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Nomades


Constamment présents dans l’histoire nantaise, les nomades se caractérisent par l’incapacité des sédentaires à les définir autrement que par la notion implicite de différence dans le mode de vie, et par un rejet quasi constant et parfois violent.

La première trace certaine des Bohémiens est pourtant celle d’un pèlerinage au Mont-Saint-Michel, via Nantes, régulier puisqu’il apparaît, au hasard de la conservation des archives, en 1508, 1509 et 1522. Ces Bohémiens n’en sont pas moins traqués, expulsés ou emprisonnés au Bouffay quand on peut s’en saisir et même, en 1682, menacés des galères pour les hommes, de prison et du rasage des cheveux pour les femmes et les enfants, dans une ordonnance de la justice locale qui les définit, banalement, comme « vagabonds, fainéants, gens sans art et sans aveu ». Ils n’en courent pas moins le pays, les campagnes plutôt que la ville, ce qui explique qu’ils laissent peu de traces à Nantes.

Le nomade « moderne » réapparaît dans un contexte de dépression économique et d’essor de la xénophobie, au cours des années 1870. Le Phare de la Loire, en particulier, publie en 1875 un article quelque peu délirant dénonçant les nomades comme espions prussiens : ils arborent des « moustaches blondes », s’habillent « à la façon allemande » et s’organisent d’une manière qui ressemble « à la marche si précise des Prussiens ». L’article entraîne enquête et rapport au préfet sur, en fait, 70 Bohémiens hongrois réunis aux portes de Nantes le temps de la célébration de mariages, mais les stéréotypes les plus grossiers s’y expriment : hideux accoutrement, vol ordinaire, mœurs grossières et même « accouplements » plutôt que mariages…

Carnet d'identité de forain de nationalité française

Carnet d'identité de forain de nationalité française

Date du document : 01-07-1946

L’intérêt policier et journalistique conduit à de vains essais de distinction entre bohémiens, vanniers et chaudronniers, marchands ambulants, et entre origines, polonaise et donc alors russe, bosniaque et donc alors turque, française et donc surprenante. Louis-Henri Durance, ouvrier boîtier de Chantenay, licencié en 1888 en raison de la mécanisation, n’a jamais retrouvé de travail : il est contrôlé en 1895 alors qu’il se rend à Saint-Michel-Chef-Chef pour pêcher des moules, avec son épouse et leurs trois jeunes enfants qu’il pousse dans une petite charrette à bras couverte d’une mauvaise toile.

La charrette a attiré l’attention des gendarmes, qui se focalisent alors sur deux signes : la roulotte et le « camp », à l’exemple de cette cour du 30 quai de Versailles qui réunit neuf voitures logeant par exemple une marchande de peignes, une chanteuse ambulante et un ouvrier chaisier, veuf, qui n’a jamais quitté Nantes. La police tient à jour l’inventaire des lieux de rassemblement, utilise des arrêtés préfectoraux d’expulsion et le carnet anthropométrique imposé en 1912.

Personne alors ne semble percevoir ce mode de vie comme, aussi, celui d’un « quart-monde » de miséreux et de victimes de la vie, pourtant de plus en plus évident quand, après la Première Guerre mondiale, disparaissent quasiment les petits marchands ambulants, italiens pour la plupart. Le ministère de l’Intérieur tente en 1926 de distinguer les forains des nomades, mais n’y parvient guère sur un terrain où sont traités de la même manière un « boxeur forain » comme Primo Carnera, passé à Nantes en 1927, les sept familles Déméter et Vadoche installées au pont de la Moutonnerie, chacune dans sa roulotte, et les « chiffonniers et brocanteurs » considérés comme de petits commerçants. La Ville pense régler le problème par des évacuations forcées et des regroupements au camp Blanchard, ouvert pour les « gens paisibles et propres », et sur un autre terrain route de Roche-Maurice. Mais, en 1938, le commissaire de police de Chantenay note bien que la centaine de personnes vivant sur le terrain de la Fardière viennent d’être expulsées du boulevard Vincent Gâche et ne demandent qu’un lieu de vie permanent qu’elles peuvent payer par leur travail « assez régulier ».

Document d'identité d'une nomade et de son enfant

Document d'identité d'une nomade et de son enfant

Date du document : 1939

Si l’on excepte le cas des Tsiganes, les législations allemande et française sont si proches, en 1940, qu’aucun problème ne surgit. La Troisième République moribonde assigne les nomades à résidence en avril 1940, « pour la durée de la guerre », l’occupant les exclut des zones côtières et souhaite un internement entièrement pris en charge par les autorités du régime de Vichy. Les nomades « et indésirables » nantais sont donc transférés au camp de Moisdon-la-Rivière. C’est l’occasion aussi de régler le sort des plus pauvres sans logement, à l’exemple de résidents du camp de Roche- Maurice, comme ce docker breton qui vit avec ses six enfants dans « une hutte faite de vieilles tôles ». La recherche d’un logement, seul moyen d’échapper à l’internement, conduit à des solutions parfois désespérées, à l’exemple de cette famille de quatorze personnes vivant dans une seule pièce, rue du Marchix, après avoir squatté un immeuble voué à la démolition…

Le camp de Moisdon se révèle tellement insalubre qu’il est évacué pendant quelques mois en 1941, au profit du camp de Choisel à Châteaubriant, avant un transfert définitif des nomades vers Mulsanne (Sarthe) et Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) en 1942. Ils y sont rejoints par la plupart des clochards nantais un temps internés dans des baraques, place de la Petite-Hollande : beaucoup décèdent pendant l’hiver de 1943. L’idée directrice est donc bien celle de « nettoyer la voie publique », selon un document municipal de 1941.

Dessin  <i>La Roulotte</i> 

Dessin  La Roulotte 

Date du document : 1918-1919

Le temps d’après-guerre est celui du retour à la vie libre mais tout aussi précaire : un terrain comme la Fardière ne compte en 1953 qu’un seul point d’eau, deux toilettes, aucun bac à lessive, aucun bac à ordures, pas d’égout. À la fin des années 1960, les conditions matérielles n’ont pas changé, mais l’augmentation du nombre des « nomades » coïncide avec un début d’évolution législative : le Fonds d’action sociale peut désormais s’intéresser aussi à cette population, libérée en outre du stigmatisant carnet anthropométrique en 1969 en échange du choix d’une commune de rattachement. Une tradition d’inhumation et un cabinet fiscal spécialisé à Vallet font que, hors Paris, la Loire-Atlantique est de loin le lieu de rattachement le plus choisi, Nantes en tête. La multiplication des terrains d’accueil, gérés par l’association Le Relais, semble ne plus suffire dans les années 2000, en raison de la profonde évolution culturelle de populations nomades plus exigeantes et aussi de l’arrivée, à partir de 2001, de nouveaux nomades venus de Roumanie, les Roms, particulièrement pauvres, et qui laissent largement démunies les institutions concernées. Les cas les plus criants, à l’exemple du « bidonville » de la carrière de Miséry, sont résolus par des transferts mais, en 2012, les trois aires de séjour officielles n’offrent que 70 places, et à peine 200 dans le reste du territoire de la métropole…

Les populations nomades continuent donc d’être considérées comme « un problème » dont les composantes demeurent, cinq siècles après les premiers Bohémiens, aussi bien l’étrangeté du mode de vie aux yeux des sédentaires que la grande misère sociale et parfois éducative des intéressés.

Alain Croix
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)

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