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Rosaces de tramway


Les rosaces sont ces ancrages ornementés que l’on observe scellés sur des façades d’immeubles, de grandes maisons ou de bâtiments. Elles recevaient les extrémités des haubans métalliques qui maintenaient les fils spécifiques alimentant en électricité les anciens tramways qui ont circulé entre 1913 et 1958.

Aujourd'hui, 332 rosaces ornant des façades sont visibles depuis l’espace public (322 à Nantes et 10 à Rezé), sur les tronçons du tramway construits jusqu’en 1932.

Le vocable « rosace » peut surprendre pour les ancrages nantais à quatre branches : à l’origine, les premières lignes de tramway électrique en France, depuis Clermont-Ferrand en 1890, avaient comme ancrage une embase de forme ronde décorée, fixée par trois boulons et possédant un seul anneau d’attache : elle méritait donc le terme de rosace. Ce terme a été gardé pour les modèles ultérieurs.

Où se situaient les rosaces

Dès le début, en 1913, la mairie a demandé à la Compagnie des Tramways de Nantes (CTN), qui exploitait le tramway à air comprimé depuis 1879, de restreindre au maximum l’emploi de poteaux ou de potences et d’y substituer des rosaces, bien moins coûteuses, là où c’était possible, malgré la centaine de protestations exprimées par les propriétaires concernés lors de l’enquête préfectorale d’avril 1913.

Mais les impossibilités d’installer des rosaces étaient nombreuses :
> sur les habitations avec une façade de moins de 7 mètres de haut ou trop éloignées de la bordure du trottoir,
> le long des quais de la Loire ou de l’Erdre,
> sur les larges boulevards bordés d’arbres sur les trottoirs,
> au centre des grandes places,
> sur les façades fragiles.

Si bien qu’en centre-ville, dans les rues bordées d’immeubles, plus de 80% des extrémités de hauban étaient des rosaces, alors que dans les zones pavillonnaires ou industrielles, on tombait à moins de 10%.

La localisation de ces rosaces indique d’anciens axes de circulation : la rue des Hauts-Pavés, ou un accès au sud de Nantes par les rues Petite et Grande Biesse. Le tramway actuel emprunte de nouvelles et larges voies parallèles comme la rue du Poitou et le boulevard des Martyrs Nantais de la Résistance.

L’archet, en forme de cerceau, captait le courant électrique sur les fils électriques situés à une hauteur de 6,50 mètres du sol.

La distance entre deux haubans était de l’ordre de 30 mètres, distance que l’on retrouve entre les rosaces dans certaines rues ayant conservé leurs immeubles de l’époque.

Un quart des rosaces encore présentes est en excellent état (avec leur décor évoquant la vigne toujours visible), ayant été entretenues, un tiers en état moyen, et le reste bien rouillé ou recouvert par les couches de peinture ou d’enduit des ravalements des façades. Dix rosaces ont disparu entre les deux inventaires exhaustifs de 2011 et 2021.

Constitution des rosaces et différents modèles

Toutes les rosaces nantaises sont constituées d’un socle moulé en fonte, fixé au mur par quatre boulons à cheville mécanique, et avec deux platines arrondies. Celles-ci tiennent la noix en fonte, par l’intermédiaire d’un axe, ce qui permettait son orientation en fonction des efforts des haubans, car il pouvait retenir jusqu’à trois haubans. Deux rondelles et un tube en caoutchouc, formant sourdine, isolaient acoustiquement la noix de la platine.

Le modèle « classique » prédominant à Nantes était fourni par la Manufacture des Isolants et des Objets Moulés, filiale de la CGE, sous la référence 6075. En dehors de ce « classique », on trouve deux autres modèles :

> 44 rosaces « ovales » fourni par une autre filiale de la CGE, sous la référence 6128, utilisées sur les extensions de réseaux à partir de 1920. En effet, l’outillage pour réaliser les « classiques » était devenu inutilisable suite aux destructions de la Première Guerre mondiale.
> 6 rosaces « élancées » utilisées en dépannage, après le dernier tronçon électrifié, en 1932.

On retrouve ces deux modèles dans des grandes villes, par exemple l’ovale à Toulouse et l’élancé à Bruxelles.

Contraintes et environnement des rosaces

Les rosaces se situaient généralement à 7 mètres de hauteur dans les rues étroites, soit entre le 1e et 2e étage. Mais pour les haubans de grande portée autour des places, pouvant atteindre 75 mètres de long, la hauteur des rosaces arrivait alors jusqu’à 11 mètres. Il fallait aussi que les rosaces résistent à de fortes tractions, d’autant plus celles recevant deux ou trois haubans, certains supportant une force proche de 500 kilogrammes.

Le hauban métallique supportait un câble électrique soumis à un courant continu de l’ordre de 600 volts. L’isolation électrique de la rosace était réalisée par une double barrière :

> la première par l’isolateur, pièce reliant le hauban au fil électrique,

> la seconde par une boule isolante placée plus ou moins près de la rosace ou du poteau, ou un tendeur assurant aussi l’isolation électrique (appelé communément à l’époque « brooklyn ».

Enfin la transmission du bruit de frottement de l’archet du tramway à l’intérieur des bâtiments, était limité par une autre double barrière :

> les éléments de caoutchouc internes à la rosace,

> une pièce de forme cylindrique, près de la rosace, appelée sourdine.

Le coût des rosaces sans leur mise en place représentait environ 0,2% des sommes engagées pour construire les tronçons.

Trois générations de tramways nantais

Les premiers tramways nantais, en service entre 1879 et 1917, inventés par Louis Mékarski, utilisaient comme énergie de l’air comprimé. Reconnaissables à leur robe rouge, les motrices étaient réalimentées en air et en eau bouillante à chaque terminus, et n’avaient donc pas besoin de rosaces.

Au temps des rosaces, entre 1913 et 1958, les motrices et leur remorque ont causé de nombreux accidents. C’est pourquoi on les avait surnommées le « péril jaune », en raison de leur couleur et à une époque où la Chine commençait déjà à inquiéter les Français sur le plan économique et politique.

Sitôt les bombardements de 1943 terminés, les employés firent tout leur possible pour rétablir les installations fixes du réseau détruites, voies et lignes aériennes.
La place Royale ayant été en grande partie détruite, les immeubles furent réédifiés quasiment à l’identique lors de la reconstruction entre 1945 et 1961. À cette occasion, les rosaces furent replacées sur les façades neuves.

Cependant, les autobus, moins coûteux et plus souples d'utilisation, prirent la place des lignes non reconstruites, dès 1948 et jusqu’au dernier jour d’exploitation de la dernière ligne du tramway en février 1958. Le démontage des rails et des câbles a suivi, laissant ces rosaces sur les murs, vestiges visibles sur le domaine public. Ont également subsisté le dépôt et les bureaux de la Morrhonnière (qui ont changé d’affectation) et la motrice n°144, circulant dans la ville lors des Journées du Patrimoine.

En 1985, Nantes a été la première ville de France à s’équiper de tramways modernes. Les haubans sont en matière isolante. Quand ils sont fixés sur une façade, ils utilisent un simple et solide piton en acier inoxydable.

Hors de Nantes

Des passionnés européens de rosaces ont trouvé 430 villes dans le monde ayant exploité des tramways électriques de la fin du 19e siècle jusqu’à la moitié du 20e siècle. et Ils ont recensé 140 modèles différents de rosaces.

En levant les yeux sur les rosaces nantaises, on peut s’imaginer qu’il y a un siècle, dans ces rues, deux ou quatre rails occupaient la chaussée, sous les ondulations des haubans et des conducteurs électriques, avec des aubettes de place en place. Et pourquoi ne pas entendre le tintement souvent frénétique de la clochette d’un tramway partageant l’espace avec charrettes, vélos, piétons et rares automobiles.

C’est donc un petit patrimoine industriel, qui mérite d’être mis en valeur lors des ravalements, comme l’a fait la ville de Nantes en 2014 lors de la restauration de l’abside de l’église Saint-Nicolas.

Et si une rosace perd sa façade, elle peut trouver refuge à la Conservation du Château de Nantes, qui est prête à la recevoir.

Vincent Bouchet, Yves-Marie Rozé
2022

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En savoir plus

Bibliographie

Gérard Pierre-François, Cabanas Eric, Nantes – Une ville et ses transports ; de 1879 à nos jours, Victor Stanne, Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, 2003

Martin Henry, Production et distribution de l’énergie pour la traction électrique, Ch. Béranger éditeur, Paris, 1902, p. 275 à 295

Péron André, Nantes et son tramway, éditions Ressac, 1985

Rault Jean-Pierre, Nantes, le tramway, éd. CMD, 1996

Rochard Yvon, Le tramway nantais, éditions Gallimard/Musée d'histoire de Nantes, 2009

Webographie

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Tramway Élément d'architecture

Contributeurs

Rédaction d'article :

Vincent Bouchet, Yves-Marie Rozé

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