Ouvriers de la Manufacture des tabacs
Les manufactures des tabacs comme celle de Nantes étaient bien plus que des industries. C'étaient des lieux communautaires aux nombreux services pour faciliter la vie professionnelle et privée des ouvriers. La manufacture de Nantes est en ce sens un véritable modèle de cet esprit d'aide social puisqu'elle est la première à proposer une société de secours mutuel en 1858, un service de crèche en 1861, et un bureau d'épargne en 1876.
Le travail dans une industrie du secteur public
L'État, en tant qu'employeur, s'attache à fidéliser son personnel en prenant en considération les conditions de travail afin de les améliorer. Des assurances sont rapidement mises en place, ainsi qu'une pension de retraite. Des cours d'alphabétisation pour adultes, soutenus par du personnel de la manufacture, sont aussi proposés dès 1868. En 1873, on compte 700 ouvrières inscrites à ces cours sur 1 117 cigarières dans l'usine. Sur ce principe d'apprentissage, une bibliothèque est aussi mise à disposition des élèves à partir de 1879.
En ce qui concerne les logements, quelques personnes bénéficient d'un appartement sur le lieu de travail. Les appartements des ingénieurs en chef se trouvent ainsi dans les étages supérieurs du bâtiment A, donnant sur le grand boulevard. Le concierge est lui aussi logé dans la manufacture pour en garantir la sécurité. Ses appartements se trouvent au rez-de-chaussée. Le logement ouvrier à plus grande échelle n'existe pas dans les structures des manufactures en France. Ils sont souvent réunis à proximité du lieu de travail, ici sur l'ancien territoire de Toutes-Aides, autrefois rattaché à Doulon, et aujourd'hui territoire de Malakoff.
Toutefois, ces avantages contrastent avec la précarité de l'emploi puisque seul très peu d'ouvriers sont employés à temps complet, la plupart n'étant que des employés temporaires appelés selon les besoins. Malgré le paternalisme de l'État, la manufacture de Nantes reste un lieu de travail précaire où les conditions de travail sont difficiles.
Préparations Générales, ouvrières à leur poste à la Manufacture des Tabacs
Date du document : années 1920
L'organisation stricte de la manufacture
Le travail est conditionné et encadré par des règles strictes. Les absences, la rigueur dans le travail et le comportement au sein de l’usine sont étroitement contrôlés. Si ces règles sont transgressées, cela peut donner lieu à un avertissement, voire à un renvoi. Un système de récompense fondé sur des primes, des distinctions ou des promotions est aussi mis en place pour les bons travailleurs.
Les entrées et sorties des ouvriers se font à horaires fixes, lorsque la cloche retentit chaque matin et soir pour annoncer l'ouverture et la fermeture de la manufacture. Le matin, chaque ouvrier se fait appeler par son numéro de matricule pour vérifier sa présence et se fait fouiller à la sortie le soir. Si un ouvrier se présente à son poste avec du retard, l’équivalent d’une demi-journée de travail est retiré de son salaire. De la même manière, les déplacements internes entre les différents ateliers sont interdits sans autorisation, sous peine d'une punition.
Personnel de la Manufacture des Tabacs sur son lieu de travail
Date du document : début du 20e siècle
La place de la femme ouvrière
Chaque nouvelle cigarière est formée avant son entrée au poste par un apprentissage de deux ans auprès des maîtresses-cigarières au sein de l'établissement. L'âge minimum des ouvrières est de 16 ans, et limité au maximum à 25 ans. Toutefois, d'après une loi de 1874, les ouvrières mineures ne peuvent travailler plus de douze heures par jour.
Par rapport au secteur privé, l’ouvrière dispose de plus d'avantages et de considération. En effet, elle bénéficie de meilleures conditions de travail et d'un meilleur salaire. En 1900, la manufacture de Nantes emploie 1 123 femmes sur un total de 1 214 ouvriers. Les tâches plus difficiles comme la réparation des appareils mécaniques et le port des charges lourdes sont confiées aux hommes. Dans le cadre du travail du tabac, c'est la minutie, la dextérité et le savoir-faire des femmes qui sont appréciés. D'autre part, c'est aussi parce que le salaire des femmes est réduit de 50% par rapport à celui des hommes que les ouvrières représentent une part majoritaire des employés des manufactures.
Dès le 19e siècle, les locaux sont pensés pour cette catégorie de travailleurs, en leur dédiant des sanitaires et vestiaires séparés des hommes. Une crèche est aussi mise en place ainsi qu'une école, ouverte en 1865, pour permettre aux femmes de s'absenter du foyer sans qu'il y ait de conséquences sur la vie de famille. L’accès à l’emploi permet ainsi aux femmes de s’émanciper davantage du foyer.
Crèche de la Manufacture des Tabacs
Date du document : années 1920
La réputation de la manufacture
Travailler à la manufacture était plutôt mal vu par l'ancienne population doulonnaise, très conservatrice, à cause de la mixité sociale et sexuelle. En effet, la manufacture est vue comme un lieu de débauche peu fréquentable pour les jeunes filles. La plupart des ouvriers et ouvrières sont des immigrés bretons venus s'installer précairement sur Toutes-Aides. Leur arrivée provoque une véritable séparation de la ville entre la partie moderne et industrielle de Toutes-Aides et le reste de Doulon, plus rural et maraîcher. De nombreux mariages se forment entre ouvriers et cigarières à l’intérieur de cette communauté. Leur vie au sein de l'industrie contraste avec les mentalités des habitants du Vieux Doulon. Et pourtant, travailler à la manufacture de Nantes, c'est être obligatoirement de bonne mœurs, ne pas avoir de problème avec la boisson et partager les mêmes valeurs politique que l'État. Ainsi, des enquêtes sont scrupuleusement menées sur chaque ouvrier et ouvrière avant leur embauche.
Anaïs Mailet
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2018
Album « Ouvrières et ouvriers »
En savoir plus
Bibliographie
Fièvre Laurent, Les Manufactures de tabacs et d'allumettes. Morlaix, Nantes, Le Mans et Trélazé (XVIIIe-XXe siècles), Presses universitaires de Rennes, 2004 (collection Art & Société)
Retière Jean-Noël, Cartier, Marie, « Écrits d'hier et d'aujourd'hui sur le sexe dans les Tabacs » dans Observer le travail : histoire, ethnographie, approche combinée, Arborio Anne-Marie, Cohen Yves, Fournier Pierre, Hatzfeld Nicolas, Lomba Cédric, Muller Séverin (dir.), La Découverte, 2008, p.77-94 (collection Recherches)
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Rédaction d'article :
Anaïs Mailet
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