
Abel Soreau (1845-1909)
Dans le monde des collecteurs folkloristes des 19e et 20e siècles, Abel Soreau est sans doute l’ecclésiastique le plus prolifique ayant étudié le département de la Loire-Inférieure. Malgré une reconnaissance limitée, son travail en Haute-Bretagne fait de lui un des collecteurs les plus éminents de son époque.
Le contexte familial
Abel-Joseph-Marie-Soreau naît le 12 décembre 1845 à Paimboeuf dans une famille d’officiers de marine. Son père, Frédéric Soreau (1798-1869), est capitaine au long cours. On peut aisément imaginer ses longues absences, et le rôle important que la mère, Eugénie Soreau, née Josso (1811-1900), a dans l’éducation de leurs quatre enfants :
> Frédéric Marie Charles Soreau (1836-1840),
> Marie Eugénie Coralie Soreau (1838-1908),
> Henri Marie Joseph Soreau (1841-1914),
> Abel-Joseph-Marie Soreau (1845-1909).
Les prénoms du benjamin démontrent la piété importante de la famille Soreau et surtout d’Eugénie. Cette dernière semble avoir une grande influence sur la vie de ses fils Henri et Abel. Elle les incite à embrasser une carrière d’ecclésiastique et choisit d’installer la famille à Nantes, à proximité du collège Saint-Stanislas, avant même que ses deux fils n’y soient nommés enseignants.

Portrait d’Abel Soreau
Date du document : Début 20e siècle
On peut aussi supposer que la profession de leur père, et de leur grand-père Guillaume, donne aux enfants Soreau le goût du voyage. Le fonds photographique des frères Soreau est un précieux témoignage de leurs périples en Europe mais aussi en Inde et jusqu’en Extrême-Orient.
Un enseignant et un musicien accompli
Henri et Abel Soreau suivent des chemins assez similaires. Le premier est ordonné prêtre en 1865, et le second en 1869. Tous deux sont enseignants au collège Saint-Stanislas, pendant 45 ans pour Henri et 44 ans pour Abel. Ce dernier est professeur d’allemand mais devient aussi maître de chapelle faisant ainsi autorité dans l’établissement pour toutes les questions liées à la musique. Ce sujet semble le passionner. En 1872, un rapport fait au supérieur du collège sur son corps professoral, cité par l’archiviste et ancien élève Noël Guillet, le décrit ainsi :
« Mr A. Soreau est trop ardent et trop absolu pour tout ce qui concerne la musique. La fonction d’ajoint en rhétorique lui pèse comme un lourd fardeau qu’il veut au plus tôt jeter à terre. Il désire se concentrer dans l’allemand et dans des occupations musicales. »
Abel Soreau compose alors de la musique sacrée, dont le cantique Ô tendre mère qui semble particulièrement apprécié par les choristes, des marches patriotiques ou encore des hymnes. Il met en musique de la poésie, comme l’Hymne au drapeau du Collège Saint-Stanislas de Joseph Rousse et déjà, harmonise et compile des chants populaires.

Cantique composé par Abel Soreau
Date du document : 2e moitié 19e siècle
Collectionner de vieilles chansons populaires
En 1894, ce passionné de musique commence un Recueil de chansons populaires. Il collecte des centaines de chansons de tradition orale en Loire-Inférieure, consignées et numérotées dans des recueils-catalogues dans lesquels elles apparaissent avec accompagnement de piano.
Son travail de collecte influence son activité d’enseignant. En effet, l’abbé a l’habitude de faire chanter ses élèves lors de cérémonies de remises de prix. À partir de 1894 et du début de sa collecte, les programmes comptent de plus nombreuses chansons originaires du pays nantais.
Pour mener sa collecte, Abel Soreau aurait parcouru la campagne nantaise d’après ses biographes et contemporains. Il a certainement sillonné le pays nantais, comme le montrent ses milliers de photographies. Néanmoins, des documents montrent que l’abbé a également collecter d’autres façons. Deux brouillons de lettres envoyées à des collaborateurs potentiels prouvent qu’il utilise un réseau de correspondants dont beaucoup sont des ecclésiastiques, auxquels il offre de participer à son œuvre.

Lettre d’Abel Soreau au curé du Temple-de-Bretagne
Date du document : Fin du 19e siècle
Concernant la notation musicale d’Abel Soreau, ce dernier sait sans aucun doute noter ce qu’il entend. Plusieurs rythmes complexes et ornements sont consignés dans ses recueils, même si nous ne pouvons pas apprécier la fiabilité de ses transcriptions. Afin d’écrire sous la dictée, les notations du recueil de 1894 sont en majorité dans des tonalités simples, souvent en fa et sa relative ré mineur, parfois en sol ou mi mineur. La question des reprises est plus délicate, notamment pour les chants dits « à répondre » où dans la pratique habituelle un meneur lance une phrase musicale répétée par le groupe. Le chanteur qu’Abel Soreau entend est seul, il interprète souvent les phrases en omettant les réponses. C’est un des inconvénients classiques de ce genre de collecte hors contexte.
Le phonographe des frères Luneau
Un élément important vient s’immiscer dans les méthodes de collecte d’Abel Soreau. Deux jeunes religieux, Jean-Baptiste et Donatien Luneau, professeurs d’anglais et collègues d’Abel Soreau à Saint-Stanislas enregistrent huit chanteurs interpréter plus de 20 chants entre 1903 et 1909, à l’aide d’un phonographe.
Les interprètes sont enregistrés chez eux, dans les villages près de la Bourdelière en Vallet d’où les Luneau sont originaires. Un seul, Henri Coutouis de Challans, est enregistré à Nantes, chez M. Brunelière, un informateur d’Abel Soreau. Les frères Luneau sont très probablement les premiers à collecter de cette manière en Haute-Bretagne.
La publication de la collection
Abel Soreau souhaite publier ses collectes. Ce dernier a l’habitude de faire imprimer ses compositions. Néanmoins, il veut habiller ces chansons d’un accompagnement au piano, qui introduit et conclut la mélodie chantée. Étonnamment, sur les 60 chansons éditées, une seule possède un accompagnement à plusieurs voix. Après cela, les chants doivent également et éventuellement être commentés. Pour cela, Abel Soreau mène des recherches à la « bibliothèque publique de Nantes ». Il est souvent question d’attester l’ancienneté de la chanson, avec des références aux druides, au Moyen-Âge, au roi, aux châteaux ou encore au passé royaliste de la Vendée. Les changements opérés par Abel Soreau sur le matériel qu’il recueille peuvent même aller jusqu’à la composition entière des paroles d’une chanson. Certes, dans certains cas, les circonstances de la collecte ont peut-être encouragé la création ; parfois encore, les paroles n’ont pas été retrouvées.
Des 36 fascicules qu’il a patiemment préparés, seuls 6 sont imprimés entre 1901 et 1909. Ils sont annoncés à chaque fois à grands renforts d’articles dans la presse locale et des exemplaires sont envoyés aux chroniqueurs potentiels. Le fonctionnement de la publication est très bien compris. Elle paraît par série : chaque chanson forme un morceau de musique à part, à quatre pages sur vélin, illustré par Jacques Pohier ; chaque série est renfermée dans un cartonnage illustré en couleurs.

Couverture du 5e fascicule des Vieilles Chansons du Pays Nantais
Date du document : Début 20e siècle
Abel Soreau n’a pas l’occasion de publier l’intégrale de sa collecte. Il prépare pourtant d’autres fascicules, choisit les chansons et les arrange avec un accompagnement de piano. Il prévoit de déposer le tout à la Bibliothèque municipale de Nantes, comme il l’indique dans une lettre non datée :
« […] si je ne réussis pas à […] faire éditer toute la collection, mon dessein est de les léguer à la Bibliothèque Publique où elles trouveront, je crois, un abri contre les ravages des hommes et du temps. »
L’un des motifs d’étonnement de l’étude du fonds Soreau, est que le choix des dix chansons constituant chaque fascicule ne semble motivé par aucune démarche logique évidente.
L’héritage des collectes d’Abel Soreau
Abel Soreau et ses collectes ne bénéficient que d’une faible reconnaissance. L’association Dastum 44 s’est engagée dans plusieurs projets de valorisation, dont la publication intégrale du « fonds chansons » d’Abel Soreau en septembre 2024.
Plusieurs chansons collectées par l’abbé peuvent néanmoins se retrouver dans les archives sonores et donc dans des collectes postérieures. Ainsi, Or, c’était un vieux bonhomme n’apparaît de nouveau dans les collectes qu’au début des années 2000, tout comme La vache à Biron qui est de nouveau collectée en 1991. Il est probable que ces chansons aient évoluées, même s’il est possible que leurs anciennes versions soient toujours d’actualité. La connaissance de ces chansons, telles que consignées dans les collectes de Soreau, est aussi possible grâce à la diffusion de ses fascicules. On peut aussi imaginer que certains morceaux se soient transmis dans le cadre d’activités au lycée Saint-Stanislas.
À l’inverse, on peut également constater qu’un nombre conséquent de chansons n’ont plus été recueillies en Loire-Atlantique après avoir été consignées par Abel Soreau. Citons, entre autres exemples significatifs J’ai ben pris du plaisir, Le plaisir de la chasse, M’en revenant de Nantes, ou encore Pierre, mon ami Pierre.
Le fonds Abel Soreau est l’un des plus riches et précieux constitués en Haute-Bretagne. Il offre un choix n’ayant que peu d’équivalent et ouvre la voie à plusieurs sujets de recherche, comme les langages et dialectes représentés.
Hugo Aribart et Hervé Dréan
Dastum 44
2024
En savoir plus
Bibliographie
ARIBART Hugo, DRÉAN Hervé, Abel Soreau : collecteur de chansons en pays Nantais, Dastum 44, 2024 (2 volumes)
GUILLET Noël (dir), Saint-Stanislas de Nantes, 150 ans d’enseignement catholique, Association Saint-Stanis¬las, Nantes, 1997, p. 296
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Rédaction d'article :
Hugo Aribart et Hervé Dréan
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