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Michel Ragon (1924–2020) Nantes la bien chantée : La jardinière de Nantes

Muséum d’histoire naturelle de Nantes


Si au 18e siècle, les explorations maritimes et le goût d’amateurs éclairés favorisent l’émergence de premières collections scientifiques, c’est à partir du 19e siècle que l’on peut évoquer la naissance véritable du muséum d’histoire naturelle de Nantes en tant qu’institution publique. En deux siècles, le muséum connaîtra plusieurs réaménagements et rénovations muséographiques, l’inscrivant toujours plus, tant architecturalement que scientifiquement, dans son époque.

Le premier muséum, rue Saint-Léonard 

L’inauguration du tout premier muséum a lieu le 15 août 1810, dans les anciens locaux de l’école de médecine et de chirurgie ou collège Saint-Côme, construit par Jean-Baptiste Ceineray vers 1770. 

Proche des bords de l’Erdre et du Port Communeau, il a l’avantage, aux yeux des édiles, de se situer dans un quartier populaire, dépourvu de grandes institutions publiques. 

À son ouverture, la foule se presse pour admirer les premières collections, fruit des efforts de son directeur François-René Dubuisson, chargé dès 1806 de faire des acquisitions dans les différentes branches des sciences naturelles. Naturaliste et passionné de minéralogie, l’homme écume la région pour constituer de nouvelles collections. Dès 1810, dans les Étrennes nantaises, civiles et ecclésiastiques, on peut lire cette annonce : « ce cabinet précieux contient un systême complet de minéralogie, classé suivant la méthode de Daubenton ; une conchyologie également complète ; une magnifique collection d’oiseaux presque tous exotiques, des quadrupèdes, des reptiles, des insectes, des poissons ; une riche réunion de polypiers marins, tels que coraux et madrepores, etc. Ce cabinet, formé par les soins de M. Dubuisson, est le plus riche et le plus agréablement varié qu’on puisse voir en France, après le Muséum d’histoire naturelle, à Paris. Il est situé à Saint-Côme, rue Saint-Léonard. »

L’année suivante, l’encart présente les collections en insistant sur l’importance des différentes méthodes de classification en vigueur : « Ce muséum contient un systême complet de minéralogie suivant la méthode de Haüy ; les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les poissons et les zoophites ou animaux plantes y sont classés d’après la méthode de Cuvier, et les mollusques et les insectes d’après celle de Lamarck. » Ce souci de la méthode scientifique reste une constante des décennies suivantes. La présentation des collections au public passe par cette capacité à classer selon des critères d’observation des espèces clairement établis. Aux yeux des scientifiques de ce temps, c’est aussi ce qui différencie le cabinet de curiosités, où le goût de l’étrange pouvait l’emporter, du muséum où l’esprit rationnel s’impose. 

Avec sa coupole, le collège Saint-Côme paraît un bel écrin à ce nouvel établissement. Doté de salles de cours en complément des salles d’exposition, le lieu ouvre deux fois par semaine au public. 

Mais, malgré les apparences, l’hôtel Saint-Côme présente des désordres qui se révéleront par la suite préoccupants : dans cette zone de marais, les murs sont attaqués par l’humidité, ce qui ne peut être idéal pour les collections fragiles de zoologie et de botanique, notamment. 

Le lieu souffre aussi d’exiguïté, amenant la direction à demander des travaux d'agrandissement. La recherche d’un nouveau local est un objectif constant de François-René Dubuisson. Une solution retient son attention : l’installation du muséum auprès du Jardin des Plantes. Le jumelage avec le jardin botanique, deux établissements où l’on étudie et diffuse les sciences naturelles, paraît un bon parti pris. Mais Frédéric Cailliaud nommé directeur du muséum en 1836, lui préfère une autre solution : le transfert sur un nouveau site. Égyptologue de formation, mais aussi spécialiste de minéralogie et de conchyliologie, ce scientifique resté plus de trente ans à la tête de l'institution, consacre ses efforts à la réalisation du nouveau musée. Il n'en verra jamais l'achèvement puisqu'il décède en 1869, six ans avant son ouverture.

Le muséum, un musée moderne dans un quartier neuf 

Aux abords de la place et du théâtre Graslin, le quartier d'implantation du nouveau muséum est alors en pleine expansion et sa population avant tout bourgeoise en fait un lieu privilégié et attractif. Dans ce quartier, un bâtiment vacant représente une opportunité : l’ancien hôtel des Monnaies construit par Antoine Gengembre entre 1821 et 1826. Après la fermeture de l’atelier des Monnaies en 1837, l’édifice avait accueilli provisoirement le Palais de justice, en attendant la fin des travaux du tribunal place Lafayette. En 1855, après le départ du palais de justice, le Conseil municipal décide d’y installer l’école préparatoire à l’enseignement supérieur des sciences et des lettres à laquelle il prévoit d'associer le muséum. Pour la municipalité, « il est impossible de séparer ces deux établissements. Ils ne doivent former qu'un tout nécessaire indispensable même à l'étude des sciences. » (Délibérations du Conseil municipal du 17 mars et du 14 mai 1855)

Cependant, il faudra attendre encore quinze ans avant que ne se réalise ce dessein. Entre temps, l’architecte Gustave Bourgerel qui proposait d’adjoindre au muséum et à l’école des sciences, un troisième établissement - la bibliothèque municipale -, est amené à revoir sa copie. Le projet retirait toute possibilité de créer un espace public, jugé indispensable dans ce quartier résidentiel. 

Le Conseil municipal est également réticent à porter un proposition aussi ambitieuse, faute de financements. Revenue à un programme associant le muséum à l’école des sciences, la Ville lance les travaux en 1868, mais la guerre franco-prussienne retarde le chantier. Par ailleurs, l’architecte Gustave Bourgerel doit une nouvelle fois modifier ses plans pour tenir compte des remarques de la commission des bâtiments civils qui émet quelques réserves sur le traitement du raccordement entre les deux bâtiments du muséum et de l’école des sciences. 

La particularité du projet architectural tient en effet à l’adjonction d’un bâtiment neuf accolé à l’ancien hôtel des Monnaies. Rue Voltaire, l’école des sciences investit la Monnaie, reconnaissable à son entrée monumentale et à sa coupole où sera logé le grand amphithéâtre. Place de la Monnaie - aujourd’hui le square Louis Bureau -, le muséum s’offre une aile neuve dont la façade monumentale ouvrant sur un péristyle, est ornée d'un fronton à la gloire des Sciences, sculpté par Guillaume Grootaërs.

Le chantier de l’édifice est achevé en 1872 mais il reste à réaliser les aménagements intérieurs, à créer un mobilier spécifique et poursuivre la préparation de la présentation des collections. 

1875 : L’ouverture du nouveau muséum d’histoire naturelle 

Enfin, après vingt ans d’attente, le nouvel établissement est inauguré le 19 août 1875, au moment où se réunit à Nantes le congrès national pour l’avancement des Sciences. La Ville a tenu à faire coïncider les deux événements afin de donner une importance nationale aux actions municipales menées en faveur des Sciences.

Dans son discours inaugural, le conservateur Édouard Dufour insiste sur la nécessité de poursuivre le travail d’enrichissement et de classification des collections en vue de tenir cette ambition. « Après vous avoir dit en quelques mots ce que j'ai fait, vous dirais-je ce qui me reste à faire : révision, détermination et classement des collections générales d'espèces, dix fois plus nombreuses pour les minéraux, les insectes, les coquilles vives et fossiles, que celles exposées, qui ne représentent que des types de genres ; rédaction des étiquettes, toutes à refaire, pour des raisons qui ne sont pas seulement scientifiques ; enfin, confection des catalogues méthodiques et accroissement des collections.
Voilà du travail pour toute une vie, et je n'aurais qu'une ambition, ce serait de pouvoir consacrer exclusivement à l’œuvre de que j'ai commencée, toute l'activité qui me reste et une certaine expérience acquise. Je serais fier, enfin, de pouvoir doter d'un établissement digne d'elle, notre ville, appelée à devenir un foyer intellectuel, comme elle a toujours été un centre industriel et commercial. " (Le Phare de la Loire 21 août 1875)

Édouard Dufour, chimiste de formation, consacrera le reste de sa vie professionnelle à cette mission, tout comme son successeur, Louis Bureau, à l’origine médecin, qui par ses voyages et ses relations scientifiques (notamment son frère Édouard, professeur de botanique au muséum d’histoire naturelle de Paris), enrichit considérablement les collections du muséum, notamment celles d’ornithologie.

Des évolutions aux 20e et 21e siècles dans la continuité

Depuis son ouverture, le muséum a rempli ses missions de recherche, de diffusion des savoirs, d’éducation aux sciences de la vie, en faisant évoluer les lieux sans renoncer aux héritages. 
Le travail colossal d’Édouard Dufour se poursuit en ce début de 21e siècle, par un enrichissement raisonné des collections en adéquation avec les lois de protection de la Nature qui ont émergé durant le 20e siècle. Le patrimoine scientifique du muséum de Nantes a été estimé à environ 1,5 millions de spécimens ; dans certains domaines les inventaires sont toujours en cours et alimentent la connaissance des collections conservées depuis l’origine du muséum. 

Cette pérennité des missions s'inscrit dans une architecture qui, tout en s'adaptant aux besoins d'accueil du public, a conservé jusqu'à aujourd'hui sa forme originelle. Ainsi, dans les années 1970, après le départ de l’école supérieure de commerce qui occupait les bâtiments de l’ancienne école des sciences depuis 1901, le muséum profite des espaces laissés vacants pour s’agrandir. Il faut attendre dix ans pour que le musée, dans sa nouvelle configuration, soit inauguré. Le musée s’étend alors côté sud, ce qui permettra au fil du temps d’y installer des bibliothèques, un vivarium, une salle d’exposition... De l'extérieur, le changement le plus perceptible se voit rue Voltaire : l'entrée principale du muséum reconnaissable à son nom gravé dans la pierre, se fait désormais par cette rue. L'entrée historique côté square ne sera réinvestie qu’en 2000, tout en conservant néanmoins l’accès côté rue.  

Au cours du 20e siècle , les aménagements intérieurs et le parcours muséographique connaissent plusieurs transformations dans un souci d’adaptation. Dès l'entre-deux-guerres, la préoccupation du nouveau directeur, Ernest Marchand, est de pouvoir offrir un musée attractif et instructif pour le public ; l'expression de « gros public » fait son apparition, la place du visiteur devient centrale. Les musées commencent à s’ouvrir à ce que plus tard les professionnels nommeront « le grand public » et aujourd’hui, plus simplement, « les publics » afin de témoigner de la diversité des visiteurs et visiteuses. 

Cette nouvelle dimension didactique amène à revoir une partie de la muséographie, dont la presse se fait l'écho : « M. Marchand a réorganisé le musée entier. Là où il y avait de la confusion, de l'à peu près, du provisoire, pour tout dire, il a apporté de l'ordre, de la clarté, de la vie. Un muséum d'histoire naturelle peut donc être vivant, captivant pour le profane ? Je fais mieux que de le penser, je l'affirme pour avoir visité au commencement de cette nouvelle année scolaire les diverses salles ouvertes au public. […] Tout est clair, net.[...] Chaque individu, si humble et si ignoré soit-il, a sa fiche qui nous fait connaître ses mœurs, sa nourriture, son habitat, s'il y a lieu ses migrations. À côté une petite carte géographique ... » (Le Populaire du 31 octobre 1923)

Ce travail pédagogique est poursuivi dans les décennies 1970-80, notamment sous l'impulsion de Jacqueline Beaudouin-Bodin, première femme à devenir directrice d'un muséum en France en 1954. Dans les années 1970-80, un nouveau mobilier est commandé et de nouvelles vitrines laissent place à un choix de spécimens plus sélectif et une mise en scène mieux adaptée au goût du grand public.

Les années 2000 voient se poursuivre le travail de modernisation, notamment avec la création d'une salle d'exposition temporaire. En 2008, la rénovation de la galerie de zoologie permet de réagencer la collection d’animaux selon la classification actualisée reflétant les relations évolutives entre les espèces. 

Le réaménagement de la galerie des sciences de la Terre en 2009 met en valeur les collections de minéraux et de météorites et rapproche les publics du monde minéral en les autorisant à toucher les spécimens présentés.

Pour autant, depuis quelques années, malgré les travaux de modernisation des dernières décennies, le musée souffre d’un vieillissement certain et ne pourra continuer à remplir ses fonctions sans une restructuration profonde.  

Comme aux siècles précédents, le muséum a l’ambition de présenter la science de son temps. S’il existe un corpus de connaissances aujourd’hui irréfutable, la science continue de se construire, avec de nouveaux enjeux de compréhension du monde. Ces enjeux sociétaux et environnementaux amènent à repenser notre relation au vivant et la manière de l’aborder avec le public. Aussi, le muséum de la métropole de Nantes va bénéficier à partir de 2025 d’un grand programme de rénovation et d’agrandissement, lui permettant de doubler ses espaces de présentation pour en faire un musée du 21e siècle et offrir un nouveau parcours muséographique en phase avec le monde contemporain.

« Habiter la Terre, demain » en constitue la problématique centrale. Dans une esthétique faisant référence au muséum du 19e siècle, en s’appuyant sur les collections patrimoniales, le nouveau parcours proposera aux publics un voyage des débuts de l’Univers jusqu’aux environnements actuels en suscitant plaisir de la découverte et questionnements. 

Irène Gillardot, Direction du patrimoine et de l’archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole
Sylvie Le Berre, Muséum d’Histoire Naturelle, Nantes Métropole
2025

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Rédaction d'article :

Irène Gillardot, Sylvie Le Berre

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