La Boissière est la première cité HLM construite à Nantes Nord. Elle se compose de deux ensembles : les Renards (1956-1959) et la Boissière-Fantaisie (1959-1962). Ce projet immobilier marque un tournant dans le développement urbain du quartier.
Les premières réalisations d’HLM à Nantes Nord
En achetant les terres agricoles de la ferme de la Bourgeonnière, la Ville de Nantes souhaite étendre le lotissement de la Boissière par la construction de maisons individuelles à faible coût. « Ces terres de la ferme de la Bourgeonnière pourront ainsi donner 134 lots de 500 mètres carrés et le prix de vente se situer entre 1000 et 1200 francs le mètres carrés. » est-il écrit dans un compte rendu du conseil municipal. Mais au cours de ces mêmes délibérations, il est envisagé une très longue durée des opérations de vente car le quartier « [n’attirant] qu'une clientèle peu fortunée, les prix seront modérés et des délais de paiement très longs ».
Ce projet d'extension du lotissement de la Boissière est rapidement abandonné. Un second est élaboré : il associe 92 lots individuels et 450 à 480 logements dans des petits immeubles collectifs. Harmonieux, associant sur le même site logements individuels et collectifs, il est vite abandonné.
Au final, ces terrains municipaux laissent place à des immeubles construits au gré des aides financières offertes par l'État :
• Les Renards : de 1956 à 1959,
• La Boissière-Fantaisie : de 1959 à 1962.
Cet ensemble prend le nom de cité de la Boissière, le lotissement pavillonnaire voisin devenant la Petite Boissière.
La décision de privilégier les collectifs aux habitations individuelles est une conséquence de la crise du logement qui perdure au niveau national. En 1955, le déficit de logements est de près de 100 000 logements. Il faut construire massivement, rapidement et à bas coûts. Dans ce contexte, de nouvelles réglementations favorisent la construction d’immeubles d’Habitations à Loyer Modéré (HLM).
La cité des Renards
En 1954, l’État lance l’opération « Million », un nouveau type de Logements Économiques Normalisés (LEN) constructible rapidement et à bas coûts. Ainsi, les Type III ne doivent pas dépasser le prix plafond de 1 million de francs, inférieur de moitié au prix courant de construction. Ces habitations sont généralement destinées à une population moins favorisée que celle logée dans les HLM traditionnelles.
Dans le cadre d’une opération « Million », l'Office Public d’HLM de Nantes (OPHLM) se voit attribuer en 1955 des financements pour la construction de 190 logements collectifs répartis sur deux sites : au chemin des Renards et au Plessis-Gautron. Le chantier des Renards est réalisé sur un terrain appartenant à la Ville de Nantes. Les travaux démarrent en 1956 et s’achèvent en 1958. L’OPHLM ayant obtenu un financement pour 50 logements supplémentaires, la Ville accorde une nouvelle portion de terrain située le long du chemin des Renards à ce nouveau projet, qui se termine en 1959. Au total, les 160 logements des Renards incluent 20 appartements de Type 1, 102 de Type 3, 26 de Type 4 et 12 de Type 5.
Les plans sont dessinés par les architectes Joëssel et Lambert. Les immeubles de quatre étages sur rez-de-chaussée sont constitués de trois barres. La construction présente la particularité d'utiliser des fenêtres préfabriquées, toutes identiques, les espaces libres étant remplis par des parpaings : c'est le début de l'industrialisation du bâtiment qui réduit les coûts de main d'œuvre. Ces ensembles disposent de séchoirs à linge, couverts mais non fermés, mis à la disposition des locataires.
Les premiers habitants viennent du Marchix et de différentes opérations de rénovation plus ponctuelles du centre-ville. C'est l'occasion aussi de loger convenablement des familles hébergées dans des maisons réquisitionnées, délabrées.
La cité de la Boissière-Fantaisie
Dans la continuité des Renards, 1060 logements collectifs sont construits en deux tranches à la Boissière : la première achevée en 1960 et la seconde en 1962. 400 logements figurent dans le programme « Économie de Main d'œuvre » et 170 dans le cadre du « Programme de Rénovation Urbaine ». Plusieurs architectes travaillent sur cet ambitieux projet : Choisel, Ferre, Montfort, Ronsin, Evano ou encore Pineau. Pour mener à bien ce chantier, ils ont recours à une méthode de construction industrialisée : c’est le procédé Procoblin qui comprend la préfabrication des fenêtres et au remplissage en parpaings des espaces vides.
Rue Paul-Claudel, un centre commercial est construit mais n'ouvre qu'en 1963. Il vient compléter l'offre commerciale jusqu'alors limitée aux épiceries et aux Docks de l'Ouest ouverts en septembre 1960, rue des Renards.
La construction de ces logements est complétée par des infrastructures comprenant entre autres un centre socioculturel en 1962 et plusieurs établissements scolaires : la Chauvinière en 1956-1957, la Géraudière en 1958, le Baut en 1961 et le lycée Gaspard Monge en 1963. Ces aménagements soulignent la volonté des pouvoirs publics de faire de la Boissière le premier maillon d’un développement du secteur nord de Nantes.
Entre 1980 et 1984, des travaux de réhabilitation sont menés à la Boissière dans le but d’améliorer le confort des logements et le cadre de vie : isolation des combles rue des Renards, marquage des entrées aux n°12 et 14 de la rue André-Chénier, agrandissement de cuisines…
Démolition et nouvelles constructions aux Renards
Au début des années 1990, l'état de délabrement de deux des immeubles construits aux Renards entre 1956 et 1959 est tel qu'une décision doit être prise quant à leur devenir. Seul le bâtiment central n°23 et 25 a bénéficié de travaux de rénovation. L'arrivée du tramway donne une nouvelle orientation aux réflexions en cours. Ne faut-il pas envisager une démolition afin d'aérer la rue et de permettre d'implanter les deux voies du tram en site propre, avec une station en terre-plein central ? Cette solution a l'avantage de permettre de reconstruire des logements de qualité et d'embellir la rue des Renards. Après concertation avec les locataires, la décision est prise de reconstruire, à l'arrière des immeubles, à l'emplacement des séchoirs. La démolition n'intervient qu'après la fin de la construction et le relogement sur place des habitants. Le permis de démolir est signé le 1er juillet 1992. Suite à ces travaux de réhabilitation, le nombre de logements est porté à 106.
L'immeuble « du haut » (n°19 et 21) est détruit en mars 1994 et celui « du bas » au mois de mai. Nombreux sont les anciens locataires à assister à cette démolition. Pour certains, c'est plus de 30 années de leur vie et de celle de leur famille qui disparaît.
En parallèle de ce chantier de démolition-reconstruction, des travaux de réhabilitation sont menés à la Boissière-Fantaisie dans les années 1990. Ils concernent notamment l’isolation thermique par les façades, la mise aux normes électriques, la révision de la plomberie, ou encore l’amélioration de l’équipement sanitaire. Ces chantiers répondent aux nombreuses réclamations formulées depuis plusieurs années par les locataires. Bien que d’autres interventions auraient été nécessaires, l’Office Public d’HLM de Nantes a fait des choix pour limiter la hausse des loyers. Durant cette même période, le centre socioculturel est agrandi.
La Boissière au cœur d’un projet de renouvellement urbain
En 2016 est lancé un vaste projet de renouvellement urbain à Nantes Nord, soutenu financièrement par l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) et élaboré en concertation avec les habitants et acteurs du quartier. Il concerne plus particulièrement le Chêne-des-Anglais, le Bout-des-Pavés, la Boissière et la Petite-Sensive, au regard des difficultés socioéconomiques que leurs habitants rencontrent. Confié à Loire Océan Métropole Aménagement, le projet prévoit notamment la création et la réhabilitation de logements, l’aménagement de nouveaux cheminements doux et espaces publics valorisant le patrimoine végétal et naturel ou encore la création de nouveaux pôles réunissant services publics et activités économiques. Dans ce but, les élus de Nantes Métropole ont voté le 8 octobre 2021 la création de la Zone d’aménagement concertée Nantes Nord (ZAC). Plusieurs chantiers sont terminés ou en cours à la Boissière :
• En 2022-2023, la tour de 97 logements et 12 étages de la rue Paul-Claudel est réhabilitée par l’agence AURA Architectes,
• En 2023, le centre commercial de la rue Paul-Claudel est détruit. Plusieurs immeubles d’habitation comportant un total de 83 appartements avec rez-de-chaussée commercial ainsi que quatre maisons de ville sont en cours de construction (projet Quintessence).
Francis Peslerbe, Noémie Boulay
Groupe Histoire des quartiers Nord de l’association d'action socio-culturelle et éducative de la Boissière (AASCEB) – Direction du patrimoine et de l’archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2025
Album « La cité de la Boissière des années 1960 à nos jours »
Témoignage 1 : La vie quotidienne aux Renards au début des années...
Je suis arrivée à la Boissière, au 19 rue des Renards, en 1959. Nous venions de la Noë où nous vivions à huit dans un deux pièces, réquisitionné par la ville. C'était un véritable taudis sans eau courante ni sanitaires. Alors notre déménagement aux «...
Gisèle Buchet, habitante de la cité des Renards
Témoignage 2 : Les commerçants ambulants de la Boissière
Annette Potiron est arrivée avec sa famille, rue Joachim-du-Bellay, en juillet 1961 : « Nous venions des maisons en bois des Batignolles. J'avais demandé à l'Office HLM un appartement en précisant : "Tout sauf la Boissière", car les "Renards" avaient...
Annette Potiron
Témoignage 3 : Jeux d’enfants aux Renards
Je suis née en 1961 dans l'appartement de mes parents, au 19 rue des Renards. Dans cet immeuble il y avait beaucoup de familles nombreuses, donc beaucoup de copains ! On ne s'ennuyait pas. Nous organisions de grandes parties de « gendarmes et voleurs...
Catherine Saraiva née Buchet, habitante des Renards
Témoignage 4 : Changement de décor
Nous habitions le centre-ville, derrière le théâtre Graslin. On a été frappé d'alignement et on a dû partir. Après avoir refusé une proposition de logement route de Vannes puis au Chêne-des-Anglais dans les baraquements, on a été obligé, en 1960, d'accepter...
Marguerite Fradet, habitante de La Boissière
Témoignage 5 : Les centres aérés sauvages et la première télévision...
Les enfants étaient tellement nombreux à traîner au pied de l'immeuble que j'ai eu l'idée de leur proposer des activités le jeudi. On partait, avec des couvertures, dans le champ en face de l'immeuble ou du côté du Petit-Port avant la construction de...
Marguerite Fradet, habitante de La Boissière
Témoignage 6 : « Vous les Renards j'en ai marre ! »
Les poubelles étaient trop petites pour contenir les déchets du vendredi au lundi. Alors les gens jetaient leurs ordures par les fenêtres, sur les pelouses. Les chiens les dispersaient ; ça sentait mauvais. On avait beau réclamer des conteneurs, il ne...
Marguerite Fradet, habitante de La Boissière
Témoignage 7 : Des habitants solidaires malgré les différences
Bien sûr on disait que La Boissière et surtout les Renards étaient un quartier défavorisé, mais il existait une grande solidarité entre nous. L'immeuble où on habitait était devenu un club où chacun s'entraidait. On avait même décidé de ne pas déménager...
Marguerite Fradet, habitante de La Boissière
Témoignage 8 : Rivalité et tensions entre voisins
Entre les locataires des HLM, il y avait aussi des différences : entre « le haut des Renards » et « le bas des Renards » : les enfants du bas jouaient dans le champ, derrière le Docks de l'Ouest, et ceux du haut sur le terrain en face de chez eux, sinon...
Marguerite Fradet, habitante de La Boissière
Témoignage 9 : « Adieu HLM, tu dois bientôt mourir »
Yvette Grall, habitante avec Jean, son mari, d'un appartement au 29 rue des Renards, a assisté à la démolition du premier bâtiment de l’ensemble des Renards dans le cadre de l’aménagement d’une station de tramway à la Boissière : « Quand la première HLM...
Yvette Grall, habitante de la cité des Renards
Témoignage 1 : La vie quotidienne aux Renards au début des années 1960
Je suis arrivée à la Boissière, au 19 rue des Renards, en 1959. Nous venions de la Noë où nous vivions à huit dans un deux pièces, réquisitionné par la ville. C'était un véritable taudis sans eau courante ni sanitaires. Alors notre déménagement aux « Renards », une des nouvelles cités de Nantes, je l'ai vécu comme un événement formidable. C'était neuf, tout nous paraissait si beau que lorsqu'on est entré pour la première fois dans notre appartement, on marchait sur la pointe des pieds, de peur d'abîmer le sol ! Nous avions quatre chambres et une salle de séjour. Les pièces n'étaient pas très grandes mais c'était tellement mieux que notre petit deux pièces. Il y avait beaucoup de familles nombreuses, de dix, douze enfants ou même plus. Les immeubles des Renards se trouvaient au milieu des champs. […] Pour se rendre en ville il n'y avait pas de transport en commun : il fallait se rendre à pied à la Morrhonnière ou au Pont-du-Cens. Il n'y avait pas de commerces avant l'ouverture du « Docks de l'Ouest » en face de chez nous. Je me souviens aussi du payeur des allocations familiales. C'était un grand monsieur en noir, équipé d'une sacoche. Il réglait les allocations en liquide. À la Boissière, on s'entendait bien. On se donnait un coup de main entre nous. Par exemple, chaque locataire lavait les escaliers en ciment brut, à tour de rôle. Le centre socioculturel existait. Les enfants y faisaient de l'aéromodélisme. Ils allaient aussi à la bibliothèque.
Peslerbe Francis, Association d'action socio-culturelle et éducative de la Boissière (AASCEB), « Histoire des quartiers nord de Nantes. Entre Cens et Erdre, un quartier « mosaïque » des années 50 à aujourd’hui » livre 4, AASCEB, Nantes, 2007
Témoignage 2 : Les commerçants ambulants de la Boissière
Annette Potiron est arrivée avec sa famille, rue Joachim-du-Bellay, en juillet 1961 : « Nous venions des maisons en bois des Batignolles. J'avais demandé à l'Office HLM un appartement en précisant : "Tout sauf la Boissière", car les "Renards" avaient une mauvaise réputation. Comme on ne nous a rien proposé d'autre on a accepté... ma famille s'y est plu et j'y suis toujours ! Il y avait beaucoup de commerçants ambulants : l'épicier, le père Bauchet s'installait sur le terre-plein entre les bâtiments de la rue Clément-Marot et Joachim-du-Bellay, le boucher Barbault, le poissonnier à l'emplacement du futur centre commercial. Le boulanger, le laitier (laiterie Stassano de la Jonnelière), livraient à domicile. Comme je travaillais je laissais un papier sur le balcon pour préciser ce que je voulais et le soir, à mon retour, je trouvais le lait, le pain. Ils passaient en fin de mois pour le paiement. Monsieur Nouvel, le boulanger, a perdu beaucoup d’argent ; des gens étaient pauvres et n'arrivaient pas à joindre les deux bouts.
Peslerbe Francis, Association d'action socio-culturelle et éducative de la Boissière (AASCEB), « Histoire des quartiers nord de Nantes. Entre Cens et Erdre, un quartier « mosaïque » des années 50 à aujourd’hui » livre 4, AASCEB, Nantes, 2007
Témoignage 3 : Jeux d’enfants aux Renards
Je suis née en 1961 dans l'appartement de mes parents, au 19 rue des Renards. Dans cet immeuble il y avait beaucoup de familles nombreuses, donc beaucoup de copains ! On ne s'ennuyait pas. Nous organisions de grandes parties de « gendarmes et voleurs », de « 1,2,3 soleil » dans la cour sous les fenêtres du locataire du rez-de-chaussée, ou encore au « 4 coins » sous les séchoirs à linge collectifs... Il y avait aussi des jeux : un « Tipi » en bois au 21, un jeu de cubes au 25... Non, vraiment on ne s'ennuyait pas, même sans jouet ! Une craie et une boîte de cirage remplie de sable et on jouait à la marelle ! Un élastique et on pouvait passer l'après-midi avec les copines. Le 25 décembre, on s'empressait de sortir avec nos cadeaux pour épater les voisins. Je me souviens des glissades en patins à roulettes puis en skate « improvisé » devant le magasin Famiprix [devenu Radar, et aujourd'hui boulangerie]. Il y avait une belle descente, pour les émotions c'était super !
Peslerbe Francis, Association d'action socio-culturelle et éducative de la Boissière (AASCEB), « Histoire des quartiers nord de Nantes. Entre Cens et Erdre, un quartier « mosaïque » des années 50 à aujourd’hui » livre 4, AASCEB, Nantes, 2007
Témoignage 4 : Changement de décor
Nous habitions le centre-ville, derrière le théâtre Graslin. On a été frappé d'alignement et on a dû partir. Après avoir refusé une proposition de logement route de Vannes puis au Chêne-des-Anglais dans les baraquements, on a été obligé, en 1960, d'accepter un appartement avec 4 chambres, au 19 rue des Renards. On s'est installé, le 2 juin, avec nos 7 enfants (2 autres sont nés à la Boissière). À notre arrivée, quel changement par rapport au centre-ville ! Les gens n'étaient pas aussi évolués. Ma fille qui avait 7 ans, on lui jetait des cailloux au début quand elle sortait. On l'appelait « la crâneuse » parce qu'elle avait de grands cheveux longs et qu'elle était bien habillée. On était habillé comme les gens de la ville alors que, là, des enfants sortaient pieds nus, les petites filles n'avaient pas de culottes... Je n'exagère pas ! C'était un quartier défavorisé mais malgré tout on s'y est bien plu et on n'a jamais pensé partir ailleurs. Et puis on avait la lumière du jour, ce qui n'était pas le cas en ville. La Boissière ressemblait, alors, à une cité dortoir où les hommes partaient pour la journée, à la ville de Nantes, et ne rentraient que le soir.
Peslerbe Francis, Association d'action socio-culturelle et éducative de la Boissière (AASCEB), « Histoire des quartiers nord de Nantes. Entre Cens et Erdre, un quartier « mosaïque » des années 50 à aujourd’hui » livre 4, AASCEB, Nantes, 2007
Témoignage 5 : Les centres aérés sauvages et la première télévision de l'immeuble
Les enfants étaient tellement nombreux à traîner au pied de l'immeuble que j'ai eu l'idée de leur proposer des activités le jeudi. On partait, avec des couvertures, dans le champ en face de l'immeuble ou du côté du Petit-Port avant la construction de la fac des Sciences. […] En 1960, on a eu la première télévision de l'immeuble. Alors le jeudi, après la sortie habituelle, on revenait à la maison pour le « 4 heures » et la télévision. Je ne pouvais pas prendre tout le monde, alors je demandais 10 centimes qu'ils mettaient dans une boîte. Après, avec cet argent, on confectionnait des colis pour nos gars en Algérie ou en Allemagne. Des gens donnaient parfois un paquet de cigarettes, un paquet de gâteaux, de pain d'épice, des choses comme ça. C'était très intéressant de faire cela avec les enfants : ils voyaient qu'on n'oubliait pas ceux qui étaient loin de chez eux. On a continué pendant des années. Plus tard il y a une dame qui a acheté, à son tour, une télévision avec un écran plus grand. Elle prenait 20 centimes... elle n'avait pas beaucoup de monde. […] J'ai fait ces garderies sauvages pendant 14 ou 15 ans. Au milieu des années 70, dans le cadre de « Recherche et formation », j'ai fait des formations et stages de mères de famille pour l'encadrement des jeunes. […] Je n'étais pas la seule à m'occuper des enfants. Il y avait par exemple Monsieur Grottard, qui proposait l'initiation à l'aéromodélisme. Lui aussi, c'était pareil, ça se passait chez lui ; il n'avait pas de salle, rien du tout. Il emmenait les enfants au Petit-Port pour faire voler leurs avions. […] Le samedi, le Centre social était fermé, les garçons n'avaient pas d'activités. Au lieu de chahuter, je me suis dit : « S'ils avaient un local, ils ne feraient pas de bêtises ! » Alors le Centre m'a confié les clés et j'ouvrais une salle pour eux. Tout se passait très bien. On organisait des concours de belote tous les premiers samedis du mois, d'octobre à mai. Il n'y avait pas que les joueurs, les petites grand-mères venaient. On préparait des sandwichs avec les jeunes et tout le monde se retrouvait pour jouer, discuter et manger. On faisait aussi des soirées galettes, des bals à papa. Ça permettait aux gens de faire des connaissances.
Peslerbe Francis, Association d'action socio-culturelle et éducative de la Boissière (AASCEB), « Histoire des quartiers nord de Nantes. Entre Cens et Erdre, un quartier « mosaïque » des années 50 à aujourd’hui » livre 4, AASCEB, Nantes, 2007
Témoignage 6 : « Vous les Renards j'en ai marre ! »
Les poubelles étaient trop petites pour contenir les déchets du vendredi au lundi. Alors les gens jetaient leurs ordures par les fenêtres, sur les pelouses. Les chiens les dispersaient ; ça sentait mauvais. On avait beau réclamer des conteneurs, il ne se passait rien. Un jour, alors que l'on fêtait le succès des femmes admises au Certificat d'Études avec "Recherche et Formation", on a préparé un repas : les uns ont mangé sur la pelouse, les autres dans le Centre social. Ce jour-là, une idée a germé dans ma tête : je vais récupérer les assiettes et serviettes en papier, les couteaux, fourchettes et boîtes de conserve. Le lendemain, la veille d'élections, on a enfilé ça sur une ficelle et on les a accrochés dans les arbres. Des copains ont pris une sono avec voiture et micro et ont circulé dans le quartier. La police est arrivée pour nous demander de tout ramasser. Nous avons refusé. "Et si on vous envoie des bennes ?" "Alors là d’accord !" On a rempli 7 bennes ! On a été convoqué aux HLM. Le président nous attendait : « Vous les Renards, j'en ai marre ! ». Tant pis, on a eu ce que l'on voulait. Des conteneurs ont été placés dans les garages collectifs non utilisés. Tout le monde était content.... Mais j'avais peur des répercussions !
Peslerbe Francis, Association d'action socio-culturelle et éducative de la Boissière (AASCEB), « Histoire des quartiers nord de Nantes. Entre Cens et Erdre, un quartier « mosaïque » des années 50 à aujourd’hui » livre 4, AASCEB, Nantes, 2007
Témoignage 7 : Des habitants solidaires malgré les différences
Bien sûr on disait que La Boissière et surtout les Renards étaient un quartier défavorisé, mais il existait une grande solidarité entre nous. L'immeuble où on habitait était devenu un club où chacun s'entraidait. On avait même décidé de ne pas déménager les uns sans les autres : les déménagements se faisaient au sein de l'immeuble. Si au début, les gens ont eu des difficultés à vivre les uns auprès des autres et que les différences ont été mal acceptées, progressivement on a appris à se connaître, à vivre ensemble. Les activités que j'ai organisées pour les enfants et celles proposées par le Centre social ont permis aux locataires de se rencontrer et de mieux accepter leurs différences sociales et de nationalités. Le plus difficile a été d'établir de bonnes relations avec les habitants des petites maisons. Rue Vincent-Scotto, par exemple, il y avait beaucoup de flics. Avec leurs femmes on ne se parlait pas, on se faisait « la goule », les relations étaient malsaines. Et puis on a fréquenté les mêmes activités au Centre et ça s'est amélioré.
Peslerbe Francis, Association d'action socio-culturelle et éducative de la Boissière (AASCEB), « Histoire des quartiers nord de Nantes. Entre Cens et Erdre, un quartier « mosaïque » des années 50 à aujourd’hui » livre 4, AASCEB, Nantes, 2007
Témoignage 8 : Rivalité et tensions entre voisins
Entre les locataires des HLM, il y avait aussi des différences : entre « le haut des Renards » et « le bas des Renards » : les enfants du bas jouaient dans le champ, derrière le Docks de l'Ouest, et ceux du haut sur le terrain en face de chez eux, sinon il y avait des bagarres ! Entre « Les Renards » et le reste de la cité, les enfants des Renards n'avaient pas le droit d'aller au bassin, situé au milieu de la cité. Sapristi de bagarres il y a eu, entre les gosses, pour accéder à ce bassin qui, pourtant, avait été fait pour tout le monde ! Dans les années 80, l'ambiance s'est de plus en plus dégradée. Les gens qui arrivaient à la Boissière, surtout aux Renards, étaient en grandes difficultés : pas de travail, pas de sous... Le chômage a fait beaucoup de mal. Les Renards sont devenus un peu des bâtiments dépotoirs du fait des loyers peu élevés. Les gens ne restaient pas vraiment. Difficile de créer des liens dans ces conditions.
Peslerbe Francis, Association d'action socio-culturelle et éducative de la Boissière (AASCEB), « Histoire des quartiers nord de Nantes. Entre Cens et Erdre, un quartier « mosaïque » des années 50 à aujourd’hui » livre 4, AASCEB, Nantes, 2007
Témoignage 9 : « Adieu HLM, tu dois bientôt mourir »
Yvette Grall, habitante avec Jean, son mari, d'un appartement au 29 rue des Renards, a assisté à la démolition du premier bâtiment de l’ensemble des Renards dans le cadre de l’aménagement d’une station de tramway à la Boissière : « Quand la première HLM a été démolie, il y a quelques semaines, il y a des gens qui pleuraient de voir un peu d'eux-mêmes partir. Nous, ça va être la même chose ; malgré le plus de confort du neuf, beaucoup des anciens sont en dépression. Ça m'a travaillée et un matin, à 5h, j'ai écrit ce poème pour exprimer tout cela : Adieu HLM, tu dois bientôt mourir, Aujourd’hui ou demain on doit te détruire. Tes murs emporteront des secrets, Des joies, des pleurs, de l’amour, des regrets. Chez toi on a vu naître et aussi mourir, Sous ton toit j’ai vécu des années, Aujourd’hui nous devons nous séparer. »
Peslerbe Francis, Association d'action socio-culturelle et éducative de la Boissière (AASCEB), « Histoire des quartiers nord de Nantes. Entre Cens et Erdre, un quartier « mosaïque » des années 50 à aujourd’hui » livre 4, AASCEB, Nantes, 2007
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Bibliographie
Peslerbe Francis, Association d'action socio-culturelle et éducative de la Boissière (AASCEB), Histoire des quartiers nord de Nantes. Entre Cens et Erdre, un quartier « mosaïque » des années 50 à aujourd’hui, livre 4, AASCEB, Nantes, 2007
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