Pratiques agricoles à Doulon au 18e et 19e siècles
Au 18e siècle et jusqu’à la fin du 19e siècle, le territoire doulonnais est marqué par le développement d’une polyculture vivrière dans laquelle labour et élevage bovin et ovin sont prédominants.
Les fermes
Les rares descriptions de fermes datent du 18e siècle. Elle sont composées de maisons d’habitation, souvent petites (une pièce en rez-de-chaussée) et couvertes d’ardoises. Des bâtiments vernaculaires, généralement couverts de tuiles, les complètent. Le recours à la terre pour la construction de ces derniers révèle la prééminence de l’élevage dans l’agriculture doulonnaise. Courtil, cour pour empiler le foin, laiterie, toit à cochon montrent que le bétail concentre une grande partie des efforts des paysans. La culture de la vigne s’illustre également par la mention des pressoirs. En revanche, les granges sont rares. Deux seulement sont recensées au 17e siècle : celle de la Folie et celle de la Chesnaie. Dans la majorité des cas, les grains sont donc entassés au-dessus des habitations dans les greniers plutôt que dans des édifices dédiés.
Huile sur bois, Auberge près de Nantes, Lambert Doomer
Date du document : vers 1640-1660
Des jardins potagers de moins de 1000 mètres carrés voisinent les maisons d’habitation. Ce sont les premières parcelles à avoir été encloses par des haies ou des murs.
Chaque ferme exploite dès le Moyen Âge un finage (territoire) inférieur à 5 hectares avec un jardin (potager) généralement proche du logis et clos, une parcelle de vignes, des prés et des terres labourables.
Les archives témoignent du fait que très peu de parcelles, à l’exception des prés, dépassent le « journal » ou l’ « hommée ». Ces termes, hérités du système romain, s’appliquent à un terrain pouvant être travaillé par un homme en un jour, et correspondent à peu près à 2500 mètres carrés.
Un élevage avant tout centré sur les ovins et les bovins
Les prés constituent les parcelles les plus nombreuses et les plus grandes sous l’Ancien Régime. S’ils peuvent atteindre 14 journaux soit 3,5 hectares, la plupart ne dépasse pas les 5000 mètres carrés. La petitesse des parcelles et des propriétés en pré pour chaque ferme laisse penser que les ovins étaient majoritaires, même si chacun possédait quelques vaches. La faiblesse des troupeaux peut expliquer qu’aucune foire aux bestiaux ne soit instaurée à Doulon avant l’initiative de Louis-François Charrette en 1775 : le seigneur de la Colinière installe quatre foires annuelles près de la nouvelle chapelle dite Notre-Dame-des-Grâces au bout des avenues de la Colinière en Doulon destinée à la présentation et au commerce « de bestiaux de toute espèces comme chevaux, bœuf, vaches, cochons et tous les marchands forains qui s’y transporteront auront gratuitement la disposition de la halle neuve pour y étaler leur marchandise ».
Dans la majorité des fermes ou hameaux de Doulon, la présence de laiteries suggère que les animaux étaient avant tout élevés pour leur lait, peut-être transformé en fromages ou en beurre. L’importance de la laiterie dans l’économie quotidienne se lit dans les inventaires du domaine de l’évêque ou du chartier des Blottereau : la laiterie est généralement le premier bâtiment vernaculaire cité, qui semble presque toujours construit en dur et couvert d’un toit de tuiles ou d’ardoises alors que le chaume couvre encore la plupart des bâtiments utilitaires.
Ces animaux ne sont pas élevés comme l’on pourrait s’y attendre dans un paysage de bocage qui est, selon son acception courante, une région où les champs cultivés et les prés sont enclos de talus portant des haies et des taillis. En effet, la présence des haies n’est nullement systématique dans le Doulon de l’Ancien Régime et les parcelles sont la plupart du temps débornées par de simples fossés permettant l’évacuation des eaux. Les haies arrivent relativement tard sur le territoire : dans les textes du 18e siècle, elles entourent partiellement les parcelles ou les finages comme la terre du Paty, proche de la Colinière qui est « partie en labour, partie en vigne, close de fossé sauf un petit bout clos de haies ».
Pour nourrir le bétail pendant l’hiver, les paysans récoltent le foin dans la prairie. Tous les ans, au mois de juin, le ballet des charrettes remplies de foin parcourt la prairie et passe l’étier pour rejoindre les hameaux. Cette activité récurrente est relativement complexe à accomplir. Tout d’abord l’accès aux différents prés de la prairie ne peut se faire que par le maintien pluriséculaire du droit de libre parcours : il n’existe pas de chemins établis dans la prairie de Mauves car les trajets annuels sont amenés à se déplacer en fonction de la nature du sol, de la violence des crues, etc. Ensuite, il n’existe pas de ponts pérennes sur l’étier, des ponts saisonniers sont installés pendant l’été.
Des règles de droit facilitant l’élevage
Pour permettre à tous d’élever du bétail, les prés et les « ousches » du finage de Doulon sont grevés par une servitude de « seconde herbe » ou de « vaine pâture ». Il s’agit d’un droit de communaux qui autorise tous les habitants de Doulon à pouvoir faire paître leurs bêtes sur des terres labourées ou des prés après la moisson ou la fenaison, au moment où repousse l’herbe.
Les communaux doulonnais semblent avoir été essentiellement concentrés dans la prairie de Mauves bien que quelques terrains aient également été régis en communaux sur les bords de l’étier (commun du Blottereau). Au Moyen Âge, celle-ci appartient en grande partie à la commanderie de Saint-Jean depuis que le duc Conan IV la leur a cédé vers 1140. Les aveux rendus à la commanderie précise que dès cette époque, le droit « de faire paître et pasturer leurs bestes […] en ladite prée en forme de communauté et durant le temps d’entre la feste de la Magdelaine et la feste de Notre-Dame de Mares » est assuré.
L’application en est facilitée par l’absence de clôture entre les différentes parcelles. Les habitants bénéficient également d’un « droit de parcours » qui les autorise, en l’absence de chemin pérenne, à traverser les terrains de leurs voisins sans avoir besoin d’autorisation pendant la fenaison (période de coupe et de récolte du foin) et pendant la période de « seconde herbe ». Le droit de vaines pâtures interdit aux propriétaires de bénéficier de la liberté d’assolement, c’est-à-dire la possibilité de cultiver une même terre tout au long de l’année en ayant recours à plusieurs types de cultures de manière alternée afin d’éviter la jachère tout en préservant la fertilité du sol. Néanmoins, le cahier de doléance de la commune témoigne de la fragilité de ce droit lorsque les habitants demandent « qu’il y ait une loi qui décide de la propriété des vagues communs. Il en est presque plus. Le général de la paroisse demande la conservation de ce qui en reste comme absolument nécessaire à son existence, lui servant à élever les bestiaux, à se procurer des engrais qui lui procurent le paiement de ses fermes. La paroisse de Doulon, extrêmement bornée, se l’en est vu enlever presque tous et depuis six ans elle ne se croit point injuste de demander le pacage de ses bestiaux après la coupe et l’entrée des foins, dans le marais ou communs renfermés. »
La Révolution conserve ce droit. Un décret daté du 28 août 1792 énonce : « Dans les cinq départements qui composent la ci-devant province de Bretagne les terres actuellement vaines et vagues non arrentées, afféagés ou accensés jusqu'à ce jour connues sous le nom de communs, frost, frostages [5], franchises, galois, etc. appartiendront exclusivement, soit aux communes, soit aux habitants des villages, soit aux cidevant vassaux qui sont actuellement en possession du droit de communer, motoyer, couper des landes, bois ou bruyères, pacager ou mener leurs bestiaux dans lesdites terres situées dans l'enclave ou le voisinage des ci-devant fiefs. »
Au début du 19e siècle, la gestion des communaux est confiée à la commune. Plusieurs propriétaires tentent de résister à ce qu’ils considèrent comme une expropriation. M. Bontant, propriétaire de la Bonnetière, porte l’affaire devant les tribunaux considérant que « ce ne sont ni les habitants de la commune de Doulon ni ceux d’une section qui ont le droit de faire paccager leurs bestiaux dans les terrains vagues qui bordent et entourent la Bonnetière, ce droit appartient aux seuls propriétaires voisins, vassaux de la même seigneurie dans l’enclave de laquelle ils sont situés […] ». Il est débouté.
En 1836, la commune rappelle que « depuis des temps immémoriaux, [elle] a des droits sur la seconde herbe de la prairie de Mauves » face aux revendications d’un nouveau propriétaire, M. Paqueteau, qui entend enclore ses terrains. Pour autant, elle a du mal à maintenir ces droits suite à l’avènement du domaine ferroviaire qui préempte environ 200 hectares le long de l’étier de Mauves, au nord de la prairie et en bouche les accès. En 1857, la commune décide de vendre les chemins issus des communs avant de procéder à l’abandon progressif des droits sur la prairie. Pour autant la tradition perdure par arrangements entre particuliers jusqu’au milieu du 20e siècle.
La culture de céréales
Outre l’élevage, les paysans doulonnais pratiquent la culture de céréales sur les terres à labours telles que les « ousches ». La géologie et la flore ne sont pourtant pas favorables à ce type de culture. Il est donc vraisemblable que les habitants ont largement pratiqué l’écobuage sur les landes et le drainage dans les noës. Cette pratique, dont le souvenir persiste dans la toponymie de Doulon, avait été remarquée par Arthur Young lors de son voyage en Bretagne. Il rapportait alors : « On brûle périodiquement [la lande] et on sème aussitôt du froment, du seigle, de l'orge ou de l'avoine, tant que la terre rapporte une récolte qui vaille qu'on s'en occupe ; l'épuisement venu, on abandonne le sol aux herbes, au genêt, à la fougère, à l'ajonc qui le recouvrent. » Puis, après cette période d’abandon on écobue à nouveau les pièces, avant de lancer de nouvelles récoltes.
Aucun document d’archives consulté ne permet d’estimer les rendements réalisés à Doulon durant l’Ancien Régime. Néanmoins, la présence de moulins banaux au Gué Robert, aux Perrines, au Verger et à Bois-Briand, également à la Chênaie puis sur les terres de la Colinière versant Saint-Donatien permettent de supposer que les récoltes étaient suffisantes pour conforter les seigneurs dans l’entretien de ces bâtiments. Leur présence était suffisamment marquante dans le territoire pour que Cassini en repère 8 sur sa carte.
Détail du Moulin du Marais sur le cadastre parcellaire de la commune de Doulon
Date du document : 1834
Ils furent suivis au 19e siècle par l’adjonction de deux autres moulins sur le coteau du Verger.
Si on en croit la légende de la carte, tous les moulins à vent de Doulon étaient construits en pierre et celui du Blottereau, était sans doute le plus visible avec sa tour de pierre surmontant le cône de la Costardaye.
La vigne
Le clos Bouguaut, le clos du Perray, le clos du Chastelier, le clos des Vignes des Caves, le clos du Brossay, celui de la Métairie sont autant de noms qui transcrivent une réalité agricole : les parcelles de vigne sont le plus souvent encloses de haies comme celles de la Noë Savary qui, en 1763, possède « un clos de vignes blanches appellé le clos de la Noë Savary avec ses hayes en dépendant » séparé en deux parties, l’une appartient à la confrérie du Saint-Sacrement qui la loue avec la borderie de la Noé Savary, l’autre appartient au Grand Blottereau. Chaque hameau de Doulon ne possède pas son pressoir. Au 17e siècle, il y a un pressoir pour chaque grand fief (la Folie, le Verger, Chamballan, Bois-Briand et le Blottereau) positionné dans un des hameaux de son finage sans que l’on puisse déceler une cohérence de la localisation en fonction de celle des parcelles de vigne.
Pressoir à vin dans un chai près de Nantes, Lambert Doomer
Date du document : 1670 - 1675
Si les vignes apportent une part nécessaire aux revenus agricoles du Moyen Âge au début du 17e siècle, elles tendent à disparaître au 18e siècle. En 1754, les vignes du Petit Blottereau qui occupent une surface d’environ 3 hectares sont expertisées par Pierre Bretonnière, laboureur vigneron demeurant à la maison des chapelles à Doulon, et Jean Lormeau, laboureur vigneron demeurant rue Billau. Ceux-ci connaissent le lieu « depuis plusieurs années pour y avoir travailler en qualité de vignerons » et « estiment que le clos de vigne ne peut subsister attendu l’état où il est » car « premièrement il n’est pas planté suffisamment » puisque son ancien propriétaire avait fait arracher environ 2,5 hectares à cause de la mauvaise qualité du raisin, « secondement qu’il a été taillé en long bois l’année dernière par les ordres dudit feu sieur Berthelot qui en avait déjà fait arracher neuf à dix hommés en sorte qu’il seroit extrêmement coûteux d’entreprendre de le rétablir ». Ils sont donc d’avis « qu’il est beaucoup plus avantageux et profitable aux mineurs du sieurs Berthelot de faire arracher et entièrement détruire ledit clos de vigne et de former du terrain de cette vigne un bordage ou tenue en faisant du bâtiment du pressoir un logement pour le bordier ». Cette pratique n’est pas isolée : en 1774, l’une des pièces de vigne de l’ancien château des Caves a été transformée en terre labourable.
Suite Maraîchage à Doulon
Julie Aycard
Dans le cadre de l’inventaire du patrimoine du quartier de Doulon
2021
En savoir plus
Bibliographie
Association Doulon-Histoire, Les maraîchers du pays nantais, du jardinage au maraîchage, 2009
Maheux Hubert, « Champs ouverts, habitudes communautaires et villages en alignements dans le nord de la Loire-Atlantique : des micro-sociétés fossilisées dans l’Ouest bocager », In Situ [En ligne], 2004 [Consulté le 20 octobre 2021], article en ligne disponible ici
Le Bœuf François, « Les enjeux d’une approche chronologique de la maison paysanne dans les Pays de la Loire », In Situ [En ligne], 2008, [Consulté le 20 octobre 2021], article en ligne disponible ici
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Rédaction d'article :
Julie Aycard
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