Anton Raab (1913-2006)
Les plus anciens Nantais se souviennent d’un magasin Raab Sports situé au 24 rue Racine, en face alors du cinéma L’Apollo. Jusqu’au milieu des années 1980, il était une référence, notamment en matière d’équipement de tennis. Son gérant s’appelait Antoine Raab. L’homme fort des premières années du FC Nantes.
Drôle de destin pour le jeune Peter Anton Raab, né le 16 juillet 1913 à Francfort. Dernier né d’une fratrie de quatre, il subit les douleurs de la Première Guerre mondiale, marquée par la pauvreté et la famine. Le retour des tranchées de son père, violent et alcoolique, n’améliore guère l’ordinaire d’une famille subissant les errements politiques de l’Allemagne dans les années 1920 et les désastres économiques et sociaux de la crise mondiale de 1929. Pour oublier ce quotidien de misère, il s’initie au football et se fait remarquer au sein d’un des trois grands clubs de Francfort, le FC Union de Niederrad.
Portrait d’Anton Raab
Date du document : 1940
Anton exerce très jeune le métier de maçon et, tout comme un de ses frères et un oncle, il milite au sein du Parti communiste allemand (KPD) dont il va devenir au fil des mois un acteur important dans son quartier de Niederrad. L’arrivée d’Hitler au pouvoir ne le dissuade pas de poursuivre le combat. Arrêté en 1933, sans être condamné, il continue de fabriquer et de distribuer des tracts appelant au renversement du pouvoir nazi. De nouveau arrêté en 1935, il est torturé pendant des mois.
Condamnés à trois ans et demi de prison
Une longue descente aux enfers sans porte de sortie si ce n’est celle ultime d’avouer. L’aveu. La Gestapo en fait une fin. Creuser dans la chair, meurtrir l’âme, arracher les langues pour quelques mots, brûler les lambeaux d’humanité.
Il est jugé en novembre 1935 et condamné à trois ans et demi de prison à Kassel. De nouveau battu et menacé de représailles sur sa famille, il parle et feint de vouloir coopérer avec la Gestapo. Ce qui lui vaudra d’être inscrit sur les nombreuses fiches de la police allemande comme « V-Man ». Indicateur. Même si le qualificatif unzuverlässige (« non fiable ») y était accolé, il ne sut jamais assumer cette infamie d’apparaître aux yeux des siens comme un traître, suprême perversion de ses tortionnaires. Il se tut à jamais sur ce sinistre printemps 1937.
Le 1er mai, il fuit l’Allemagne, dans des conditions qui restent donc mystérieuses et franchit la frontière à Forbach.
Recruté par La Saint-Pierre
Dès son arrivée en France, il masque la vérité et s’invente une légende, où n’apparaît jamais son militantisme actif au KPD. Il dit alors avoir été arrêté, torturé et condamné à 15 ans de prison pour avoir seulement refusé de faire le salut nazi, l’Hitlergruss, lors d’un match international à Stuttgart en 1933. Et c’est sous l’étiquette d’ancien joueur de l’Eintracht Francfort (il est avéré aujourd’hui qu’il ne joua jamais dans ce club), qu’il commence une nouvelle carrière en France, d’abord au CAP (Cercle athlétique de Paris) puis à Nantes. Fin 1937, à l’occasion d’une tournée du club parisien dans l’Ouest, les dirigeants de la Saint-Pierre le recrute tout en lui offrant un travail de dessinateur dans l’entreprise de travaux publics Dodin. Anton Raab va tout de suite faire preuve d’une classe et d’une qualité technique hors-norme qui vont permettre à la Saint-Pierre de gagner le Championnat de promotion de l’Ouest et ainsi d’accéder à la Division d’honneur, porte d’entrée vers une équipe professionnelle. Les premières bases du futur FCN sont posées…
Fausse carte d’identité au nom d’Alphonse Rousseau
Date du document : 30/08/1940
Caché dans un grenier à Nantes
En juin 1939, alors que les prémices de la guerre en Europe se font jour, Anton Raab doit quitter son emploi dans l’entreprise Dodin qui travaille pour la Défense nationale. Le Stade Rennais, qui vient d’accéder à la Première division, lui fait signer aussitôt un contrat professionnel. Il n’aura pas le temps de faire valoir son talent. En septembre 1939, comme tous les ressortissants germaniques, il est conduit dans un centre d’internement à Vitré puis à Meslay-du-Maine en Mayenne avant de s’engager comme « prestataire » dans une usine d’armement à Montluçon.
Extrait du « Phare de la Loire »
Date du document : 5 mars 1938
L’avancée des troupes allemandes le contraint à fuir à Cahors. Dans des conditions rocambolesques, il échappe de peu à la Gestapo et, muni de faux papiers, il se cache à Nantes, dans un grenier appartenant aux parents de sa fiancée. Alors qu’il est activement recherché par les autorités allemandes, il y reste trois ans avant de trouver refuge à Treillères après les bombardements de septembre 1943.
L’homme clé des premiers pas du FCN
En 1944, il réapparaît, malgré quelques soucis lors des premières heures de la Libération. Il signe rapidement au tout nouveau FC Nantes et retrouve la plupart des ses anciens coéquipiers de la Saint-Pierre qui forme l’ossature du club créé un an plus tôt.
Engagé dans le championnat de Deuxième division, le FCN prend sa véritable dimension en 1945. Raab est alors l’homme fort des Canaris. Il en deviendra le joueur entraîneur à l’été 1946 et ce pour trois saisons. Mais il ne parviendra jamais à hisser le club en D1, malgré les efforts de Marcel Saupin, le président du FCN, et de son successeur Jean Le Guillou qui lui confiera de nouveau le coaching du club en 1955-1966.
Éphémère vice-président et directeur sportif des Canaris, il s’éloigne peu à peu des instances nantaises, surtout à partir de 1960 après l’arrivée au poste d’entraîneur de José Arribas avec lequel il ne partageait pas les choix tactiques.
À force de vendre des raquettes de tennis dans son magasin de sports, Antoine (il a été naturalisé en 1952) s’initie lui-même au tennis alors qu’il fête ses 60 ans. Sous les couleurs du SNUC, il fait un brillant parcours en catégorie vétérans, au point de participer au tournoi Roland-Garros. « Le football m’avait appris l’art du contre-pied » disait-il.
Ce sera le dernier exploit d’un homme qui décède le 10 décembre 2006, sans avoir livré tous ses secrets. Il laisse une trace indélébile dans le sport nantais, marquée par la rigueur, la volonté, la discipline. Et la générosité.
Denis Roux
2023
En savoir plus
Bibliographie
Chaumier Denis, La légende du FC Nantes, Hugo Sport, 2017
Hartung Hans, Autoportrait, Grasset, 1976
Jaunay André, José Arribas. La fabuleuse histoire du football à la Nantaise, Eric Jamet Editeur, 2021, 300 pages
Roux Denis, Le Dictionnaire du FC Nantes, Hugo Sport, 2021, 333 pages
Roux Denis, Anton Raab: militant anti-nazi, homme fort du FC Nantes, Geste, 2022, 152 pages
Verret Bernard, Le chant des Canaris, Leader, 1992
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Rédaction d'article :
Denis Roux
Anecdote :
Denis Roux
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