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Castors de la Boissière


En 1958, un groupe de « Castors » lancent la construction de 71 maisons à proximité de la cité de la Boissière. Fondé sur des valeurs d’entraide, ce mouvement d’autoconstruction permet à des travailleurs aux faibles revenus d’accéder à la propriété.

Les Castors, un mouvement coopératif pour accéder à la propriété

Après la Seconde Guerre mondiale et alors qu'ils sont logés dans des conditions très précaires, des militants du secteur social, syndical ou des agents d'un même groupe socioprofessionnel, s'engagent dans une démarche solidaire d'entraide pour accéder à la propriété avec de faibles moyens financiers. Plusieurs types de solidarités se mettent en place.

Au même moment, l'Association nantaise d'aide à la construction (ANAC) regroupe des militants qui agissent auprès des pouvoirs publics, pour les inciter à construire. L'ANAC a aussi une activité de conseil auprès de ceux qui cherchent un logement : conditions d'obtention des prêts, estimation des capacités de remboursement en fonction du salaire et du nombre d'enfants, orientation vers un constructeur au meilleur prix, etc.

Charles Richard, membre de l'ANAC, prend connaissance dans le journal de la JOC d'une expérience bordelaise (Pessac) d'accession à la propriété avec, pour réduire les coûts, la participation des futurs propriétaires aux travaux de construction. II se rend à Bordeaux et découvre les Castors, des « bâtisseurs » qui, en mutualisant leurs compétences, construisent leur future habitation. À son retour à Nantes, le Comité ouvrier du logement (COL) est créé avec les militants de l'ANAC.

La solidarité au cœur de l’action des Castors de la Boissière

Le préambule du règlement intérieur annexé aux statuts du COL, déposés le 29 décembre 1949 au tribunal de commerce de Nantes, aide à comprendre l'action militante des Castors :

« La vie en société n'est possible que si elle repose sur des règles admises et suivies par tous. Dans la société où l'on impose ces règles, la liberté se trouve comprise. Par contre s'il n'y a pas de règles, le désordre s'installe, la nature égoïste prend le dessus. C'est la loi de la jungle, les plus forts exploitent les plus faibles.

Dans la société actuelle, nous sommes individuellement des faibles, des exploités. Exploités dans notre travail qui n'est pas suffisamment payé, exploités dans nos logements où nos gosses manquent d'air.

Mais un fort ne peut rien contre des faibles qui s'unissent. Seul, chacun de nous ne pourrait se libérer de sa situation, ni bâtir sa maison, ensemble nous y parviendrons. Pour poser cet acte d'homme libre, il faut vouloir l'épanouissement complet de la personne humaine.

Celui qui vient avec l'idée de bâtir seul sa maison, pour ignorer ensuite tous les autres, n'a rien à faire dans notre Société.

Nous ne bâtirons pas chacun notre maison mais nous bâtirons ENSEMBLE NOTRE CITÉ ».

C'est en adhérant à ces principes que 71 familles se réunissent pour participer à la construction de leur habitation, sur le secteur Boissière.

L’apport travail, un fondement des Castors

Les Castors de la Boissière sont pour la plupart des travailleurs aux revenus modestes : des ouvriers (électriciens, soudeurs, chauffagistes, menuisiers, etc.), des O.S., des manœuvres, quelques techniciens et anciens militaires.
Si pour eux se loger à Nantes est difficile, accéder à la propriété est quasiment impossible. Les jeunes ménages ont comme solutions de rester chez leurs parents (où un logement est aménagé dans une cave, un grenier), louer un meublé ou être à l'hôtel.

Pour accéder à la propriété, il faut un apport personnel de 30 à 40% du prix du logement, ressources dont ne disposent pas les familles ouvrières. L'adhésion au Comité ouvrier du logement permet, avec un apport personnel de 50 000 francs (soit moins de 3% du coût total), de devenir propriétaire à la condition de participer à la construction des maisons : c'est l'apport de travail, fondement du principe « Castors ».

Le gros œuvre est réalisé par des entreprises. Les travaux effectués par les Castors, ou avec leur participation, sont les terrassements, la pose des chevrons et du faux solivage, la pose des tuiles, les parquets, le traitement du bois de charpente. L'apport travail de chaque futur propriétaire est variable selon ses disponibilités.

Le principe de location-attribution

En réalité, les Castors sont « locataires-attributaires » et non propriétaires. Le prix de revient de chaque maison est converti en actions d'une valeur de 10 000 francs. Le travail fourni au collectif et les remboursements successifs libéraient des actions. « Être locataire-attributaire avait l'avantage de nous libérer du paiement de la taxe foncière pendant la durée du prêt. C'est lors du passage chez le notaire, à la fin des remboursements que nous sommes devenus propriétaires de notre maison ».

Les terrains sur lesquels doivent être bâties les maisons sont cédés par la Ville de Nantes au Comité ouvrier du logement. Ainsi, dans le cadre du Plan Courant entré en vigueur le 16 avril 1953 pour résoudre la pénurie de logements d’après-guerre, les Castors bénéficient des dispositions de la loi du 6 août 1953. Cette mesure « autorise les communes à acquérir des terrains à lotir et à les revendre en vue de faciliter l’accession des travailleurs et des familles peu fortunées à la petite propriété ».

« Boissière I », la première opération des Castors à Nantes Nord

Le lotissement Castors « Boissière I » est la troisième opération de ce type dans la région nantaise après La Balinière à Rezé et Erdre à Saint-Joseph-de-Porterie. Un autre groupe, « Boissière II », est constitué quelques mois plus tard.

D’après le témoignage de Roger Leguen, « le premier coup de pioche est donné le 29 mars 1958, un samedi ». En fait de coup de pioche, il s'agit de la première intervention des futurs propriétaires qui a consisté à traiter les poutres au carbonyl, récupéré aux chantiers navals. « Le soir on était ivre, alors que l'on n'avait bu que de l'eau ». Cette ivresse était le résultat d'une intoxication par le produit appliqué sans protection !

Le lotissement « Boissière I » est constitué :
• De 17 maisons dans l'îlot délimité par les rues Alfred-de-Vigny, René-Guy-Cadou et Stéphane-Mallarmé,
• De 4 maisons rue de la Boissière (n°16, 18, 20, 22),
• De 2 maisons rue Charles-Baudelaire (n°5 et 7).
Les maisons étaient de type T3 ou T4 avec une disposition différente des pièces :
• Les Y3 et Y4 : la cuisine est côté rue,
• Les Z3 et Z4 : la salle à manger est côté rue.

Les terrains sont d'une surface variant de 250 à 600 mètres carrés.

Les Castors de la Boissière I se réunissent au café de la Bonde, près du pont Saint-Mihiel. Les décisions sont discutées et votées. C'est ainsi que la proposition de Roger Leguen d'isoler les maisons avec de la laine de verre n’est pas approuvée par la majorité des adhérents du groupe « Boissière I », alors que le groupe II en acceptait le principe quelques mois plus tard.

L’opération « Boissière II »

L’opération « Boissière II » est engagée quelques mois après celle de la « Boissière I ». 34 maisons sont construites rue Alfred-de-Vigny, 4 rue René-Guy-Cadou, et 10 rue des Renards.

Les fondations sont coulées à la fin de l'année 1958. Elles atteignent parfois 1,5 mètre de profondeur car le terrain, traversé par un ruisseau, est marécageux. D'ailleurs, avant qu'il ne soit viabilisé gracieusement par la Ville de Nantes, Roger Peoc'h, mandaté par l'ANAC pour visiter ce terrain, avait estimé qu'il était impropre à la construction : « Les terres qui bordaient le ruisseau regorgeaient d'eau et étaient recouvertes de joncs ». Aujourd'hui, ce ruisseau est complètement canalisé.

À la différence de « Boissière I », les futurs propriétaires ont choisi leur maison, de Type 4 ou 5, sur plan. Pour gagner de la place au sol, elles sont jumelées avec un étage. Le responsable du relevé des heures de travail est Roger Peoc'h. Toutes les menuiseries sont traitées au carbonyl par le même castor, M. Bourigault.

Les réunions du groupe « Boissière II » ont lieu au Pont-du-Cens au café Laheu (dans un immeuble détruit en 2017) ou à la Morrhonnière.

Francis Peslerbe (avec la participation de Roger Peoc'h et Pierre Hery)
Groupe Histoire des quartiers Nord de l’association d'action socio-culturelle et éducative de la Boissière (AASCEB)
2025



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En savoir plus

Bibliographie

Peslerbe Francis, Association d'action socio-culturelle et éducative de la Boissière (AASCEB), Histoire des quartiers nord de Nantes. Entre Cens et Erdre, un quartier « mosaïque » des années 50 à aujourd’hui, livre 4, AASCEB, Nantes, 2007

Ressources Archives de Nantes

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Cité des Castors de l'Erdre

Tags

Nantes Nord Lotissement Solidarité Maison Habitat ouvrier

Contributeurs

Rédaction d'article :

Francis Peslerbe, Roger Peoc'h, Pierre Hery

Témoignage :

Pierre Raimbaud, Roger Leguen, Jean-Claude Michel

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