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Marché de Zola Solidarité pendant la Première Guerre mondiale

1476

Ancienne manufacture royale de Corderie


Au temps de la marine à voile, la présence d’une corderie à Nantes est un enjeu capital pour le dynamisme de son port.

De l’atelier familial…

Dès le 17e siècle, un petit établissement s’est installé dans l’île de la Saulzaie (actuelle île Feydeau) sous la responsabilité d’une famille, les Brée, arrivée d’Irlande vers 1650. Le plus ancien représentant de cette famille connu à Nantes est Nicolas Brée, marchand cordier.

Ce premier atelier fonctionne assez longtemps sur les bords de la Loire, mais la famille Brée vient s’installer vers 1720 dans un quartier de grandes propriétés dominant la Fosse et situé près du bois de la Touche. Ce nouvel emplacement paraît peut-être éloigné du port, mais il rapproche les Brée de leurs frères irlandais puisque le manoir de la Touche (actuel musée Dobrée) sert de séminaire à des prêtres irlandais en exil.

… à l’entreprise d’État

C’est une période de grande activité pour la corderie qui se présente comme un bâtiment industriel couvert tout en longueur. Sans atteindre les 374 mètres de la corderie de Rochefort-sur-Mer, l’établissement de Nantes est long de 250 mètres. Cette corderie occupe une grande superficie comprise entre la rue Voltaire et la place de l’Édit de Nantes. Elle n’est pas entourée de murs.

La corderie Brée, qui emploie vers 1740 environ 200 ouvriers, est désormais dirigée par deux associés, Jean-Pierre Brée, descendant du fondateur, et René Bodichon, également marchand cordier. Les deux familles sont d’ailleurs alliées. En effet, en mars 1745, en la chapelle des Dames religieuses du Calvaire, paroisse de Saint-Nicolas, est célébré le mariage de Jean-Pierre Brée et de Charlotte Bodichon, sœur de René, qui sont dits « domiciliés au bois de la Touche ». Parmi les témoins de ce mariage, on relève des membres de la famille Perrée de la Villestreux, grand nom du haut commerce nantais.

L’activité de la corderie paraît d’abord concentrée sur la fabrication des cordages pour la marine marchande, puis pour la marine de guerre, notamment au cours de la guerre de Sept ans (1756-1763). On sait que la manufacture Brée & Bodichon a fourni des câbles pour le service des vaisseaux immobilisés dans la Vilaine après la désastreuse bataille des Cardinaux et pour des frégates armées à Nantes.

Elle a aussi livré des cordages pour le gréement de six prames de construction nantaise et pour les dernières flûtes armées en septembre 1762. Durant cette période, 300 000 tonnes de cordages ont été fabriquées en trois semaines.

Cette activité a assurément valorisé la corderie. Ceci explique qu’en 1767 est publié un arrêt du Conseil d’État permettant à Jean-Pierre Brée et René Bodichon, son beau-frère et associé, auxquels le roi veut donner des marques de sa satisfaction, de placer sur les portes de leur établissement l’inscription « Manufacture royale de corderie ». Il consacre la notoriété d’une entreprise qui apparaît sur les plans de l’époque sous le nom de « Grande Corderie ».

Une activité florissante

Cette manufacture, dont l’entrée principale se trouve sur l’emplacement actuel de la place de l’Édit de Nantes, s’étire tout en longueur. Elle comprend en fait deux grandes corderies couvertes, dispose de 2 pompes à feu et de 17 magasins pour les chanvres et les goudrons. Trois autres corderies extérieures en dépendent, mais l’essentiel de la fabrication est concentré dans les bâtiments principaux.

On peut encore retrouver aujourd’hui, ici et là, dans ce quartier du centre de Nantes, des traces de la corderie : restes de magasins avec leurs portes cintrées, petites maisons au fond d’une cour pavée qui a dû abriter les locaux commerciaux de la corderie avec les bureaux de l’écrivain de marine. Ce dernier administre cette société industrielle, désormais entreprise d’État. La fabrication des cordages reste du ressort des maîtres cordiers et d’un maître goudronnier.

On se plaît à imaginer l’intense activité qui règne alors dans ce quartier : les diverses étapes de la fabrication des cordages, leur transport vers le port en utilisant les actuelles rues Rosière d’Artois et de la Verrerie pour parvenir à la Fosse. On mesure aussi tous les embarras que peut provoquer ce transport, les nombreux différents avec les riverains qui déplorent que les chemins soient défoncés. On peut enfin rappeler la visite faite de la corderie par Louis-Antoine de Bougainville en 1766 lors de l’armement de la « Boudeuse », mise en chantier à Indret et gréée à Nantes avant de partir pour ce premier voyage autour du monde.

Un déclin assez rapide

Ce bon niveau de développement se poursuit au cours des années suivantes et se maintient pendant la guerre d’Indépendance américaine (1778-1783). L’entreprise est toujours familiale. Jean-François Brée est mort, semble-t-il en 1782, mais son beau-frère René Bodichon est encore en vie. Il est soumis à l’inspection très stricte des cordages, et il se plaint que le chanvre qu’il utilise soit reconnu de qualité inférieure et ne puisse pas être employé pour la fabrication des câbles !

Dès cette époque, la corderie semble connaître quelques difficultés. La disparition des deux associés correspond à une baisse générale d’activité. En 1788, on compte à Nantes 600 ouvriers cordiers, dont toujours 200 chez Brée & Bodichon, mais simplement 100 dix ans plus tard pour l’ensemble du port… Les causes de cette baisse sont d’une part la révolution de Saint-Domingue, mais aussi la trop lente modernisation industrielle de Nantes qui ne s’est pas adaptée aux dernières innovations. On peut encore ajouter les profondes modifications du quartier à la suite des constructions menées par le financier Graslin.

Par ailleurs, il semble y avoir eu un problème de succession. En 1796, un très gros négociant nantais, Jean-Joseph Arnous se serait associé avec François Brée, avocat, un des fils de Jean-Pierre qui est aussi en charge de « la plus grande entreprise de cordages de la ville ». Ce François Brée a un gendre, Félix Cossin, armateur qui, dès 1793, a armé plusieurs bateaux corsaires, dont le célèbre « Clarisse » de Surcouf, mais qui a aussi suscité de profondes jalousies à Nantes. Toujours est-il qu’il est accusé en 1800 d’avoir mis le feu à la corderie pour ne pas rendre à l’État du chanvre sur lequel il avait versé une caution. Cette information confirme l’incendie, vers 1799-1800, d’une manufacture déjà à l’abandon depuis plusieurs années.

C’est peu après que meurt à Nantes, le 2 décembre 1803, âgée d’environ 80 ans, Charlotte Bodichon, veuve de Jean-Pierre Brée (directeur de la corderie, et sœur de son associé René Bodichon). Avec elle disparaît un dernier témoin de la grandeur de cette époque. Cette mort reste discrète car la défunte n’est entourée que de voisins, dont un ancien cordier. On peut toutefois observer qu’habitant la rue Racine, elle n’a pas quitté le quartier de la corderie.

La manufacture royale de la corderie de Nantes ne sera jamais reconstruite, et durant la première moitié du 19e siècle, il n’est souvent question dans les archives que des « ruines d’une ancienne corderie », dont le portail d’entrée est détruit en 1830-1831.

Article extrait de La Lettre de Nantes Renaissance, n°70, avril 2008

Gildas Salaün
Nantes Renaissance
2008

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