Mi-Carême
Les premières mascarades de Carnaval prennent, à Nantes, la place de la Fête des fous au 16e siècle. Elles célèbrent la fin de l’hiver et s’y exhibent charivaris, masques et travestis. Le calendrier chrétien cautionne leur caractère de licence aux Jours gras et au milieu du jeûne du Carême. À Mardi-gras, à la Mi-Carême, les Nantais festoient en place publique : carne vale, adieu la viande. Et au terme d’un procès enjoué, le mannequin de Carnaval, dont on brûle aujourd’hui encore le char à la fin du défilé de nuit, finit sur son bûcher où grillent les viandes de la ripaille
Défilé de la Mi-Carême rue Crébillon
Date du document : 1895
Une parodie de l'ordre social
Les transgressions qu’elle libère font que le peuple se reconnaît dans cette fête de l’impertinence et du grotesque, où le puissant devient vil et le sacré profane. Elle est aussi subtilement celle de l’ambivalence et du renversement des rôles que l’on retrouvent dans les déguisements et l’inversion des valeurs, qui n’ont eu de cesse de raviver ses usages festifs mais aussi sociaux. Vers 1750, les « bas quartiers » pénètrent en farandoles joyeuses dans les bals masqués et parés du centre ville. Célébrant le corps - pas celui qui mange, l’autre ! – une « infâme mascarade » surgit même déguisée en « moines grotesques » et surtout « en derrières avec toutes leurs dépendances... ».
Les « barbares », comme on les voit alors, sont dans la place et font peur à la Bourgeoise qui, remise de ses émotions et masquée, pourra s’étourdir dans les mascarades de rue ou la promiscuité ouverte des bals.
Défilé de la Mi-Carême
Date du document : 01-04-2012
Au 19e siècle, quai de la Fosse, derrière des cavalcades, les masques à pied d’une foule populaire et bourgeoise s’interpellent avec insolence et ironie. À la Belle Epoque, place Graslin, au Café de France ou au Molière, l’inversion des rôles et les rencontres des populations décalquent et décalent les rapports sociaux – contagion du champ politique. Elles tournent souvent au règlement de compte lors de batailles d’oranges, vecteurs symboliques de la lutte des classes. Si la fête résonne d’accents divergents, elle ne menace, toutefois, que parodiquement l’ordre social. Elle le transgresse provisoirement. C’est la fête – et non le pouvoir – qui est dans la rue.
Les édiles, les élus l’ont compris. Comme l’écrit Georges Duby : « La fête leur doit l’essentiel : l’efflorescence de sa légende , la musique, les paroles de ses chants, le piquant de ses parures, le ceinture de surveillance enfin qui, discrètement circonscrivant l’aire du désordre, le contient dans les limites du tolérable »
Affiche,  Carnaval à Nantes 
Date du document : 1895
Ainsi, autour des années 1880, se met en scène, à Nantes, la Mi-Carême moderne qui supplante Carnaval. Elle imagine et invente son effervescence figurative : grosses têtes, fanfares, défilés où les chars font leur entrée : celui des blanchisseuses, ces « poules d’eau » comme on les surnomme alors, puis celui le premier porteur de « réclame » et en 1896 celui des reines de la Mi-Carême, lavandières de la Sèvre ou de l’Erdre, symboles de la jeunesse et de la beauté, « fleurs de lessive » comme l’écrit joliment le poète Yves Cosson. J-L Hubert rendra hommage à l’une d’elles, la superbe métisse Mireille Joséphau, dans son film La Reine Blanche. On sait aussi l’attachement de Jacques Demy à l’univers poétique et festif de la Mi-Carême dont on retrouve l’influence certaine dans nombre de ses films, ce que montre sa compagne Agnès Varda dans Jacquot de Nantes.
Tandis qu’un concours du Beu’gras réjouit le marché de Talensac au début du 20e siècle, en 1924 un Roi Carnaval, le journaliste Cadet, est choisi par le Comité des fêtes : cette Majesté du moment représente les milieux du commerce, du sport et de la presse locale.
Mi-Carême, le cauchemar d'une blanchisseuse
Date du document : 1921
Le temps des carnavaliers est-il révolu ?
Les carnavaliers, créateurs bénévoles des défilés et les costumiers donnent naissance à des dynasties : les Maussion, les Peignon, dont la maison Peignon-Costumiers est créée dès 1853, comme maintenant les Duret, les Dupouet ou les Vaccaro. Il faut, après 1945, tout le talent du droguiste Aimé Delrue et de Joseph Peignon pour que renaisse la Mi-Carême. Et les Nantais des années 50-60, déguisés, dansent et chantent sur des lits de confettis, rue Crébillon et Place Royale.
Huile sur toile,  La Mi-Carême 
Date du document : 1928
Spectateurs des défilés, ont-ils toujours aujourd’hui cette envie du défoulement collectif et de l’inversion carnavalesque ? Et les carnavaliers, parvenus au sommet de leur art, celle de raviver leurs transgressions, la licence et la satire ?
En 1927, le maire et son conseil municipal interdisent un char évoquant une affaire de mœurs, impliquant des notables nantais du commerce et des jeunes femmes, au château de La Close. Pour le bicentenaire de la Révolution française, un char présentant seulement les têtes coupées d'anciens rois carnavals a été refusé suite à des pressions venues de certaines autorités militaires ou religieuses. L’ombre des rivalités entre « Bleus » et « Blancs » rôderait-elle encore à Nantes autour des défilés de rue ? Plus récemment, un char traitant de la sulfureuse réputation d’antan du quai de la Fosse et du statut de la femme a été écarté.
Huile sur toile, Le carnaval de Nantes, Michel Noury
Date du document : 1938
Fleuron de la culture populaire, la fête, à nouveau Carnaval de Nantes depuis 1989, est confrontée à son identité et à son avenir. Celle-là saura-t-elle affirmer sa légitimité et conserver sa place dans l’imaginaire nantais parmi les formes nouvelles de spectacles de rue ?
Marc Grangiens
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)
Album « Une histoire de la Mi-Carême à Nantes »
En savoir plus
Bibliographie
Belfond Jean, Vieux carnavals nantais, Impr. armoricaine, Nantes, 1930 (rééd. Coiffard, Nantes, 1998)
Le carnaval de Nantes en 500 cartes postales et photographies anciennes, Comité des fêtes et de Bienfaisance de Nantes, Nantes, 1984
Grangiens Pascale, « Mi-Carêmes et carnavals », dans Guyvarc’h, Didier (dir.), La mémoire d’une ville : vingt images de Nantes, Skol Vreizh, Morlaix, 2001, p. 90-97
Michel Pascal, De la Mi-Carême au carnaval de Nantes : la passion des carnavaliers de 1947 à 2010, PM Prod, Nantes, 2010
Ollivier Annie, « Le carnaval à Nantes », dans Le rêve d'une ville : Nantes et le surréalisme, catalogue d'exposition, Réunion des musées nationaux, Paris, Musée des beaux-arts de Nantes, Nantes, 1994
Webographie
Nantes, la métamorphose d'une ville - Auran/Ina : Le carnaval de Nantes
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Rédaction d'article :
Marc Grangiens
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