Rue de la Juiverie
La rue de la Juiverie est l’un des derniers témoins de la ville médiévale. Son évolution illustre les transformations urbaines qui ont eu lieu depuis la fin du Moyen Âge.
La communauté juive à Nantes au Moyen Âge
La rue de la Juiverie témoigne de la présence d’une communauté juive à Nantes à l’époque médiévale. Celle-ci est attestée par un traité signé en 1222 entre le duc de Bretagne et l’évêque de Nantes dans lequel Pierre de Dreux reconnaît à l’ecclésiastique les mêmes prérogatives que celles accordées à ses prédécesseurs, y compris à l’égard des Juifs. En 1231, un terrain situé à proximité des remparts de la ville est vendu pour la création d’un cimetière juif. Cet acte tend à montrer que les Juifs sont implantés dans la région nantaise de manière durable.
À partir du 11e siècle, la situation des Juifs dans l’Occident chrétien se dégrade. En 1182, le roi Philippe Auguste ordonne leur expulsion du royaume de France et leur spoliation. En Bretagne, les manifestations antijuives s’accroissent dans les années 1230 avec le lancement d’une nouvelle croisade à laquelle participe Pierre de Dreux, libéré de ses obligations de régent du duché à la majorité de son fils. Des pillages et meurtres sont attestés dans le duché.
En avril 1240, les représentants de l’Église, de la noblesse et des notables des villes se rassemblent à Ploërmel. Cette assemblée demande au duc Jean Ier le Roux d’expulser les Juifs de Bretagne, accusés de ruiner les nobles et marchands du duché par « l’inclémence et la cruauté de leurs usures ». Cédant à leurs vœux, Jean Ier le Roux acte le bannissement des Juifs de son duché et l’annulation des dettes, gages et hypothèques contractés auprès d’eux par la signature de l’ordonnance de Ploërmel le 10 avril.
Ordonnance de Ploërmel
Date du document : 10/04/1240
Cette décision s’inscrit dans le contexte d’essor économique de la Bretagne, et plus généralement de l’Europe occidentale et méditerranéenne. Les échanges commerciaux se multiplient et nécessitent un apport de capitaux important. Les marchands doivent emprunter de l’argent auprès de créanciers Juifs, mais aussi d’autres individus et communautés. En outre, cette activité financière est souvent couplée à des activités marchandes. Certains nobles contractent également des dettes pour faire face à des dépenses militaires et somptuaires. L’expulsion des Juifs du duché et l’annulation des créances représentent pour les marchands et les nobles une aubaine pour se débarrasser d’une partie de la concurrence et se libérer de leurs dettes. À ces motifs économiques et financiers peuvent s’ajouter des motifs religieux (accusations de déicide, de blasphèmes, de meurtres rituels d’enfants chrétiens…) qui se répandent dans le monde occidental chrétien.
Un témoin de la cité médiévale
Jusqu’au 18e siècle, Nantes est une ville fortifiée et les remparts imposent de fortes contraintes sur l’urbanisme. La rue de la Juiverie, l’une des plus anciennes de Nantes, constitue un précieux témoin de la ville médiévale. Ses bâtiments sont élevés sur un parcellaire étroit en lanières, perpendiculaire à la rue. Cette configuration est moins visible aujourd’hui en raison des nombreux travaux d’urbanisme qui ont touché le quartier au 18e siècle.
Rue de la Juiverie et Beffroi de Sainte-Croix
Date du document : Début 20e siècle
La maison à pans de bois qui s’élève au n°7 est un rare exemple nantais de maison typique de l’époque médiévale. La construction, étroite en pignon, s’étend en profondeur. Elle comporte trois étages, dont deux en encorbellement, ce qui permet de gagner de l’espace et de prévenir les ruissellements d’eau de pluie sur la façade. Son soubassement est en pierre afin d'éviter les remontées d'humidité. Sous les fenêtres à traverse et meneau, les pans de bois sont disposés en croix de Saint André tandis que les vides sont remplis de briquettes montées à la chaux. Cette structure permet de rigidifier le mur. Certains culots des consoles sont sculptés d’animaux fantastiques ou végétaux et de têtes humaines dont il reste peu de traces. Cette maison constitue l’un des principaux types d’habitation de la ville médiévale : celui alliant à la fois une boutique et un habitat. Elle est aujourd’hui classée Monument Historique. En 1991, elle est restaurée selon des techniques anciennes. Le choix des couleurs s'est fait d'après une interprétation des traces de peintures préservées de la lumière et des intempéries. Les fenêtres sont également une interprétation : au 15e siècle, la vitrerie est moins développée et il est techniquement impossible de réaliser de grandes surfaces. Les vitres sont composées de pièces de verre maintenues dans un châssis de plomb pour former une surface vitrée suffisante.
Façade maison à pans de bois, rue de la Juiverie
Date du document : 28/08/2024
Une rue redessinée
Dès la fin du 16e siècle, un premier règlement impose la suppression des saillies, éléments en relief qui se détachent en avant d’un alignement (balcons, encorbellements, etc.). Ainsi, à partir du 17e siècle, l’usage de la pierre est de plus en plus privilégié pour constituer des façades d’aplomb. Suite à l’incendie de la rue de la Casserie en 1680, la pierre est imposée pour diminuer les risques de propagation du feu.
Au 18e siècle, les édiles nantais entreprennent d’importants projets urbains inscrits dans les principes urbanistiques évoqués par Gérard Mellier en 1709 dans son « Traité du Droit de Voirie ». Maire de Nantes de 1720 à 1729, l’ancien grand-voyer de Bretagne y expose son idéal d’une ville aux rues droites et alignées, aux façades symétriques et sans saillies. Des outils sont mis en place à partir des années 1740 pour rectifier le tracé des voies anciennes, notamment au Bouffay. En parallèle, un règlement de police rappelle en 1743 les normes à suivre pour reconstruire une maison. Empruntes d’une dimension esthétique inscrite dans la continuité des principes de Mellier, ces mesures visent à assurer la sécurité des habitants (interdiction de l’utilisation du bois) et faciliter la circulation dans les rues.
Au fil des reconstructions de maisons, les propriétaires de la rue de la Juiverie se conforment à ses règles, métamorphosant l’aspect de l’une des plus anciennes rues de la ville. Les façades sont reconstruites en hauteur sur les soubassements en pierre des maisons anciennes.
Rue de la Juiverie
Date du document : 28/08/2024
La transposition du style classique sur ces façades, en vogue au 18e siècle, est réalisée progressivement au gré des travaux. Ainsi se côtoient dans cette rue des maisons d’époques différentes. La maison à pans de bois du n°7 côtoie ainsi une demeure du 17e siècle située au n°5 alors que le n°4 s’inscrit dans le style classique du siècle des Lumières. Ponctuellement, il est possible d’observer des portes et ferronneries datant des 16e et 17e siècles. C’est le cas des n°10 et 12 de la rue qui présentent des portes en panneautage caractéristiques du 17e siècle, rares à Nantes. Au-dessus de la porte du n°12 figure une ferronnerie au motif en ruban tenu par des colliers typique du 17e siècle tandis que les ferronneries à arabesques des fenêtres datent du 18e siècle.
L’immeuble du n°4 constitue sans doute l’opération la plus remarquable dans la volonté de mettre au goût du 18e siècle cette rue ancienne. Les travées sont alignées, les lignes sont rectilignes, une symétrie parfaite est respectée et une rigueur géométrique transparaît dans cette façade. Caractéristique de l’architecture classique, cet immeuble présente une affirmation des lignes horizontales qui lui donnent un effet statique. En effet, chaque étage est séparé par une corniche. En parallèle, le décor reste relativement sobre. Les deux premiers étages comptent une série de quatre mascarons, tandis qu’au troisième étage, des agrafes ont été sculptées. Au niveau de la ferronnerie, le même motif de pistil à graine avec feuillage végétal et monogramme est repris sur les trois étages.
En 1830, Jean-Baptiste Bouchaud aménage un passage couvert qui prend son nom entre la rue de la Juiverie et l’actuelle rue de la Marne. En 2018, ce passage est choisi pour accueillir l’œuvre Jungle intérieure, imaginée par Evor dans le cadre du Voyage à Nantes. L’artiste compose pour l’occasion un jardin agrémenté de plantes de tous horizons qu’il est possible d’apprécier dans son ensemble du haut d’un belvédère.
De nos jours, la rue de la Juiverie fait l’objet d’une intense vie commerciale dotés de nombreux bars et restaurants.
Noémie Boulay
Direction du patrimoine et de l’archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2024
En savoir plus
Bibliographie
ARDEPA, P.O.S. scriptum du texte à la forme : la ville construite. Nantes, XVe-XXe siècle, Nantes, ARDEPA, 1991
Toczé Claude, Lambert Annie, « Des Juifs en Bretagne au Moyen Âge », Les juifs en Bretagne (Ve-XIXe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, pages 17-24
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Rédaction d'article :
Noémie Boulay
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