
1967-1975 : combats nantais pour le droit à la contraception et à l’avortement
Sur une terre réputée pour le conservatisme catholique de beaucoup de ses médecins, les milieux militants féministes nantais s’organisent dès le début des années 1960 pour venir en aide aux femmes qui souhaitent avoir recours à un moyen de contraception ou avorter.
La maîtrise du contrôle des naissances
L’enjeu de la diffusion de l’information sur la sexualité et la maîtrise des naissances apparaît dès le milieu des années 1950. Au niveau national, l’association « La maternité heureuse » naît en 1956 avec à l’origine, un discours militant qui encourage plutôt le contrôle de soi et la moralisation des hommes que la contraception des femmes. Les choses évoluent quand l’association devient en 1960 le « Mouvement Français pour Le Planning Familial » (MFPF). Dans la foulée, le Planning ouvre des centres d’accueil un peu partout en France et favorise les réseaux d’entraide autour de médecins prescripteurs de traitements contraceptifs.

Affiche du MFPF avec les dates clés des combats menés
Date du document : 1980
À Nantes, c'est en 1962 qu’est créée une petite permanence du Planning Familial, non-déclarée et confidentielle, dans les locaux de la Fédération des Amicales Laïques, rue du Préfet-Bonnefoy. Puis, le Planning nantais dépose ses statuts en 1964 et commence ses permanences tous les après-midis et le samedi dans un local exigu situé 2 rue du Château.
Au même moment, une poignée d’étudiants, syndiqués et militants à l’UNEF (Union nationale des étudiants de France, syndicat étudiant naissant affilié à la gauche), milite pour la création d’un Planning familial à destination du public étudiant. L’initiative est portée notamment par Michel Cantal-Dupart, alors jeune étudiant à l’école d’architecture de Nantes qui sera ensuite très engagé dans la défense des banlieues dans les années 1980 et Joëlle Brunerie-Kauffmann, étudiante en médecine qui une fois devenue gynécologue continuera à porter haut et fort les combats féministes. La permanence s’installe au milieu des années 1960 dans les bureaux du BAPU (le Bureau d'aide psychologique universitaire), situé rue du Calvaire.
Les étudiantes y viennent en consultation. Or, à l’époque, seule l’obtention d’une ordonnance pour un diaphragme à commander en Angleterre permet d’accéder à la contraception. Mais la pratique est à la limite de la légalité et très peu de médecins acceptent alors d’établir ces ordonnances. À Nantes, le médecin généraliste, François Autain – qui sera maire de Bouguenais, puis député et sénateur – est quasiment le seul à recevoir durant ces années-là les jeunes femmes envoyées par le Planning étudiant.
Organisation de voyages à l’étranger
L’adoption le 14 décembre 1967 de la loi, dite « loi Neuwirth », qui rend légal l'usage de la pilule contraceptive ne règle pas tout, loin de là. Il s’agit d’abord de réussir à faire appliquer la loi, ce qui est loin d’être facile, surtout à Nantes où la tradition catholique est forte et où beaucoup de médecins préfèrent plutôt éduquer les femmes à utiliser les méthodes de contraception dites « naturelles ». Et surtout la loi sur la contraception ne résout pas la question des grossesses non désirées dans une époque où l’avortement est toujours pénalisé.
Dès la fin des années 1960, le centre nantais du Planning organise des voyages en Angleterre pour des femmes qui souhaitent avorter – car la pratique de l’interruption volontaire de grossesse y est alors légale. D’autres « filières » vont aussi se créer ailleurs au gré des relations tissées dans les réseaux militants, comme vers la Tunisie – pays où la pratique de l’IVG est également autorisée.
Les réseaux d’avortements clandestins
Dès la fin des années 1960, un petit réseau de médecins militants se forme aussi pour pratiquer les premiers avortements clandestins. À l’image d’Alain Bourmeau, étudiant à Nantes dans les années 1960, militant à l’UNEF et pionnier dans la pratique de la méthode Karman, acte médical consistant à aspirer le contenu utérin, dont le témoignage a été enregistré par l’historienne Bibia Pavard dans le cadre d’un projet mémoriel réalisé pour les 50 ans de la loi Veil en janvier 2025.
Du côté de la mobilisation militante, certains combats deviennent emblématiques. Ainsi, en 1972, le retentissant procès de Bobigny est transformé en une tribune politique pour la dépénalisation de l’avortement, par l’avocate féministe Gisèle Halimi, qui a signé le manifeste des 343 femmes déclarant avoir avorté et créé l’association Choisir. À Nantes, ce procès marque le début d’une forte mobilisation, avec l’organisation d’une première manifestation, le 13 décembre 1972. Quelques semaines plus tard, le 26 janvier 1973, une antenne nantaise de l’association Choisir est créée.
Localement, le Planning familial (MFPF) et Choisir sont plutôt en faveur d’une prise en charge médicale des avortements, en faisant appel à des réseaux de médecins militants, recrutés notamment dans les réseaux francs-maçons (Chaperon, 2006). Mais deux autres collectifs très actifs dans ces années-là défendent davantage une pratique profane et militante des avortements clandestins. C’est ainsi que se constitue en mai 1973 un comité nantais du MLAC (Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception) autour de figures militantes féministes, des anarcho-syndicalistes et des trotskystes.

Affiche du MLAC
Date du document : Années 1970
Puis est fondée, en juin 1973, « L'Assemblée Générale pour la liberté d'avorter » regroupant les premiers médecins ayant pratiqué la méthode Karman, mais aussi des militantes féministes. Comme le raconte cette militante, le groupe défend une pratique de l’avortement réalisée par des femmes, non-médecins : « J'ai fait à peu près 90 avortements par la méthode Karman que j'avais apprise… notre groupe s'appelait l'Assemblée Générale pour la liberté d’avorter… et était plutôt de sympathie libertaire, disons… On était assez mal vu d'ailleurs, parce que chez nous il y avait des médecins et des non-médecins. On avait publié d'ailleurs la liste de nos noms, pour voir… » (militante féministe, entretien réalisé en octobre 2024). Dans ces années-là, l’ « AG de l’avort » est un exemple emblématique de la prise de pouvoir des femmes sur leur propre corps, hors de la sphère médicale.
La création du centre IVG
Finalement, le 17 janvier 1975, la loi autorisant l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dite « Loi Veil », du nom de la ministre de la Santé du Gouvernement de Jacques Chirac, Simone Veil, est promulguée. Un combat s’engage immédiatement localement pour sa mise en œuvre car, encore une fois, beaucoup de médecins gynécologues se montrent réticents, voire franchement hostiles à l’appliquer, comme en témoigne cette militante du Planning : « À Nantes, il a fallu tout de suite se battre pour le droit à l'avortement. Quand on a eu la loi Veil, ce n'était pas fini, puisque d'abord, il fallait la faire appliquer, donc il y a eu des mobilisations. Moi, j'ai été aux manifs. Il y avait des résistances… comment dire ? Une résistance passive à l'installer, quoi... » (militante du Planning, entretien en octobre 2024)

Affiche du MLAC invitant à manifester pour le remboursement de l’avortement et de la contraception
Date du document : 1974
Face à l’opposition de certains médecins, le centre de planification et d’éducation familiale (dit « centre IVG ») qui devait ouvrir au sein de l’ancien hôpital Laënnec dans les services de chirurgie, est finalement installé à l'hôpital psychiatrique de Saint-Jacques situé à l'écart du centre-ville. Son fonctionnement est assuré par des médecins militants travaillant en collaboration avec les animatrices du Planning auxquelles sont confiés les entretiens avec les femmes.
La mise en place du centre revient aux instances hospitalières et la Ville n’y est pas directement impliquée. Pourtant, dès 1977, avec l’élection d’Alain Chénard, la Ville va soutenir de façon volontariste le Planning Familial. Ainsi, lors de la séance du 17 octobre 1977, le conseil approuve le vote d’une subvention exceptionnelle de 10 000 francs (en plus de l’aide de fonctionnement annuelle de 1000 francs) pour soutenir le Planning Familial : « L’importance des demandes a conduit le Planning Familial à ouvrir en septembre 1976, un centre d’orthogénie où médecins, infirmières, assistantes sociales, psychologues et conseillères conjugales mettent tout en œuvre pour apporter aux consultantes – dont 85% sont Nantaises – l’aide sanitaire et morale dont elles ont besoin. » (séance du conseil municipal du 17 octobre 1977, 4BA120)

Simone Veil inaugurant le nouveau centre IVG du CHU de Nantes, qui porte son nom, le 8 mars 2006
Date du document : 08/03/2006
Dans le numéro du magazine municipal qui paraît en novembre 1979, un article intitulé « Contraception, avortement : Un service social à part entière » présente l’ensemble de l’offre hospitalière et de l’offre associative soutenue par la municipalité comme relevant d’une continuité de service public. À l’aube des années 1980, le long combat des militants nantais pour les droits reproductifs trouve alors sa concrétisation dans cette reconnaissance institutionnelle.
Cet article a été rédigé sur la base de la recherche socio-historique sur la construction d’une politique municipale d’égalité femmes-hommes (1945-2020) pilotée par la Ville de Nantes et réalisée par Plan 9.
Elvire Bornand, Frédérique Letourneux
2025
Album « L'affiche comme moyen de lutte pour le droit à la contraception et l'avortement »
En savoir plus
Bibliographie
Chaperon Sylvie, « Le MFPF face au féminisme (1956-1970) », Le Planning familial, histoire et mémoire, sous la direction de Christine Bard, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2006, p. 21-32
Ruault Lucile, Le spéculum, la canule et le miroir. Avorter au MLAC, une histoire entre féminisme et médecine, Éditions ENS, Paris, 2023
Ruault Lucie, Porée Lydie, Olivier Fillieule, « Les mobilisations pour l’avortement libre. De la convergence des luttes à leur extension », Changer le monde, changer sa vie. Enquête sur les militantes et les militants des années 1968 en France, sous la direction d’Olivier Fillieule Sophie Béroud, Camille Masclet, Isabelle Sommier Avec le collectif Sombrero, Actes Sud, Paris, 2018, p. 711-742
Webographie
Entretien de Bibia Pavard avec Alain Bourmeau dans le cadre des 50 ans de la loi Veil
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Contributeurs
Rédaction d'article :
Elvire Bornand, Frédérique Letourneux
Anecdote :
Elvire Bornand, Frédérique Letourneux
Témoignage :
Michel Cantal-Dupart, Joëlle Brunerie-Kauffman
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