Juifs
La pratique du judaïsme est attestée depuis le début du 13e siècle, puisqu’en 1222 le duc de Bretagne Pierre Mauclerc confirme à l’évêque qu’il lui appartient bien de prélever des droits sur les juifs résidant dans son fief.
Les juifs bénéficient donc d’un statut particulier, ont leur cimetière propre acheté en 1231, et disposent même d’un représentant, le « sénéchal des juifs », un certain Triscan en 1235. C’est très vraisemblablement cette présence qui explique l’existence d’une rue de la Juiverie.
Pogrom, expulsion, absence...
Cette présence est cependant très éphémère. En 1236, des croisés, mobilisés en vain – la Croisade ne partira jamais – par le pape Grégoire IX, se livrent à un pogrom, dont nous reste un récit particulièrement horrible sans que nous sachions toutefois si les détails s’appliquent à Nantes ou à l’Anjou. Le retentissement du drame est national, le pape condamne mais, en 1240, le duc Jean Ier le Roux expulse tous les juifs de Bretagne et amnistie les criminels de 1236. C’est la fin de toute présence juive pour cinq siècles, même si certains Portugais installés à Nantes à partir de la fin du 16e siècle et d’ascendance juive ne sont probablement convertis au christianisme qu’en apparence.
Quelques marchands juifs passent brièvement à Nantes au cours du 18e siècle, et sont victimes de tracasseries de la part de la Ville, de jalousies de la part de marchands installés, et d’un mépris qu’exprime bien en 1728 le maire Gérard Mellier en évoquant les « juifs et autres étrangers ». Quelques-uns – on connaît cinq cas – cèdent à la très forte pression sociale et se convertissent, et le Parlement de Bretagne prononce une nouvelle expulsion en 1780, très théorique : même en 1808, la ville ne compte encore que 25 juifs.
Entre-temps est intervenue cependant une reconnaissance légale avec l’attribution de la citoyenneté de plein droit en 1790, suivie en 1808 d’une forme d’assimilation qui implique la prise d’un prénom et d’un nom de famille comme les autres Français.
Parchemin d'une quittance du juif Jacob
Date du document : 1235
1852-1939 : la difficile insertion
Le nombre des juifs ne progresse que lentement au 19e siècle, jusqu’à atteindre un peu moins de 200 personnes vers 1900, si bien que l’établissement d’un culte est difficile : une vraie synagogue, rue de la Rosière d’Artois, remplace en 1852 seulement la « misérable chambre » de l’appartement d’un particulier, avant l’installation en 1870 sur le terrain de la rue Copernic, avec l’aide de l’État et surtout de la Ville. Le rabbin nommé en 1838, Abraham Lévy, n’est de même qu’un commerçant en faillite qui ne peut vivre qu’avec des secours municipaux. Malgré cette discrétion, le projet de construction de la synagogue de la rue Copernic se heurte à une pétition de notables nantais et, en 1898, les « magasins juifs » sont attaqués par des milliers de manifestants, dans le contexte de l’affaire Dreyfus.
Les juifs nantais sont alors presque tous des commerçants, à demeure ou ambulants, sous la houlette du président de la « communauté israélite », Mayer Marx, fondateur d’un magasin de confection, et du rabbin Samuel Korb qui, en 47 ans d’exercice (1882-1929), fait beaucoup pour une parfaite insertion. Mais il n’est pas remplacé : l’association israélite ne compte à sa mort que 102 cotisants, une faiblesse qui témoigne d’une baisse de la pratique religieuse et aussi de la diversification des juifs qui, à la veille de la guerre, sont aussi médecins, directeur des Brasseries de La Meuse, employés, ouvriers dans la métallurgie ; qui, aussi, sont en nombre croissant des réfugiés d’Europe orientale et centrale, bien plus souvent laïcs, à l’exemple de ces 310 juifs allemands qui passent par Nantes en mai 1939 avant de s’embarquer sur le Flandre à Saint-Nazaire pour Cuba et, pour 91 d’entre eux, d’être rejetés faute de fonds suffisants et de rentrer en Pays nantais avant de finir dans les camps nazis.
La terrible épreuve de 1940-1944
En septembre 1940 commencent en effet, à Nantes comme ailleurs, quatre années de persécutions organisées par huit ordonnances de l’occupant allemand, mais aussi par des lois et ordonnances françaises. Les juifs sont progressivement exclus de toute vie sociale, dans des formes qui, en outre, sont perçues comme très humiliantes parce que sans justification possible, à l’exemple de la confiscation des postes de radio en août 1941 et de la suspension des abonnements téléphoniques en avril 1943. Ces mesures s’accompagnent de la spoliation des biens et trouvent leur couronnement matériel et symbolique dans l’obligation du port de l’étoile jaune en mai 1942.
Une partie des juifs nantais, ceux qui étaient arrivés récemment surtout, tentent d’abord de fuir en zone « libre » : de 716 juifs enregistrés en octobre 1940, il n’en reste que 484 en juillet 1941, et 126 étoiles jaunes « seulement » sont attribuées. Ce dernier chiffre doit être rapproché du nombre des 121 qui sont déportés, presque tous vers Auschwitz, à la suite des rafles opérées par la police nantaise le 15 juillet 1942 puis, notamment, en octobre 1942 et janvier 1944 : quasiment aucun de ces juifs ne reviendra, et la quasi-totalité des juifs présents à Nantes à l’été 1942 – de 2 à 92 ans – a donc été exterminée.
Carte d'identité de Kreima Rachovitch
Date du document : 19-01-1943
Cette traque a été possible grâce à des mesures de recensement prises dès octobre 1940, sur la base de déclaration volontaire, et aussi grâce à la minutie avec laquelle l’administration et la police établissent et recoupent des états nominatifs en fonction de divers critères. Elle s’accompagne de profits parfois énormes réalisés par les quatre « administrateurs provisoires » nommés pour gérer les « biens juifs », et ensuite par les acquéreurs de ces biens, le plus souvent des commerçants nantais. Il semble, en revanche, que l’opinion publique ait été choquée par les premières mesures visant les commerçants juifs, que quelques individus, policiers ou fonctionnaires, aient ensuite délibérément commis des « négligences », et Nantes compte un couple – deux personnes seulement…–, Charles et Charlotte Fuller, reconnus comme Justes parmi les nations pour avoir sauvé des enfants juifs.
Une mémoire absente ?
Nantes s’est construite après 1945 une mémoire résistante dans laquelle les victimes juives n’avaient pas leur place. Même la plaque posée dans la synagogue ne porte que 73 noms, et il faut attendre 1992 pour qu’une plaque, sur le site du monument des Cinquante otages, évoque les persécutions du régime de Vichy. Personne, de toute évidence, n’a souhaité faire réellement vivre cette mémoire. Aujourd’hui, les juifs de Nantes vivent dans une totale discrétion, et la synagogue, pour des raisons de sécurité, est le seul lieu de culte nantais qui soit fermé au public…
Alain Croix
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)
En savoir plus
Bibliographie
Croix, Alain (coord.), Nantais venus d’ailleurs : histoire des étrangers à Nantes des origines à nos jours, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2007
Lambert, Annie, Toczé, Claude, Être juif à Nantes sous Vichy, Siloë, Nantes, 1994
Lambert, Annie, Toczé, Claude, Les Juifs en Bretagne (Ve-XXe siècles), Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2006 (coll. Mémoire commune)
Nedjar, Liliane, L'ancien cimetière israélite de Nantes (Loire-Atlantique) 1846-1992, Cercle de généalogie juive, Paris, 2018
Yagil, Limore, « Sauvetage des Juifs dans la Loire-Inférieure », dans Histoire du sauvetage des Juifs dans la région d'Angers : Indre-et-Loire, Maine-et-Loire, Sarthe, Mayenne et Loire-Inférieure, 1940-1944, Geste éd., La Crèche, 2014, p. 257-311
Webographie
Mémorial virtuel des déporté.es de Loire-Inférieure sur le site internet de l’AFMD44
Pages liées
Tags
Contributeurs
Rédaction d'article :
Alain Croix
Vous aimerez aussi
Usine des eaux de la Roche
Architecture et urbanismeLa Régie de l’eau de Nantes Métropole, située boulevard Sébastopol est une des plus anciennes industries nantaises encore en activité. Depuis sa construction au cours du 4e quart du...
Contributeur(s) :Anaïs Mailet , Noémie Boulay
Date de publication : 13/10/2020
5039
La Cloche
Société et cultureVider un bock de bière ou une fillette de muscadet, fumer une pipe, un cigare ou une cigarette en écoutant les histoires ou élucubrations de diseurs et autres chansonniers, voilà la...
Contributeur(s) :Stéphane Pajot
Date de publication : 06/11/2023
677
Tour de l’Éraudière
Architecture et urbanismeLa rue de Coëtquelfen, c’est une partie du vieux chemin de l’Éraudière, dans ce quartier nantais de la rive gauche de l’Erdre. On peut y voir une petite tour qui semble très ancienne...
Contributeur(s) :Louis Le Bail
Date de publication : 11/12/2020
1625