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Cité de Port-Durand Hélène Cayeux (1946 – 2017)

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Edit de Nantes (1598)


Constitutif de la notoriété de la ville bien au-delà des frontières françaises, l’édit de Nantes n’y est incarné que sous forme d’une place discrète, ainsi baptisée en raison de la présence du temple protestant entre 1855 et sa destruction, lors des bombardements de septembre 1943. Cette discrétion renvoie à celle qui accompagne la signature d’un texte aux antipodes de l’opinion de la majorité des Nantais très hostiles au calvinisme.

Un texte de compromis signé chez les rebelles

Le texte signé par le roi Henri IV inscrit dans le droit public la réglementation de la cohabitation de la petite minorité calviniste française aux côtés de l’hégémonique majorité catholique par l’attribution de privilèges issus de la grâce royale. Il est dit « de Nantes » puisqu’il a été signé au Château royal des ducs de Bretagne le 30 avril 1598, au terme d’un séjour où le roi est venu recueillir la soumission de la dernière ville rebelle de son royaume. Ce que l’histoire a retenu sous cette appellation est un ensemble composé du texte officiel formé d’un préambule suivi de 93 articles, complété par 56 articles secrets et deux règlements financiers. Le contenu se répartit en trois grandes catégories : les privilèges religieux, juridiques et politiques.

L’existence légale d’une Église calviniste en France est reconnue, sans égalité des deux confessions chrétiennes dans l’exercice du culte public. Le catholicisme, religion officielle du roi et de l’État, doit être rétabli partout, excepté au Béarn (cœur des possessions seigneuriales d’Henri IV) et les biens ecclésiastiques confisqués pendant les troubles devront être restitués. La présence de temples réformés n’est admise que dans les lieux déjà autorisés par l’édit de Poitiers de 1577 (deux villes par bailliage au choix des protestants) et dans ceux où le culte était régulièrement célébré en 1596-1597. La noblesse huguenote a pris soin de faire reconnaître ce privilège de fief sur son domaine seigneurial puisque cela lui permet d’entretenir son image de protectrice du peuple converti dans le monde rural.

Refuge à Sucé-sur-Erdre

Une interdiction totale couvre la majorité des villes épiscopales et celles qui l’ont fait inscrire dans leur traité de ralliement depuis 1594. Ainsi, les calvinistes nantais ne peuvent même pas s’établir dans les faubourgs et sont obligés de trouver refuge à Sucé-sur-Erdre, si bien que le départ par bateaux pour la cérémonie dominicale devint une habitude au 17e siècle. Une subvention royale de 45 000 livres est prévue pour l’entretien des pasteurs et des établissements d’enseignement dont la liberté est reconnue, et dont les plus célèbres sont les académies de Montauban, Saumur et Sedan. Par contre, les huguenots demeurent redevables, comme sujets royaux, du paiement de la dîme à l’Église catholique et doivent respecter les fêtes chômées dans son calendrier liturgique. La monarchie valide l’organisation de la vie ecclésiale réformée, basée sur les consistoires dirigés par le pasteur et des Anciens et encadrés par des synodes provinciaux et national définis selon une logique représentative, à l’opposé de la logique absolutiste prévalant dans l’Église romaine.

Privilèges politiques

Les réformés ne peuvent être exclus d’aucune profession, y compris des offices royaux, sous prétexte de religion. Ce dernier point est crucial pour les élites protestantes étant donné la création régulière d’offices par le pouvoir royal, dans une logique doublement administrative et financière, au moment où s’achève le long processus de patrimonialisation intégrale de ces charges vénales entériné dans l’édit de 1604. Comme garantie judiciaire, les protestants reçoivent le privilège d’être jugés par des chambres mi-parties, c’est-à-dire des cours spécifiques théoriquement paritaires à l’intérieur des parlements dans les provinces de haute densité huguenote. La Bretagne n’y appartenant pas, les calvinistes nantais relèvent donc directement du Parlement de Paris.

Les privilèges de type politique, les plus difficilement concédés par Henri IV, présentent un double visage, militaire et représentatif. L’obtention de 150 lieux de refuge, dont 51 places de sûreté, permet de les réserver à une garnison protestante, base possible de résistance si l’édit paraît mal appliqué. La tenue d’assemblées politiques de la noblesse et des villes, avec droit de doléances, entre en contradiction avec la philosophie absolutiste qui imprègne l’ensemble de l’édit. Toutefois, elle peut paraître équilibrer les assemblées quinquennales de l’Église catholique chargées de négocier le don gratuit avec le roi, idée insupportable pour de nombreux catholiques.

Un Édit d'application difficile

Il faut toute la fermeté politique d’Henri IV et la lassitude provoquée par la guerre civile pour obliger le Parlement de Paris à enregistrer, en janvier 1599, un édit soigneusement caché aux Nantais. Le Parlement de Bretagne ne s’y résout qu’en août 1600, sans entraîner la Chambre des comptes qui, à Nantes, persiste dans son refus. Les commissaires royaux fixent les conditions concrètes d’application en février 1601 : pas de temple à Nantes, cession d’un cimetière au bas de la motte Saint-André, puis ensuite à Richebourg et au Marchix. Une méfiance vigilante envers les lignages nobles susceptibles d’utiliser leur privilège de fief comme base de soutien au calvinisme nantais se traduit par un conflit avec les Chauvin de La Muce, seigneurs du Ponthus, en 1614, et par l’arasement de leur château et futaie en 1622 pour participation à la rébellion.

La communauté calviniste nantaise du 17e siècle est quasiment entièrement recomposée par l’absorption d’immigrés en provenance des provinces voisines, tout spécialement du val de Loire (Saumur) et du Poitou, et l’arrivée croissante de migrants d’Europe du Nord, principalement hollandais et marchands. Au milieu du siècle, une centaine de familles, dont 60% d’origine étrangère, forment une communauté d’environ 500 personnes dans une ville de 40000 habitants. L’hostilité au protestantisme demeure un trait majeur de la mentalité nantaise mais la confiance dans la dynamique de reconquête de la Réforme catholique permet d’éviter les émotions urbaines comme celle de 1602. Les principales tensions sont surtout économiques : elles sont liées à une concurrence commerciale sur les exportations de vins, d’eaux-de-vie et de sel vers l’Europe du Nord. À la montée des crispations, qui culminent dans les années 1640, succède un climat d’apaisement nourri d’une collaboration facilitée par la naissance du commerce colonial en direction des Antilles. Ceci permet d’atténuer les effets de la politique royale de l’application « à la rigueur », destinée à vider progressivement l’édit de son contenu.

Nantes, port d'exil

La révocation par l’édit de Fontainebleau du 18 octobre 1685 transforme Nantes en port d’exil clandestin pour les protestants qui refusent l’abjuration ou la double vie. Elle désorganise la puissante communauté hollandaise sans menacer réellement ses positions, puisque les familles demeurées étrangères qui préfèrent rentrer aux Provinces-Unies laissent un membre de la famille ou un facteur, ou bien passent accord avec un commanditaire nantais. Des dragonnades de décembre 1685 sont prolongées par des procès envoyant les récalcitrants aux galères ou en prison, comme les malheureux surpris sur les navires d’exil. L’édit de Fontainebleau ne fait pas disparaître la communauté réformée française. Un quart des huguenots (250 000 personnes) préfère l’exil au statut de « nouveau converti » qui s’est souvent traduit par une obligation de double vie. Après la grande révolte des Camisards dans les Cévennes en 1702-1704, l’Église réformée se réorganise lentement après 1715, oscillant de la clandestinité à la tolérance de fait.

Un enjeu ambigu : la tolérance

Comment définir la nature exacte de l’édit qui permet la cohabitation légale entre catholiques et protestants en France pendant 87 ans ? Le terme d’édit de tolérance fait problème car cette notion n’a pas au 17e siècle son sens actuel. Par contraste avec la perception de vertu positive, promue au 18e siècle par la philosophie des Lumières, on en reste à l’idée d’un mal nécessaire, d’une concession obligée pour éviter le désastre de la guerre civile qui ne peut pourtant pas être érigée en idéal philosophique ou religieux. L’édit de Nantes permet à deux communautés inégales de vivre en paix relative dans un climat d’intolérance. C’est beaucoup quand on compare cette situation avec les ravages des inquisitions hispanique et italienne, la guerre civile anglaise, le conflit anglo-irlandais et le désastre humain de la guerre de Trente Ans dans l’espace germanique. Cette tolérance reste un pis-aller, faute de pouvoir faire triompher un esprit de concorde religieuse, c’est-à-dire une réunion des confessions chrétiennes autour des dogmes fondamentaux. Toutes les tentatives menées en Europe au 16e siècle se sont heurtées à un impossible accord entre les théologiens. Cet échec n’a pourtant pas effacé l’idéal d’unité religieuse autour du pouvoir souverain, comme garantie de la solidité de l’État et de l’ordre social.

Retour de la violence d'État

Le préambule de l’édit en rend un témoignage éclatant puisqu’il inscrit l’initiative royale dans un temps transitoire, celui de la providence divine appelée à restaurer la communion de foi. La révocation est-elle donc déjà inscrite dans la promulgation de 1598 ? La logique ayant fondé l’acceptation de la paix d’Henri IV repose sur le refus de la violence physique et le renvoi de l’évolution vers le dynamisme religieux et missionnaire des deux Réformes. Les règles du jeu d’une société aristocratique ont certes réintroduit momentanément la guerre comme moyen de régulation dans les années 1620, mais la défaite du parti huguenot a ensuite orienté les calvinistes vers un parfait loyalisme monarchique. C’est l’arrêt de la réduction numérique des réformés qui a rendu l’Église catholique de plus en plus impatiente et irritée à partir du milieu du 17e siècle. La fausse justification de la conversion totale des protestants invoquée en 1685 par l’édit de révocation n’a pu être formulée qu’au prix du retour terrible de la violence d’État sous la forme des dragonnades, à l’opposé de la philosophie de l’édit de Nantes.

Façade de la salle Colbert

Façade de la salle Colbert

Date du document : 15-11-1962

Une solution pionnière

L’édit de Nantes est une solution française, liée à l’affirmation d’un État-nation conduit selon une philosophie politique absolutiste, qui inscrit la cohabitation dans le droit public. Cela diffère des paix de religion suisse et germanique fondées sur le fédéralisme du système politique où chaque unité territoriale garde son unité religieuse en tempérant l’obligation officielle par la liberté de migrer, mais aussi de la solution hollandaise définie par l’addition d’une non-obligation de principe accompagnée d’une non-application des interdictions liée à l’affirmation du calvinisme comme religion publique, ce qui en fait pourtant le pays le plus libre d’Europe au 17e siècle. Rappelons enfin qu’en mai 1689, le Parlement anglais vote très difficilement le principe d’une tolérance limitée au sein de la religion protestante, tout en continuant à en exclure la très petite minorité catholique. La Révocation est pour la France l’abandon d’une position pionnière.

Nantes est ici nettement dépassée par cet enjeu national et, bien plus, international, comme le prouve l’écho – sans égal pour tout autre aspect de l’histoire nantaise – dans toutes les encyclopédies étrangères et même dans la plupart des guides touristiques. Un phénomène de rapatriement du débat sur la tolérance est cependant intervenu à partir de la célébration du quatrième centenaire de l’édit, en 1998, qui tend à faire de Nantes une ville emblématique de la tolérance : totalement fausse sur le plan historique, cette promotion s’appuie en revanche sur une idée aujourd’hui très largement admise.

Guy Saupin
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d’auteur réservés)

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En savoir plus

Bibliographie

Bourgeon Jean-Louis, « L’édit de Nantes », dans Croix Alain (dir.), Nantes dans l’histoire de la France, Ouest éd., Nantes, 1991, p. 66-78

L’édit de Nantes (catalogue d'exposition, Nantes, Musée du château des ducs de Bretagne), Réunion des musées nationaux, Paris, 1998

« Nantes et le Pays Nantais au moment de l'Édit de Nantes : actes du colloque de Nantes (19 avril 1999) », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, n° hors série, 1999

Saupin Guy, « Protestants et catholiques à Nantes au 17e siècle », dans Catholiques et protestants dans l'Ouest de la France du 16e siècle à nos jours : actes du colloque de Poitiers (7-9 avril 1994), p. 161-188 (Mémoires de la Société des antiquaires de l'Ouest, 5e série, t. 11)

Saupin Guy, « Le château et la signature de l'édit de Nantes en 1598 », dans Guillet, Bertrand, Armide, Aurélien (dir.), Le château des ducs de Bretagne : entre grandeur et renouveau : huit siècles d'histoire, Presses universitaires de Rennes, Rennes, Ed. du château des ducs de Bretagne, Nantes, 2016, p. 374-383

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Rédaction d'article :

Guy Saupin

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