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Annick Vidal (1929 – 2020) Castors de la Boissière

1938

Floreska Guépin née Leconte (1813-1889)


Féministe, antiesclavagiste, pacifiste et républicaine, Floreska Guépin fait partie des pionnières qui ont permis aux jeunes filles de recevoir enfin un enseignement émancipateur. Si une médiathèque porte aujourd’hui son nom à Nantes, elle est pourtant longtemps restée méconnue, et dans l’ombre de son mari.

Floreska (graphie qu’elle privilégie) Clémentine Leconte naît le 26 mars 1813 dans la petite ville de Sézanne (Marne). On ne sait pratiquement rien de ses trente premières années ni de la position sociale exacte de sa famille : son père, dit marchand de textiles à sa naissance, exerce ensuite divers métiers et termine sa vie comme indigent. Un long séjour en Angleterre, pour y recevoir une éducation voire y travailler, permet à Floreska, aînée d’une famille de trois enfants, d’apprendre l’anglais. Elle en revient convertie au protestantisme et aux idéaux démocratiques.

Vie professionnelle et convictions politiques

Soutien de famille, elle ouvre en 1846 à Paris une lucrative pension de famille et institution pour « jeunes personnes étrangères désireuses de se perfectionner dans les arts libéraux ». Cet établissement, bien situé et tenu par une protestante, attire la meilleure société anglo-américaine, et plus particulièrement les milieux féministes et antiesclavagistes, dont Floreska partage les idées. Des figures aussi éminentes que Maria Weston-Chapman ou Harriet Beecher-Stowe, l’autrice de La case de l’oncle Tom, y séjournent quelque temps et lui confient leurs jeunes filles. À leur côté, Floreska s’engage dans la lutte antiesclavagiste et joue un rôle central dans la participation des Françaises au combat américain.

Dans le même temps, elle noue des relations durables avec de grandes familles républicaines, assiste aux cours de Jules Michelet au Collège de France, fréquente le salon intellectuel des Geoffroy Saint-Hilaire où elle rencontre des saint-simoniens comme Émile Souvestre et les Lemonnier, des socialistes et, en 1853, le docteur Ange Guépin.

Le couple Guépin : influences réciproques et actions communes

Né en 1805, Ange Guépin est depuis 1830 une figure majeure de la vie politique nantaise.  Médecin ophtalmologiste, historien et essayiste, c’est un progressiste dont les idéaux évoluent alors du saint-simonisme au républicanisme. Le mariage est célébré le 4 mars 1854 à l’Oratoire : le pasteur Athanase Coquerel fils, qui bénit leur union, bataillera en faveur de l’instruction laïque des filles. C’est avec l’assurance formelle de Guépin qu’il la soutiendra dans ses combats que Floreska renonce à une indépendance chèrement conquise pour assumer avec conscience, humour et dévouement son rôle d’épouse et de belle-mère auprès des grands enfants de Guépin. Mais ce sont surtout les idéaux, les convictions et les combats partagés qui soudent le couple, et qui font d’elle bien autre chose qu’une « femme de ». 

Largement ostracisé par la bonne société nantaise, le couple vit entre Nantes, où le docteur soigne sans compter les plus démunis, et leur propriété de L'Oisillière près de Savenay, où ils accueillent de nombreux amis et militants : parmi eux, la grande féministe anglaise Barbara Leigh Smith, le couple républicain des Girault-Lesourd d’Angers, l’écrivaine féministe André Léo.

En raison de la répression politique sous le Second Empire et de la notoriété du docteur, l’action n’est guère possible d’abord qu’au-delà des frontières. Grâce aux traductions que Floreska lui fait de la presse américaine, Guépin s’engage lui aussi dans la lutte antiesclavagiste. Le couple soutient le Risorgimento italien et Floreska poursuivra jusqu’à la fin de sa vie leur correspondance avec Timoteo Riboli, le médecin personnel de Garibaldi. Floreska et Ange partagent encore l’idéal pacifiste et européen. Quand la relative libéralisation du régime le permet, elle soutient activement le retour de son mari à la vie politique. Après 1871, ils plaident pour l’amnistie des Communards, aident à l’évasion de plusieurs d’entre eux, et la grande amitié entre Floreska et André Léo n’est en rien altérée par leurs divergences sur la Commune. 

« Donner des professions aux femmes » (Floreska Guépin)

Le grand œuvre du couple demeure néanmoins la fondation de l’école professionnelle de filles. Initialement très réticent, Ange Guépin se rallie immédiatement aux idées féministes de Floreska : en témoigne la version remaniée de Philosophie du socialisme qu’il publie en mai 1854 sous le titre Philosophie du XIXe siècle. Elle a vraisemblablement envisagé de longue date la création de cette école, projet qu’il s’engage à soutenir dès leur rencontre : il leur faudra néanmoins presque 20 ans pour le réaliser. En 1862, leur amie Élisa Lemonnier fonde à Paris la première école professionnelle de filles, avec la participation, entre autres, de Floreska, qui s’inspirera de ce modèle. Ces pionnières, toutes deux protestantes, se heurtent à l’hostilité virulente de l’Église catholique. À Nantes, où l’Église détient le quasi-monopole de l’enseignement féminin, Floreska doit se montrer particulièrement stratège, et ne pas apparaître publiquement.

Le couple peut compter en revanche sur le soutien des édiles progressistes et de plusieurs entrepreneurs nantais qui souhaitent bénéficier d’une main-d'œuvre de qualité. Les Guépin prennent encore modèle à Nantes sur la remarquable École primaire supérieure qui, pour une somme très modique, offre aux garçons des classes populaires et moyennes une formation professionnelle de qualité : c’est à leurs sœurs que sera destinée l’école Guépin. En janvier 1870, les Guépin fondent la Société nantaise pour l’enseignement professionnel des jeunes filles, dont le conseil d’administration est à majorité féminine. Ils expérimentent d’abord une formule prudente, peu coûteuse et innovante d’ateliers-écoles, avant de pouvoir ouvrir, après la chute du Second Empire et avec l’aide de plus de 20 donatrices et donateurs, un établissement dans lequel les jeunes filles reçoivent un enseignement général, technique et professionnel d’excellente qualité. 

Après le décès d’Ange Guépin le 21 mai 1873, Floreska assure la présidence de l’établissement. Elle en confie la direction à Élisa Bordillon, elle aussi pionnière de l'enseignement féminin, puis à Mme Rivière. En fonction des besoins, Floreska diversifie d’abord les formations, et l’école ouvre vers des métiers aussi divers que la couture, la peinture sur porcelaine ou l’enseignement. À mesure que, sous la Troisième République, progresse l’instruction publique supérieure des filles (création à Nantes du lycée de filles puis d’une École normale), elle recentre l’enseignement sur les métiers manuels qualifiés et parvient ainsi à maintenir les effectifs de cet établissement précurseur et vite réputé. La Ville de Nantes soutient financièrement l’école, mais Floreska doit constamment solliciter la générosité des donatrices et donateurs et obtenir des subventions de l’Instruction publique pour boucler le budget. Conformément à son souhait, l’école est municipalisée en 1887. Floreska quitte alors Nantes pour s’installer auprès de sa famille à Paris, où elle continue de militer en faveur des filles.

Protectrice des apprenties et des orphelins

Au début des années 1880, elle adhère à la Société de protection des apprentis : il s’agit, auprès des ateliers parisiens employant des jeunes filles, de surveiller les conditions de travail et de faire appliquer les lois protectrices des mineures. En 1883, elle participe encore à la fondation de la Société des orphelinats agricoles d’Algérie : les dames veillent notamment au recueil et au bon emploi des fonds destinés à un orphelinat installé sur la concession d’inspiration fouriériste du Sig, près d’Oran.

Son état de santé ne permet pas à Floreska d’assister, le 8 septembre 1888, à l’inauguration de la statue d’Ange Guépin qu’érige Pontivy, la ville natale du docteur, mais elle documente abondamment les quatre biographies consacrées à son époux. Elle décède à son domicile parisien de la rue Rennequin le 14 novembre 1889. Lors de ses obsèques, le 18 novembre, le temple protestant de Nantes ne peut accueillir tous ceux venus lui rendre un dernier hommage. Elle est inhumée au cimetière de la Bouteillerie, un peu en arrière de la tombe de son mari.

Si, comme le dit son épitaphe, « elle a fait passionnément le bien », ce ne fut pas au nom d’une charité condescendante, mais d’une philanthropie politique et émancipatrice, adressée à tous les opprimés et tournée, de façon privilégiée, vers les filles. À une époque où les femmes n’avaient ni le droit de vote, ni la libre disposition de leur corps et de leurs biens, Floreska a compris l’importance cruciale du travail qualifié dans l’accès de toutes à une vie décente, à l’indépendance et à l’égalité.

Longtemps ignorée quand son époux était célébré, Floreska Guépin sort peu à peu de l’ombre à la fin des années 1980 quand l’Espace Simone de Beauvoir, association féministe nantaise, décide d'organiser les Rencontres Floreska Guépin, dont les conférences et débats traitent des droits des femmes. Dès lors, plusieurs hommages officiels lui sont rendus au fil des ans et en juin 2007, une médiathèque portant son nom est inaugurée dans le quartier Doulon-Bottière.

Michel Aussel, Myriam Dufour-Maître, Cécile Gommelet, Marie-Françoise Bastit-Lesourd
2021 (mise à jour en 2025)

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En savoir plus

Bibliographie

Aussel Michel et Dufour-Maître Myriam, Floreska Guépin (1813-1889). Combats pour la liberté et l’instruction, Rennes, Presses universitaires de Rennes, collection « Archives du féminisme », 2025, 346 p.

Bouleau Tatiana, Gualdé Krystel, Pailloux Patrick, Nantaises au travail, du XVIIIe siècle à nos jours – Des indienneuses aux ingénieur(e)s, Château des ducs de Bretagne – Musée d'histoire de Nantes / Auran, 2012

Guyvarc’h Didier, « Floresca, femme d’Ange », Place Publique – Nantes / Saint-Nazaire, n°74, printemps 2020

Webographie

Article écrit par Marie-Françoise Bastit-Lesourd sur le site Web d’EllesaussienBretagne consacré à Floresca Guépin

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Enseignement professionnel Femme célèbre

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Rédaction d'article :

Michel Aussel, Myriam Dufour-Maître, Cécile Gommelet, Marie-Françoise Bastit-Lesourd

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