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Charles Ange Laisant (1841 – 1920)


Charles Ange Laisant est une figure bien connue de la Troisième République originaire de la région nantaise. Plusieurs de ses carrières prennent naissance à Nantes. Que retenir de ses parcours entremêlés de savant, d’officier, d’homme politique, d’homme de presse, de pédagogue ? Au-delà de cette multiplicité, l’unité du personnage est marquée par ses convictions : républicain, réformateur, internationaliste et humaniste.

Un rapide éloignement de Nantes

Laisant est né à Basse-Indre, près de Nantes, le 1er novembre 1841. Son père est un clerc de notaire républicain qui sera brièvement maire de la commune du Bignon en 1870, non loin de là. Laisant devient élève au lycée de Nantes où il a pu côtoyer le futur Général Boulanger. Il est admis à l’École polytechnique en 1859, puis à l’École d’application de l’artillerie et du génie à Metz.

Sa carrière militaire débute avec une conduite remarquée lors de la défense du Fort d’Issy près de Paris durant le conflit de 1870. Ceci lui vaut la croix de chevalier de la légion d’honneur. Elle se poursuit avec de multiples tensions envers sa hiérarchie dues à ses convictions politiques. Il s’ensuit autant de nomination à Tours, Bastia ou en Algérie où il officie comme capitaine du Génie au service météorologique.

Des parcours difficilement conciliables

Laisant réussit à concilier sa carrière militaire et son mandat de conseiller général de la Loire-Inférieure entamé en 1871 sous l’impulsion de son mentor nantais Ange Guépin. Il défendra notamment la modernisation des observations météorologiques dans ce département. Mais en 1876, il démissionne de l’armée et choisit une destinée politique d’envergure nationale. Il sera député, d’abord de Nantes de 1876 à 1885, puis de la Seine jusqu’en 1893. Adversaire de Ferry, il appartient à la gauche radicale. Espérant des réformes profondes, il s’implique ensuite dans le mouvement boulangiste issu d’une vague antiparlementariste. Il tente entre autre de réformer le service militaire mais milite également pour diversifier l’offre d’enseignement mathématique à la Sorbonne ou au collège de France.

Son engagement politique peut être vu comme le prolongement de ses réflexions sociétales au sein de la franc-maçonnerie, notamment à Nantes. Ainsi, la nécessité d’une véritable instruction publique primaire obligatoire, gratuite et laïque est présente dans les débats de la nouvelle loge nantaise « Libre conscience » dont il sera vénérable. Laisant sera néanmoins exclu de la franc-maçonnerie après son implication boulangiste en 1891. Ses convictions s’affichent également dans la presse : il dirige le quotidien Le Petit Parisien de 1877 à 1881 et fonde l’éphémère journal La République Radicale en 1883.

Embrasser « la mathématique »

Parallèlement à sa carrière politique, Laisant mène une riche activité mathématique, diffusant des mathématiques originales, écrivant beaucoup et sur des sujets variés, des fonctions hyperboliques à l’arithmétique.

Il fait connaître en France les équipollences de l’Italien Bellavitis et les quaternions de l’Anglais Hamilton. Sa thèse de 1877 porte notamment sur les applications mécaniques du calcul des quaternions. Il réalise l’intérêt de ces calculs géométriques qui annoncent le calcul vectoriel et il milite pour le voir introduire dans l’enseignement.

Il est ami de l’arithméticien Édouard Lucas et s’intéresse aux questions de combinatoire et de théorie des nombres. Il manipule alors échiquiers arithmétiques, mosaïques et autres représentations qui visent à piquer la curiosité du plus grand nombre.

Sa pensée des mathématiques s’exprime dans un ouvrage de 1898 La Mathématique. Philosophie – Enseignement. Il y affirme l’origine expérimentale des mathématiques et en tire de nombreuses implications pédagogiques. Il écrit aussi plusieurs manuels pour l’enseignement primaire et secondaire dans le souci de changer leur contenu.

Homme de réseaux…

Laisant s’affirme également comme un homme de réseaux dans le milieu des mathématiciens de son époque. Il devient président de la Société mathématique de France en 1888 et participe activement aux congrès régionaux annuels de l’Association française pour l’avancement des sciences. Il est séduit par cette entreprise de diffusion des sciences après la défaite de 1870 et en sera président en 1904. Sa première participation date du congrès de 1875… à Nantes.

Laisant s’inscrit d’autant plus dans la communauté mathématique qu’il s’occupe de plusieurs revues. Il dirige les Nouvelles Annales de mathématiques, destinée aux élèves et aux professeurs des classes préparatoires, à partir de 1896. Il crée en 1894 avec son ami polytechnicien Émile Lemoine L’Intermédiaire des mathématiciens, véritable forum sur les mathématiques avant l’heure. Enfin, il est aussi le fondateur en 1899 avec le Suisse Henri Fehr, d’une revue internationale traitant de questions pédagogiques et des réformes souhaitables, L’Enseignement mathématique. Cette revue est toujours publiée de nos jours.

…et savant internationaliste

Les liens que Laisant tisse avec de nombreux autres savants dépassent le cadre de l’hexagone. Il est à l’origine du premier congrès international des mathématiciens en 1897 alors que les tensions nationalistes sont encore fortes après la guerre de 1870.

Il garde pour ambition de faciliter les échanges entre scientifiques de tous horizons, de tous pays. C’est le sens de ses projets éditoriaux, de la rédaction d’un Annuaire des mathématiciens (1901) qui vise à recenser tous les mathématiciens dans le monde, ou encore de sa ferveur espérantiste. L’espéranto est une langue internationale créée en 1897 dont la construction simple a pour but de simplifier la communication entre les peuples.

« Le rôle social de la Science » et l’éducation salvatrice

Laisant délaisse en 1893 la vie politique institutionnelle de l’Assemblée et son parlementarisme puis se rapproche des milieux anarcho-syndicalistes sous l’impulsion de son fils unique, Albert. Il rassemble ses convictions radicales dans des ouvrages comme La Barbarie moderne (1912). Laisant reste animé par la conviction qu’une éducation complète et rationnelle de tous et plus particulièrement des plus jeunes est la garante de véritables progrès sociaux. Le mathématicien, alors examinateur d’entrée à l’École polytechnique, se mue en pédagogue en publiant en 1904 L’Éducation fondée sur la science puis en 1906 son Initiation mathématique. Ce dernier ouvrage veut rendre accessible par l’expérimentation les mathématiques essentielles et nécessaires aux futurs citoyens. Il est plusieurs fois réédité et annonce toute une collection visant à un enseignement renouvelé des sciences, basé sur la curiosité des élèves. Laisant devient ainsi un acteur important de « l’Éducation nouvelle » qui prône la participation active de l’élève dans sa formation.  Il continue de fustiger le système scolaire français qui conforte les inégalités sociales.

Là encore, il collabore avec des pédagogues d’autres pays tel Francisco Ferrer et dirige la Ligue internationale pour l'Éducation rationnelle de l'enfance.

Sa santé l’oblige à quitter ses fonctions à l’École polytechnique en 1913 et son activité scientifique décline. Condamnant l’agression allemande de 1914 en signant le Manifeste des seize tout en restant antimilitariste, il s’éteint deux ans après la fin du conflit le 5 mai 1920 à Asnières.

Jérôme Auvinet, Laboratoire de mathématiques, Jean Leray, Université de Nantes
2021

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En savoir plus

Bibliographie

Auvinet, Jérôme, Charles-Ange Laisant. Itinéraires et engagements d’un mathématicien de la Troisième République, Hermann Éditeur, Paris, 2013.

Barbin, Évelyne, « Les récréations : Des mathématiques à la marge », Pour la Sciences, 30, 2007, 14-17.

Laisant, Charles Ange, L’Éducation fondée sur la science, Félix Alcan éditeur, Paris, 1904.

Laisant, Charles Ange, Initiation Mathématique. Ouvrage étranger à tout programme dédié aux amis de l’enfance, Librairie Hachette, Paris, 1906.

Laisant, Charles Ange, La Mathématique. Philosophie - Enseignement, G. Carré et Naud, Paris, 1898.

Laisant, Charles Ange, La Barbarie moderne, Bataille syndicaliste, Paris, 1912.

Sauvage Jean-Pierre, "Charles-Ange Laisant, député et mathématicien", Histoire, mémoires locales, départementales, régionales, n°2, 1994, 63-80.

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Jérôme Auvinet

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