
Gilbert Grangeat (1922-2004)
Responsable militaire de la ville de Nantes au moment de la Libération, Gilbert Grangeat est une figure incontournable de la journée du 12 août 1944 qui vit l’arrivée des forces alliées. Son activité au sein des réseaux de renseignements lui a assuré la reconnaissance des responsables des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) qui lui confient la constitution et le commandement du 5e bataillon chargé d’assister les armées alliées dans leur avancée sur le territoire nantais.
Un enfant de Moselle
Gilbert Grangeat est né en 1922 en Moselle. Ce territoire stratégique par sa position frontalière est disputé lors des conflits franco-allemands : annexé par l’Allemagne après la guerre de 1870 et repris par la France à l’issue de la Première Guerre mondiale, il passe en juin 1940 sous le joug du Troisième Reich. Il est à noter que ce passé vaut à Gilbert Grangeat, comme sa mère, la maîtrise de la langue allemande.
En 1936, la famille Grangeat quitte la ville de Metz pour la région d’Angers où le père Gabriel est visiteur médical. Lorsqu’il doit revenir à Metz à l’occasion de la mobilisation générale de septembre 1939, Gabriel s’y rend avec son fils. Marie Bigot, sa mère, décide de s’installer à Nantes. Après l’armistice du 22 juin 1940, redoutant d’être enrôlé dans la Wehrmacht, à l’image des « malgré-nous » d’Alsace-Moselle au cours de la guerre de 1914-1918, Gilbert Grangeat rejoint sa mère et intègre l’Externat des Enfants nantais. Prisonnier de guerre, son père est libéré au printemps 1941 et reprend à Nantes sa profession de visiteur médical.
Au service de la Résistance
En 1942, Gilbert Grangeat s’engage dans l’armée d’armistice en zone libre à Montpellier avec pour ambition d’intégrer l’école militaire de Saint-Cyr. En janvier 1943, suite à sa démobilisation, il rejoint à Nantes le groupe « Libération-Nord » et y fait la connaissance de Gabriel Goudy. Son poste d’employé au Service maritime des Ponts et Chaussées à Nantes lui donne accès à de nombreuses informations stratégiques sur l’activité des ports de Nantes et Saint-Nazaire. Il peut de plus y circuler librement grâce à ses laisser-passer officiels. Ses missions de traducteur en langue allemande au sein de ce service font de lui un élément essentiel du renseignement au service de la Résistance.
C’est ainsi qu’il réalise – dans le cadre de la mission qui lui est confiée par l’Armée Secrète à partir d’octobre 1943 – le relevé des fortifications allemandes dans la région de Saint-Nazaire. Ce document stratégique est remis aux Alliés après le débarquement de Normandie. En avril 1944, il est reconduit dans cette mission par Xavier Dick – pseudonyme de René Terrière – qui réorganise le réseau des renseignements après les arrestations des membres de l’Armée Secrète.
Relevés des batteries, champs de mines, pièges routiers, toutes ces informations sont notées minutieusement par Gilbert Grangeat.
À la tête du 5e bataillon de la Loire-Inférieure
Suite au débarquement allié, de nouvelles instances sont mises en place avec pour objectif de soutenir les armées de Libération. En juillet 1944, le lieutenant Kinley l’élève au grade de capitaine FFI et lui confie la mission de constituer le 5e bataillon de la Loire-Inférieure destiné spécifiquement à la ville de Nantes. Grangeat prend alors le pseudonyme de « capitaine Allain ».

Revue des effectifs du 5e bataillon FFI
Date du document : 12/08/1944
Deux réunions avec les responsables des sept bataillons de Loire-Inférieure sont organisées par Kinley début juin à Héric puis aux environs de Landemont. Son père, Gabriel Grangeat, sergent puis lieutenant au cours de Première Guerre mondiale, l’assiste dans la constitution et le commandement de ce bataillon. Gilbert Grangeat se rapproche notamment des groupes de résistants à Héric, à Thouaré, et au début de l’été les effectifs du bataillon sont estimés à 600 hommes.
Le démantèlement du maquis de Saffré le 28 juin 1944, porte un coup à cette organisation en début d’installation. Grangeat est chargé de placer Kinley blessé en lieu sûr : ce sera à Thouaré auprès de madame Vicharsky, au château Beau-Soleil.
La Libération de Nantes
Le 4 août, l’arrivée des Alliés semblant imminente et les forces allemandes ayant engagé leur départ, Gilbert Grangeat décrète la mobilisation du 5e bataillon et organise l’accueil d’une partie des hommes à la congrégation des sœurs de Bethléem à la Morrhonnière. Il fait transmettre à l’État-Major américain, alors à Nort-sur-Erdre, l’état favorable à leur avancée. Cependant, le 5 août, les Alliés ne sont pas là et les Allemands reprennent place à Nantes. Le bataillon est alors « enfermé » dans la ville. Commence alors un travail périlleux de désamorçage des torpilles placées par les Allemands sous les quais du port. Le sabotage des dispositifs de destruction de la centrale électrique de Chantenay est également mis en place avec l’aide du capitaine Maisonneuve.
Des liaisons ont lieu les 6 et 8 août avec les armées alliées stationnées au nord de la ville. L’arrivée à Nantes est annoncée le 11 ou 12. En réalité, aucune bataille n’a lieu et c’est après de nombreuses destructions opérées les 10 et 11 août que les forces allemandes quittent la ville. Le dernier acte étant le dynamitage du pont de Pirmil après la traversée des dernières troupes se dirigeant vers le sud de la Loire.
Le 12 août, alors que Nantes est libérée, Gilbert Grangeat organise la suite des événements. Un groupe est envoyé à la rencontre de l’État-Major américain qui fournit les premières instructions : le déminage des routes d’accès est une priorité. Il est confié aux volontaires de la Défense passive et aux équipes FFI. La sûreté de la ville doit également être garantie, aussi des postes FFI sont installés depuis Doulon jusqu’à Chantenay et les accès à la ville sont contrôlés. Des patrouilles sont organisées pour le maintien de l’ordre et la saisie d’armes laissées par les Allemands. L’ennemi étant sur l’autre rive de la Loire, des avant-postes sont installés dans l’île Gloriette par le capitaine Maisonneuve et des hommes sont placés à la centrale électrique de Chantenay pour parer à toute destruction.

Affiche diffusée le 12 août à Nantes par les FFI
Date du document : 12/08/1944
L’organisation en lien avec les autorités en place
Au nom du gouvernement provisoire de la République française, Gilbert Grangeat se présente aux autorités en place pour en prendre le contrôle militaire de façon officielle. Il se rend à l’hôtel de ville où la prise de contact avec le maire Henry Orrion est plutôt cordiale. Une réunion est organisée par les membres civils de la Résistance à laquelle Grangeat est associé. À la Préfecture, l’ambiance est différente ; le préfet Georges Gaudard refuse dans un premier temps de reconnaître la légitimité de Gilbert Grangeat. Un accord est tout de même passé entre les deux hommes sur la gestion conjointe temporaire du département.

Affiche diffusée le 16 août à Nantes par les FFI
Date du document : 16/08/1944
Le 5e bataillon se met ensuite en ordre de fonctionnement. Au Loquidy, le centre d’organisation des bataillons FFI est confié au capitaine Grangeat-père. Le 12 août au soir, 600 repas y sont servis et 300 hommes y sont casernés, ils sont 700 le lendemain et 100 de plus le 14 août. Armes et tenues sont attribuées à chacun d’eux.
Lorsque les Alliés pénètrent dans la ville vers 16h30, Gilbert Grangeat leur partage la situation de la ville. Il va ensuite à Châteaubriant rendre compte des positions de chacun auprès du lieutenant-colonel Félix, chef départemental des FFI.
Fin de guerre et hommages
Le 29 août 1944, les communes du sud Loire sont à leur tour quittées par les forces allemandes qui se replient vers l’ouest dans la poche de Saint-Nazaire. Les 4 compagnies du 5e bataillon FFI apportent alors leur soutien aux forces américaines dans le secteur de Saint-Etienne-de-Montluc puis à Cordemais. A l’automne 1944, les 5 bataillons FFI de la Loire-Inférieure sont absorbés par l’armée régulière au sein de la brigade Charles Martel, envoyée sur le front de la poche de Saint-Nazaire.
La capitulation allemande du 8 mai 1945 et la reddition des troupes qui se maintenaient dans la poche de Saint-Nazaire le 11 mai marquent la fin de la guerre. Gilbert Grangeat alors âgé de 23 ans choisit de poursuivre son engagement militaire. Il est intégré en juin dans l'armée régulière au grade de sous-lieutenant de réserve. Les grades FFI étant fictifs, ils ne sont pas reconnus officiellement, il était impossible pour Grangeat d’espérer une reprise du statut qu’il occupait dans l’armée de la Résistance.
Le 14 juillet 1945, le général Audibert le décore chevalier de la Légion d’honneur.
Delphine Gillardin
Archives de Nantes
2025
En savoir plus
Biographie
Jean-Claude Terrière, 12 août 1944 Nantes, ville libre, Geste Éditions, coll. Histoire, 2012
Ressources Archives de Nantes
Fonds du Comité d’Histoire de la Libération
Rapport de Gilbert Grangeat déposé au Comité d’Histoire de la Libération, 9Z3/2
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Rédaction d'article :
Delphine Gillardin
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