Cours des 50 Otages
Espace urbain et lieu de mémoire, les Cinquante otages ont longtemps divisé le cœur de Nantes.
Cette basse vallée de l’Erdre montre longtemps un paysage de zone humide, où la rivière sinue entre îles, marais et coteaux de landes. Puis l’enceinte gallo-romaine et les fortifications médiévales viennent s’appuyer sur la rive gauche de la vallée, avant d’en intégrer la partie sud à partir du 13e siècle. La rive droite, dominée au nord par le quartier du Marchix, est occupée dès le 17e siècle par des tanneries, abattoirs, boucheries et peausseries.
La seconde moitié du 18e siècle voit ce paysage bouleversé par les travaux d’embellissement de Jean-Baptiste Ceineray, avec la démolition des remparts et la canalisation de l’Erdre. Le cours de la rivière devient un espace urbain régulier, bordé de quais et de terrains disponibles. Deux immeubles bâtis par Ceineray, à l’angle des quais Brancas et Cassard (1762-1767) et à celui des quais Flesselles et Jean Bart (1767-1772), marquent le débouché de la rivière dans la Loire. Leurs ordonnancements se retrouvent, simplifiés, côté Erdre. À l’angle de la place du Port-Communeau, des façades penchées du 18e siècle rappellent aujourd’hui l’instabilité de la rive alors redessinée.
Cours et monument des Cinquante Otages
Date du document : sans date
L’Erdre détournée
La place de l’Abreuvoir, tracée en demi-cercle, prend au 19e siècle le nom de place du Cirque, en référence au cirque-théâtre bâti par Joseph-Fleury Chenantais en 1834 dans la rue de l’Arche Sèche.
Les constructions des 18e et 19e siècles n’ont pas ici la monumentalité de celles des quais de Loire ou des cours créés par Ceineray. Elles alignent, sur des parcelles parfois très étroites, des façades disparates, tantôt de décor et de hauteur modestes, tantôt soignées et opulentes.
Au début du 19e siècle sont reconstruits plusieurs ponts, en pierre puis en métal comme le pont de l’Erdre au débouché dans la Loire ou celui prolongeant la rue de Feltre, dont le tablier de fonte est posé en 1842 sur l’écluse inaugurée en 1829. La volonté de faciliter les liaisons entre la ville historique et ses extensions ouest accompagne alors celle d’améliorer la navigabilité de ce qui est devenu l’aboutissement du canal de Nantes à Brest.
L’implantation en 1835 d’une usine à gaz, alimentée en charbon par les péniches accostant au quai des Tanneurs (et dont l’établissement EDF est le lointain descendant) indique le caractère peu prestigieux du site, dont l’esthétique et l’hygiène sont longtemps critiquées.
Des études menées dès le milieu du 19e siècle conduisent dans les années 1930, grâce aux dédommagements de guerre de l’Allemagne vaincue, au détournement de la rivière vers le canal Saint-Félix, dont l’écluse sur la Loire est inaugurée en 1934. Un tunnel a été creusé sous les cours Saint-André et Saint-Pierre. La décision de combler l’Erdre n’est prise qu’en 1937, et les travaux réalisés de 1938 à 1943. Officiellement inauguré dès juillet 1941, le nouveau boulevard urbain est baptisé « cours de l’Erdre » avant de devenir en 1944 « cours des Cinquante Otages », en hommage aux patriotes fusillés par l’occupant nazi.
Tract en mémoire des 50 otages
Date du document : 10-1942
Un nouveau centre
L’ancien cours de l’Erdre devient après la guerre un espace de type autoroutier, encadré de voies aménagées sur les anciens quais, qui forme une barrière au cœur de la ville. En 1990, en parallèle à la création de la deuxième ligne de tramway, une réflexion est lancée pour la « recherche d’une nouvelle centralité pour Nantes ». Un concours international d’architecture choisit en mars 1991 le projet de l’urbaniste Bruno Fortier et de l’architecte Italo Rota. La réduction des voies circulables permet de dégager de vastes espaces aux lignes fluides, végétalisés ou dallés de granite et de schiste. Les allées devenues piétonnes sont soulignées d’alignements de platanes, de tilleuls et de magnolias, et conservent le nom des anciens quais. Le mobilier urbain, de la simple borne aux luminaires sophistiqués, poursuit les courbes du dessin général.
Deux ans plus tard est achevé l’hôtel La Pérouse (Barto et Barto et Pierrick Mazeron, architectes), dont les élévations lisses, revêtues de calcaire, font référence aux façades penchées des immeubles nantais du 18e siècle.
Le cours continue donc au 20e siècle d’enrichir la diversité de ses écritures architecturales : ordonnancements classiques de Ceineray ou des immeubles à arcades du débouché de la rue d’Orléans ; étroites et hautes façades de maisons de quai ; riches modénatures éclectiques du 19e siècle ; élévations en brique et bois peints d’un ancien atelier devenu restaurant (ce bâtiment a été détruit en 2020) ; décors Art déco pour l’angle de la rue Armand Brossard, l’immeuble « du Rat goutteux » à l’angle de la rue de la Barillerie (Henri Enguehard architecte, vers 1930) et les devantures de la librairie Durance ; compositions néoclassiques de la place de l’Écluse reconstruite de 1952 à 1955 ; soubassement à échelle urbaine et envolées courbes des accès de la tour Bretagne (Claude Devorsine architecte,Marcel André ingénieur, 1976) ; volumétries biaises de « l’îlot Boucherie » (Frédéric Borel architecte, Pellegrino architecte d’opération, 1999) ; peau de verre et terrasses végétalisées pour les deux immeubles de « l’îlot Orléans » (Jean-François Revert architecte, 2014) reconstruits devant l’ancienne porte Sauvetout, dont le dégagement de vestiges rappelle aujourd’hui le passé stratégique du site.
Inauguration du monument aux Cinquante otages
Date du document : 22-10-1952
La mémoire des fusillés
Le nom du cours reste évidemment indissociable de l’événement majeur qui l’a inspiré : l’exécution de 48 otages à Nantes, Châteaubriant et Paris. En octobre 1941, la résistance communiste étend la lutte armée à toute la zone occupée. Trois villes sont d’abord retenues : Bordeaux, Nantes et Rouen.
À la mi-octobre, deux militants locaux accueillent en gare de Nantes trois jeunes communistes : Marcel Bourdarias, 17 ans, Gilbert Brustlein, 22 ans, et Spartaco Guisco, 29 ans. Leur mission est de faire dérailler un train et d’exécuter un officier allemand du plus haut grade possible.
Le 20 octobre, Bourdarias, Brustlein et Guisco disposent des explosifs sur la voie ferrée à Chantenay. Bourdarias reste sur place pour rendre compte du résultat de l’opération. Ses camarades s’en vont vers le quartier de la Kommandantur. Place Saint-Pierre, vers 7 h 45, ils emboîtent le pas à deux officiers allemands et, à l’angle de la rue du Roi Albert, tirent sur eux. L’arme de Spartaco s’enraye, épargnant le capitaine Sieger, mais les deux balles de Brustlein tuent le lieutenant-colonel Hotz, chef de la Kommandantur de Nantes.
Hitler décide de réagir avec sévérité pour mettre fin à la vague d’attentats contre des soldats allemands qui sévit en France depuis août. Il exige que cent otages de « tous les milieux hostiles » (communistes, gaullistes, agents britanniques) soient exécutés. Les cinquante premiers devront être fusillés le 22 octobre et les autres dans les 48 heures. Le 21 octobre, à Bordeaux, un officier allemand est abattu, confortant les Allemands dans leur politique de représailles.
Les exécutions ont lieu à Paris, Nantes et Châteaubriant le 22 octobre. À Paris, cinq résistants d’origine nantaise, emprisonnés au fort de Romainville, sont fusillés au Mont-Valérien. Treize Nantais détenus à la prison La Fayette de Nantes pour faits de résistance sont exécutés à 16 heures au champ de tir du Bêle. Une heure après, sont fusillés au même endroit trois autres Nantais âgés d’une vingtaine d’années, détenus à la prison des Rochettes, également pour faits de résistance. Ces 21 fusillés témoignent d’une résistance minoritaire mais active à Nantes depuis 1940.
Dépôt d'une gerbe au monument des Cinquante otages, lors de la manifestation du 1er juin
Date du document : 01-06-1968
Ce même après-midi, 27 otages sont fusillés dans une carrière près de Châteaubriant. Ils ont été choisis par les autorités allemandes et françaises parmi les prisonniers politiques (communistes, leaders syndicalistes) détenus près de la ville au camp de Choisel. Hitler a ses 48 victimes (deux ont réchappé lors de l’établissement des listes). Cinquante autres attendent. Pour empêcher la seconde vague d’exécutions, à Nantes et dans tout le pays, on multiplie les démarches. L’administration militaire allemande en France, soucieuse de préserver la politique de collaboration engagée avec Vichy, persuade Hitler du report des exécutions, puis de leur renvoi sine die.
L’exécution des otages a un grand retentissement : le 11 novembre 1941, De Gaulle décerne à la ville de Nantes la croix de l’Ordre de la Libération. Les protestations de Roosevelt et Churchill donnent à l’événement une portée internationale.
Monument conçu par Marcel Fradin et Jean Mazuet
Date du document : 23-05-2012
Après la guerre, la mémoire nantaise va se construire non pas sur l’acte de résistance des trois jeunes communistes mais autour de l’exécution des otages : une mémoire hypertrophiée laissant dans l’ombre les autres victimes locales du nazisme. Cette mémoire douloureuse, le Conseil municipal l’inscrit au cœur de l’espace citadin stigmatisé par les bombardements en baptisant (20 octobre 1944) l’artère centrale de la ville « cours des Cinquante Otages ».
En 1952, l’architecte Marcel Fradin et le sculpteur Jean Mazuet élèvent sur un socle de granite une flèche métallique encadrée des allégories de la Résistance et de la France renaissante. C’est devant ce monument que se réunissent les familles des fusillés nantais chaque 22 octobre tandis que le Parti communiste organise au même moment une cérémonie à Châteaubriant à la gloire des 27 otages exécutés là-bas. Mémoire qui reste divisée jusqu’en 1991, quand on commence à commémorer les exécutions de l’ensemble des otages devant le monument. Lui faisant face est inaugurée, en 2010, une statue du général de Gaulle, de Françoise Boudier, sur l’esplanade dite depuis 2006 « des Cinq communes Compagnon de la Libération ».
Christophe Boucher, Jean Bourgeon
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018 (mis à jour en 2021 par Noémie Boulay)
(droits d'auteurs réservés)
En savoir plus
Bibliographie
Belser Christophe, Bloyet Dominique, « Le tournant du 20 octobre 1941 », dans Nantes et la Loire-Inférieure : les années noires, Patrimoines médias, 2014, p. 131-143
Bourgeon Jean, « Les cinquante otages », dans Croix, Alain (dir.), Nantes dans l'histoire de la France, Ouest-éd. 1991, p. 204-215
Guyvarc’h Didier, « Les cinquante otages », dans La construction de la mémoire d’une ville : Nantes, 1914-1992, Presses universitaires du Septentrion, 1997, p. 558-567
Guyvarc'h Didier, « Les cinquante otages dans la mémoire nantaise », dans Bougeard, Christian (dir.), Bretagne et identités régionales pendant la seconde guerre mondiale, Centre de recherche bretonne et celtique, 2002, p. 381-392
Oury Louis, Rue du roi-Albert : les otages de Nantes, Châteaubriant et Bordeaux, Le Temps des cerises, 1997, rééd. 2002
Webographie
Podcast de Nantes Inspirante : Loïc Le Gac fait revivre l'histoire tragique des 50 otages
Ressources Archives de Nantes
Documentation
Pages liées
Nantes, ville compagnon de la Libération
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Contributeurs
Rédaction d'article :
Christophe Boucher, Jean Bourgeon
Enrichissement d'article :
Noémie Boulay
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