Jean Relet (1945-2021)
« Dubigeon vivra, la navale ne coulera pas ! » ... Ces échos de colère et de passions entonnés par les ouvriers des chantiers navals de Nantes contre sa fermeture en 1987 résonnent encore dans leurs cœurs. Les fervents défenseurs de cette cause se rappellent très bien d’un de leur camarade, Jean Relet, qui s’insurgeait avec eux contre les forces de l’ordre. Il luttait avec ténacité et persévérance pour empêcher l’arrêt des chantiers de Dubigeon…
Cet homme, foudroyé par la décision d’arrêter la construction navale de sa région, a dédié sa vie à la préservation du patrimoine ouvrier nantais. Jean Relet, activiste engagé et socialiste tant dans l’âme que dans le cœur marqua tous ceux qu’il rencontra. Défenseur des droits de l’Homme moderne, il n’était peut-être pas aimé de toutes les personnes qu’il rencontrait mais il était toujours respecté. Ses collègues, amis, et sa famille se rappelleront toujours de lui comme un grand homme, un ouvrier socialiste engagé à gauche et bien-sûr, un mari, père et grand-père aimant. Parce que Jean, au-delà d’être l’une des premières personnes à qui l’on pense quand l’on évoque les combats contre la fermeture des chantiers de Dubigeon, reste avant tout pour sa famille un « homme à tout faire » : reconvertit cameraman, il s’initia à la musique et à l’informatique. Passionné par la voile et la pêche il passa sa retraite auprès de ses petits-enfants en leur dévoilant, peut-être trop modestement, toute sa vie. Et c’est cette vie qu’aujourd’hui, ses camarades des chantiers et l’une de ses petits-enfants vous propose de découvrir ici.
Manifestation de la Confédération française démocratique du travail contre le démantèlement de la naval.
Date du document : 4e quart du 20e siècle
La jeunesse de Jean Relet en Vendée
La vie de Jean Relet débuta un vendredi 16 novembre 1945 au Poiré-sur-Vie, en Vendée. Il était le troisième d’une fratrie de douze enfants. Sa famille était très modeste mais il n’était pas malheureux pour autant. Garçon très curieux, il passait beaucoup de temps avec ses frères et ses voisins à jouer et à découvrir les lieux de son village : le chemin du Roc, où il habitait, le coteau qui était une colline avec une rivière, le ruisseau du Ruth où il allait pêcher, ou bien encore au cinéma où lui et ses frères ne payaient pas les entrées car ils étaient les « fils à Ginette ». En 1955, il déménagea avec sa famille à Paimbœuf en Loire-Inférieure (aujourd’hui Loire-Atlantique). Jean Relet, à peine arrivé dans sa nouvelle maison dite « la maison neuve », partit au petit séminaire de Guérande. Il y rencontra son meilleur ami Joseph et ils le resteront toute leur vie.
Le premier emploi de Jean Relet à la raffinerie de Chantenay
En 1961, Jean Relet alla aux Couëts, à Bouguenais, pour préparer son BAC. Après avoir obtenu son diplôme, il rentra au grand séminaire de Nantes en 1964. Trois ans plus tard, Jean Relet entama son service militaire à Alençon et au début de l’année 1968, il commença à travailler à la raffinerie de Chantenay. Son premier emploi fut ouvrier à la raffinerie de sucre Say à Chantenay, quartier populaire de Nantes, où il se syndiqua à la CFDT. Jean Relet y vécut le mouvement de mai-juin 1968 dans lequel il s’engagea à fond et où il fut en première ligne en tant que militant syndical. C’est à ce moment-là, lors d’une manifestation, qu’il rencontra sa future épouse Martine Airiau, née le 26 juillet 1948 à Nantes, elle aussi ouvrière chez Say. Ils se marièrent le 10 octobre 1969 et eurent trois filles : Myriam née en 1970, Katia en 1975, Sandra en 1977.
L’arrivée de Jean Relet au chantier naval Dubigeon et l’engagement syndical
Mais à l’automne 1968, la raffinerie Say ferma définitivement ses portes et le personnel fut licencié. Jean Relet s’orienta alors vers des emplois non qualifiés dans des entreprises de la métallurgie, chez Saunier-Duval d’abord puis chez Aviatube. Afin d’acquérir un métier, il entreprit ensuite une formation d’électricien-frigoriste au centre de formation professionnelle pour adultes (FPA) de Saint-Herblain (Loire-Atlantique), ce qui lui permit d’être embauché en 1974 au chantier naval Dubigeon-Normandie à Nantes.
Militant CFDT, Jean Relet fut élu en juin 1977 titulaire au comité d’entreprise de Dubigeon, dont Marcel Guihéneuf était le secrétaire depuis 1953. Il en anima la commission Culture avec Gérard Tripoteau. C’était d’abord un militant de terrain, toujours sur la brèche. Il appréciait particulièrement la camaraderie ouvrière et la fierté collective que suscite la construction des grands navires. Jean Relet participa activement aux réflexions, animées par Serge Perrin, secrétaire de l’Union locale CFDT de Nantes, qui débouchèrent sur la création en 1982 de l’Association des comités d’entreprise de Nantes et région (ACENER). Celle-ci visait à mutualiser les moyens entre les Comités d’entreprise des grandes et des petites ou moyennes entreprises. En 1983, il devint délégué syndical CFDT chez Dubigeon.
Élections délégués du personnel 1984 de la Confédération française démocratique du travail
Date du document : 1984
La fermeture des chantiers Dubigeon
Dans les années 1970, sous l’effet de la concurrence asiatique, la situation de la construction navale française se dégrada rapidement. Au chantier Dubigeon de Nantes, les restructurations s’enchaînèrent. En septembre 1977, l’entreprise connut la grève dite « des pendules », déclenchée par l’installation de pointeuses au plus près des lieux de travail. Le conflit dura deux mois et se termina par un échec douloureux sur fond de division syndicale. À l’été 1985, un plan de suppressions d’emplois fut annoncé. Jean Relet et ses camarades menèrent la lutte contre les licenciements à travers une série d’actions fortes et spectaculaires mais ne purent empêcher le déclin du chantier.
Vue des anciens ouvries des chantiers à la Maison des Hommes et des Techniques
Date du document : 1er quart du 21e siècle
La reconversion professionnelle de Jean Relet
Fin 1985, soit peu avant la fermeture de Dubigeon intervenue en 1987, Jean Relet quitta le chantier naval dans le cadre d’un congé de conversion. Il entama alors une formation dans les techniques de l'audiovisuel pour devenir vidéaste professionnel, métier qu’il exerça en tant qu’intermittent du spectacle jusqu’à son départ en retraite. Il continua à militer à la CFDT comme adhérent au SNE-CFDT. En 1989, il fut assistant-réalisateur sur le film de Jean-Pierre Thorn Je t’ai dans la peau, tourné à Marseille (Bouches-du-Rhône). Il réalisa également en 1993 un documentaire sur la reconversion professionnelle des anciens de la Navale, intitulé Moi aussi, j’y retournerais. Il resta syndiqué CFDT.
L’implication de Jean Relet pour la préservation du patrimoine naval nantais
Jean Relet milita activement pour la conservation du patrimoine industriel du chantier naval. Il fut à l’origine de la création de l’association « Histoire de la construction navale à Nantes » dont l’action permit de sauver de la destruction les outillages, les plans, les photos… du chantier Dubigeon. En 1994, sous son impulsion, avec les anciens de la Navale et avec le soutien de la municipalité nantaise conduite par Jean-Marc Ayrault, fut fondée la Maison des Hommes et des Techniques (MHT), installée sur le site et chargée de valoriser le patrimoine sauvegardé. Il en assuma la présidence durant de nombreuses années.
L’action opiniâtre de Jean Relet et de ses camarades permit de sauver le bâtiment de direction « Ateliers et Chantiers de Nantes », la grue Titan, les cales de lancement et la grande nef que les pouvoirs publics de l’époque voulaient raser. Plus tard, étant très attaché à l’identité industrielle du site des chantiers navals, il ne vit pas d’un bon œil l’arrivée des activités de loisirs sur ce lieu, mais ne put s’y opposer. Il fut à la charnière des années 1970-1980, durant quelques années, adhérent au Parti socialiste.
Touché par la maladie, Jean Relet fut contraint de réduire ses activités. En 2018, Marcel Gautier lui succéda ainsi à la présidence de la Maison des Hommes et des Techniques.
Portrait de Jean Relet
Date du document : 1er quart du 21e siècle
Même après sa retraite, et jusqu’à son décès en novembre 2021, Jean Relet continuait de s’impliquer au sein de la MHT. Jamais il ne manquait un mardi où lui et ses camarades se retrouvaient pour discuter du futur de l’association. Président de la Maison des Hommes et des Techniques durant plusieurs décennies, Jean Relet resta toute sa vie très engagé tant socialement pour faire découvrir les chantiers navals et leur histoire à ceux intéressés, que politiquement afin de faire valoir et de ne pas oublier la gauche ouvrière, essence du patrimoine culturel de l’Île de Nantes.
Nell Rival-Relet, Maison des Hommes et des Techniques
2023
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Dossier : Anciens Chantiers Dubigeon du Bas-Chantenay
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