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Habiter Bellevue : 1910-1960


Lorsqu’on évoque Bellevue auprès des Nantais, c’est avant tout l’image des barres des grands ensembles qui s’impose. Bellevue, construite en moins d’une décennie, surgie de nulle part, à l’ouest de Nantes, « au bout de la ville ». Mais à y regarder de plus près, Bellevue ne peut se résumer à cette seule vision. Car avant et après la Z.U.P., avant et après les années 1960, ce territoire a connu différentes formes et générations d’habitat populaire qui témoignent des transformations économiques et sociales des banlieues de Nantes.

Carte des formes d'habitat avant 1960, quartier Bellevue

Carte des formes d'habitat avant 1960, quartier Bellevue

Date du document : 22-09-2020

Chantenay, une commune rurale en forte croissance

Au 19e siècle, entre la Croix-Bonneau et Roche-Maurice, c’est encore la campagne. Terres labourables, vergers, jardins, vignes occupent une large place sur ce coteau bien exposé. Quelques fermes isolées ou groupées, quelques hameaux comme le Plessis-Gautron et le bourg du Plessis-Cellier concentrent la population.

Dès la deuxième moitié du 19e siècle, ce territoire à l’ouest de Chantenay connaît une forte pression démographique, avec l’implantation de la voie ferrée et des industries sur la plaine alluviale, au bord de la Loire. La population de Chantenay croît rapidement, passant de 5 000 habitants en 1851 à près de 20 000 en 1901. Dans le même temps, l’assise foncière évolue durablement : on assiste à un émiettement de la propriété. Les familles aristocratiques qui détenaient les terres, ne conservent que leur lieu de résidence, délaissant les terres agricoles qui sont revendues soit à de petits rentiers vivant en ville, soit aux paysans des environs. Le domaine du Bois-de-la-Musse qui dans les années 1830 appartenait entièrement à la famille Jaillard de la Maronnière est peu à peu démembré. Exceptés le parc et le château nouvellement bâti, les parcelles sont revendues à partir de 1858 à différents propriétaires. Même phénomène pour le manoir et le hameau du Plessis-Gautron, propriétés de la famille de Goyon qui en 1864 s’en sépare et les disperse auprès de trois acquéreurs.  

Détail du plan de la ville de Chantenay sur Loire

Détail du plan de la ville de Chantenay sur Loire

Date du document : 1904

Cités ouvrières et premiers lotissements : des initiatives privées encore éparses

Si cette transformation de la propriété est durable et profonde, elle ne semble pas pour autant affecter les formes urbaines et les formes d’habitat dans cette partie ouest de Chantenay. Avant les années 1920, le paysage entre la Croix-Bonneau et le Plessis-Cellier reste relativement stable. Mais, la poursuite de l’industrialisation de Chantenay d’une part, et les lois d’urbanisme d’autre part, vont avoir des répercussions sur l’urbanisation du coteau.

Maisons de la Cité Moderne de la Raffinerie de Chantenay

Maisons de la Cité Moderne de la Raffinerie de Chantenay

Date du document : sans date

Après la Première Guerre mondiale, les industriels du Bas-Chantenay interviennent pour créer des cités ouvrières. Ce mode d’intervention privée n’est pas nouveau mais au début des années 1920, il concerne de nouveaux territoires, relativement éloignés des usines. Le lotissement Saint-Gobain (aujourd’hui disparu), construit en 1921, est destiné à accueillir 22 familles ouvrières dans des maisons jumelles de modestes dimensions – 33 m² par foyer. Le choix de son emplacement au milieu des champs répond cependant à une exigence : la proximité du chemin du Bois-Hardi qui dessert directement les usines du Bas-Chantenay, situées à 1,3 km plus au sud. Même chose pour la cité de la raffinerie de Chantenay : cette cité ouvrière de 6 maisons doubles est construite en 1926 en face de la cité Saint-Gobain. Elle est complétée par la construction d’une maison ouvrière de 4 logements en 1930. Les logements proposés – environ 70m² – y sont plus vastes qu’à la cité Saint-Gobain et l’architecture d’inspiration néorégionaliste – qui rappelle celle de certaines cités cheminotes – plus soignée. Ces initiatives privées s'organisent parallèlement à celles de l'Office Public des H.B.M. qui crée des cités-modèles sous la forme de cités-jardins : ainsi  la cité chantenaysienne du Bois de Hercé créée en 1920 a pu influencer, dans sa forme comme dans sa finalité, les industriels pour leurs projets privés d'habitat ouvrier.

Lotissement de la Lande - cité Saint-Gobain

Lotissement de la Lande - cité Saint-Gobain

Date du document : 08-1920

Dans cette période, l’État se préoccupe de la maîtrise de la croissance urbaine, en édictant des lois (lois Cornudet) qui obligent dès 1919 les communes de plus de 10 000 habitants à se doter d’un plan d’urbanisme (plan d’extension) et créent en 1924 la procédure de lotissement. Enfin la Loi Loucheur de 1928 favorise la construction de logements populaires et l’accès à la propriété pour les particuliers par l’octroi de prêts à taux réduit. Avec ce nouvel arsenal législatif, les villes voient se développer des quartiers entiers sous la forme de lotissements d’habitats individuels d’initiative privée.

A Chantenay, les dépôts de permis de construire se multiplient après 1920. Il en est ainsi au lieu-dit du Petit-Verger, sur un ensemble de terrains lotis dans l’entre-deux-guerres.
Cet ensemble de parcelles s’étend sur d’anciennes terres agricoles. Situé entre le carrefour de la Croix-Bonneau et le bourg du Plessis-Cellier, de part et d'autre de la rue du Plessis-Gautron (ancien chemin du Plessis-Cellier), il représente un espace encore vierge, attractif car le prix du foncier y est très accessible.

En 1922, le lotissement du Petit-Verger voit le jour ; son cahier des charges reste souple puisqu’il ne définit pas de modèles d’habitations et laisse la possibilité de construire des bâtiments autres que des habitations. Deux ans plus tard, une demande similaire de lotissement est faite par M. Le Bras pour un terrain voisin du premier.

Cet exemple montre la manière dont se forment au coup par coup les îlots d’habitations. En dehors des cités ouvrières, l’habitat souvent modeste se décline sans plan ni modèle d’ensemble. Cette forme d’urbanisation persiste pendant toute l’entre-deux-guerres.

Mais la Seconde Guerre mondiale et l’immédiate après-guerre annoncent une rupture. Après 1945, Nantes, fortement touchée par les bombardements et soumise à une forte pression démographique fait face à plusieurs décennies de pénurie de logements. Les réponses apportées sont alors multiples et touchent la banlieue chantenaysienne, comme l’illustre le territoire du Plessis-Cellier et du Plessis-Gautron.

Les cités Castors : construis toi-même ta maison !

Dans les années 1950, face à la pénurie de logements, des familles s’organisent pour construire elles-mêmes leur maison. Ce mouvement coopératif d’auto-construction et d’autogestion, connu sous le nom des Castors, né en Suède en 1927, s’est développé en Europe dans les années 1930. Il débarque en France dans la banlieue de Bordeaux en 1948 ; puis, d’autres villes comme Rezé en 1950 suivent l’exemple.

En 1952, M. Le Maignan de l'Ecorce cède une partie de son terrain à l’association des castors constructeurs, le Comité Ouvrier du Logement (C.O.L.). Le projet du C.O.L. est alors de permettre à 80 familles aux revenus modestes de devenir propriétaires en construisant dans les secteurs de la Janvraie et du Bois-de-la-Musse. L’initiative s’inspire directement de l’expérience des Castors de La Balinère à Rezé. Moyennant leur force de travail mise au service du chantier collectif puis le versement d'une contribution financière et d'un loyer sur vingt ans, les locataires-attributaires deviennent propriétaires de leur bien.

Les travaux de défrichage commencent dès 1952, avant même l'octroi du permis. En 1954, le Comité Ouvrier du Logement (C.O.L.) fait une nouvelle demande pour poursuivre le programme de construction sur deux terrains situés plus au sud, de part et d'autre du centre paroissial Saint-Yves, entre les actuelles rues de Pessac et des Frères-Amieux. En août 1955, les premières familles emménagent. En 1956, le lotissement est à nouveau agrandi le long de la rue Marange-Sylvange.

C’est donc tout un nouveau quartier qui voit le jour entre 1952 et 1956. En quatre ans, 450 à 500 personnes affluent dans ce qui n’était jusqu’alors qu’un coin de campagne. Les équipements publics et privés suivent  : L’espérance Saint-Yves sous le patronage de la paroisse Saint-Yves voit le jour en 1954, l’église Saint-Yves est reconstruite en dur en 1957, l’école publique du Plessis-Cellier créée avant guerre s’agrandit coup sur coup en 1957 et en 1958.

Eglise Saint-Yves-de-Bellevue

Eglise Saint-Yves-de-Bellevue

Date du document : sans date

Loger les plus précaires : du bidonville au foyer d’accueil

Le mouvement des Castors, né en réaction aux difficultés de logement, est illustratif de la situation vécue par beaucoup dans ces années 1950.
Parmi les plus précaires, se trouvent des familles ouvrières pauvres – la cité Blanchard à Saint-Herblain dont les baraques construites entre 1914 et 1921 sont alors en très mauvais état en accueille bon nombre. On voit aussi arriver des travailleurs originaires du Maghreb, notamment d’Algérie qui vivent dans une grande précarité. Les premiers à s’installer à Nantes entre 1952 et 1958 sont originaires de la région de Djidjel. Ils se logent dans des taudis voire des bidonvilles comme celui du quai Ernest-Renaud.

En 1958, l'Association d'Entraide des Nord-Africains (A.E.N.A.) obtient la création d'un foyer d'accueil. Situé 68 rue des Alouettes, sur un terrain appartenant à la Ville, le foyer du Plessis-Cellier, composé de 6 baraquements principaux, est conçu pour 220 personnes. Mais il en accueille rapidement plus du double.
Les travailleurs qui s'installent au foyer des Alouettes, sont majoritairement des hommes seuls travaillant comme manœuvres et ouvriers du BTP.

Foyer des Alouettes, le Plessis-Cellier

Foyer des Alouettes, le Plessis-Cellier

Date du document : sans date

Dans les années 1960, la proclamation de l'indépendance de l'Algérie couplée au besoin en main d’œuvre entraîne l'arrivée massive et durable de travailleurs algériens, y compris au foyer des Alouettes déjà surpeuplé. De nouveaux baraquements sont construits sur place. D'autres solutions de logements sont proposées : les ouvriers sont logés dans des Algécos, sur les chantiers de construction, ou bien dans des chambres en ville. Certains sont envoyés dans des logements vacants provisoires. D'autres enfin accèdent au logement social en H.L.M. Ce sont ces travailleurs immigrés qui ont construit la ZUP de la Bellevue.

A partir de 1962, les associations réclament la création d'un nouveau foyer : le foyer Sonacotra situé boulevard Vincent-Gâche ouvre ses portes en 1969. En 1972, alors que la ZUP est quasi achevée, le foyer des Alouettes est fermé et rasé.

Cette politique d’accueil des migrants au cœur de Bellevue montre l’acuité des problèmes de logements notamment pour les plus précaires. Mais la question de la pénurie de logements ne touche pas seulement les seuls démunis. Elle concerne presque tous les foyers qui vivent à l’heure du baby boom. Accéder à un logement confortable devient une priorité à laquelle on commence à répondre par la construction de logements collectifs, notamment sur Bellevue.

Les premiers immeubles : répondre à la pénurie de logements

En parallèle de la création ou de l’extension des lotissements d’habitats individuel aux Bleuets, au Bois-de-la-Musse ou à Saint-Yves, les premiers collectifs se déploient sur le quartier de Bellevue.

Dès les années 1950, des initiatives sont prises en ce sens. D’abord, dans des secteurs de Chantenay plus proches du centre-ville comme au Plessis-Gautron au sud du carrefour de la Croix-Bonneau, où l’on construit en 1954-55 une cité Abbé-Pierre. Puis en 1957-58, un ensemble de collectifs destinés à reloger les habitants du Marchix et à accueillir de nouveaux arrivants. Le Marchix, quartier du centre-ville est alors en pleine reconstruction : réputé avant guerre insalubre, fortement touché par les bombardements, le Marchix est vidé de ses derniers habitants, rejetés à la périphérie de Nantes.

D’autres projets de logements collectifs voient le jour dans des secteurs plus reculés de Chantenay encore peu densément bâtis, comme à la Cruère. La Cruère est alors occupée par une demeure bourgeoise du 19e siècle au cœur d’un parc arboré. La propriété est acquise par la Ville pour y développer un programme d’habitat collectifs et individuels dont le permis de construire est déposé en 1955 mais qui n’aboutit pas. Quatre ans plus tard, c’est un projet tout à fait différent qui voit le jour. L'architecte Yves Liberge propose de réaliser une barre de 126 logements sur 11 étages.

Immeuble de La Cruère

Immeuble de La Cruère

Date du document : 12-03-2011

Situé au milieu du parc arboré de l’ancien domaine de la Cruère, l’immeuble bénéficie d’une vue et d’un environnement privilégiés. Les premiers habitants emménagent en 1962 dans ces appartements H.L.M. d’un confort nouveau pour l’époque. Ce type de construction reste cependant marginal. Ainsi, La Cruère reste la seule barre d’immeuble de Bellevue, jusqu’à la construction de la Z.U.P. à partir de 1964.

Irène Gillardot
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2020

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En savoir plus

Bibliographie

Pinson Daniel, « Succession des banlieues et forme de la croissance urbaine dans l'Ouest nantais », Villes et parallèle, n°15-16, 1990

Pinson Daniel, Voyage au bout de la ville. Histoires, décors et gens de la ZUP, Saint-Sébastien-sur-Loire, 1989

Halgand Marie-Paule, Pasquier, Elisabeth, La construction d'un patrimoine. De l'Office Public d'HBM à Nantes-Habitat 1913-1993, Nantes, 1993

Bossé Anne, Guénnoc Marie-Laure, Villagexpo : un collectif horizontal, Paris, 2013
Neveu Joël, Bellevue 1967-1997, Nantes, 1997

Webographie

Projet le Grand Bellevue Lien s'ouvrant dans une nouvelle fenêtre

Bellevue, de la ZUP au renouveau Lien s'ouvrant dans une nouvelle fenêtre

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Habiter Bellevue : 1960-2000

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Bellevue - Chantenay - Sainte Anne Logement social et grand ensemble

Contributeurs

Rédaction d'article :

Irène Gillardot

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