable de l’Architecte des bâtiments de France. Si le garage Citroën n’est pas lui-même classé monument historique, il est mentionné dans l’Inventaire général comme « palais de l’industrie et du commerce » (au même titre que le Grand Palais et la Samaritaine) et il se situe dans les cinq cents mètres de protection d’un monument historique : l’église Notre-Dame-de-Bon-Port.
Le préfet saisit le tribunal administratif pour régler le litige, tandis que l’ARDEPA (Association régionale pour le développement de l’enseignement public de l’architecture), après avoir envoyé une lettre de protestation au maire de Nantes, Michel Chauty, dépose elle aussi un recours pour sauver le garage Citroën, « seule œuvre nantaise d’un architecte international né à Nantes » et bâtiment remarquable « pour son importance dans l’histoire de l’architecture automobile, pour ses qualités urbaines et pour la place qu’il occupe dans le patrimoine d’architecture industrielle nantaise ».
En avril 1986, les deux recours sont retoqués. L’ANDE (Association nantaise de défense de l’environnement) reprend alors le flambeau et demande à son tour le sursis à exécution du permis de démolir, « une décision entachée d’illégalité destinée à satisfaire les intérêts particuliers d’un promoteur immobilier, qui tirerait le meilleur profit d’un terrain aussi bien placé, en bradant le patrimoine des Nantais ». Cette fois, la demande est acceptée. L’affaire va pouvoir être jugée sur le fond.
Une boule de deux tonnes contre la façade
Rue Alfred-Riom
Date du document : 1987
En mars 1987, le tribunal administratif se réunit en assemblée plénière pour examiner la requête de l’ANDE. Les avocats de la mairie et de la Socafim rivalisent d’éloquence pour dénigrer le garage de Ravazé, « vulgaire hangar métallique sur lequel on a plaqué une façade » et « bâtiment en très mauvais état qui ne s’intègre plus dans l’environnement d’un quartier résidentiel ». La décision de la municipalité est finalement jugée légale et le recours est rejeté.
Début juin, c’est la mise à mort. Soixante-deux ans après sa construction, le garage Citroën est livré aux démolisseurs. Une boule de deux tonnes s’attaque à la façade. De ce fleuron de l’architecture industrielle ne reste qu’un amas de ferraille…
Ironie de l’histoire, en avril 1989, le Conseil d’État annulera la décision du maire de Nantes autorisant la démolition. Non motivée, cette décision était dès lors entachée d’illégalité. Le garage, détruit dans les faits, ne pouvait pas l’être au regard de la loi !
Rue Alfred-Riom
Date du document : 02-10-2014
Amère victoire pour les associations. Triste épilogue pour les défenseurs du patrimoine et pour des générations de « citroënistes », tous ces amoureux de la marque aux chevrons qui ont admiré les tractions avant, deux chevaux et DS dans la succursale de la rue Alfred-Riom.
Philippe Bouglé
Groupe mémoire
2016
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Bibliographie
Archives de Nantes, Du quai de la Fosse vers Mellinet-Canclaux, Ville de Nantes, Nantes, 2016 (coll. Quartiers à vos mémoires)
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Contributeurs
Rédaction d'article :
Philippe Bouglé
Témoignage :
Tony Zampino, Jacqueline Rolland, Gilles Bienvenu
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