Nantes la bien chantée : Sur le pont de Nantes
Une jeune fille souhaite aller danser mais sa mère s’y oppose à cause du fleuve en crue. Le frère arrive et emmène sa sœur danser. Les eaux recouvrent les ponts et emportent le frère et la sœur qui se noient.
Les chansons édifiantes ou moralisatrices ne sont pas rares dans le répertoire traditionnel mais souvent le message, aussi austère et rigoriste soit-il, n’apparait pas toujours de manière très évidente et lorsque c’est le cas, il intervient le plus souvent au dernier couplet. Ce couplet endosse alors la responsabilité d’exprimer une morale dont la jeunesse est d’ordinaire la destinatrice. La danseuse noyée a été recueillie dans les deux modes : sans couplet moralisateur ou avec, comme dans celle recueillie par Patrick Bardoul à Sion-les-Mines (44) en 1988 qui conclut ainsi son propos : Voilà l'histoire des enfants entêtés / Qui vont au bal sans y avoir songé.
La pratique consistant à conclure un chant avec une morale sévère est particulièrement présente dans le répertoire des complaintes criminelles, dans lesquelles le dernier couplet, qui suit d’ordinaire celui consacré à l’exécution du coupable, est suivi du fameux avertissement à la jeunesse, sur le ton ordinaire et définitif de « Bien fait pour lui ! ».
Nantes, dans le texte
La ville de Nantes apparaît dans beaucoup de chansons-types par ses ponts. On trouve donc une certaine logique dans le fait qu’un grand nombre de versions de La danseuse noyée localisent l’action dans cette ville. D’autres optent pour une géographie plus neutre en plaçant le bal fatidique sur « le pont du Nord ». Le poids historique et urbanistique des ponts dans l’histoire de la ville offre donc un cadre idéal pour placer l’action de ce drame. Pour plus de détails sur ce point, je vous renvoie à l’ouvrage d’André Péron (voir bibliographie).
D’une rive à l’autre
Il s’agit d‘une de ces très nombreuses chansons dans lesquelles le pont joue un rôle essentiel. Le fait qu’il constitue le principal décor de l’action n’est pas la seule raison et n’explique pas la motivation d’un tel choix. En plus d’être des espaces de circulation, les ponts étaient autrefois des lieux de société, des lieux de vie et, par conséquent, aussi des lieux de rencontre. De fait, il est donc logique qu’ils soient aussi le théâtre de scènes de diverses natures : galante, tragique, épique, etc.
Mais outre le fait que le pont fait le lien entre deux entités géographiques, on peut également considérer qu’il symbolise le passage entre deux mondes. Selon les cas il peut s’agir du lien entre le monde des vivants et celui des morts – dans certaines traditions, le pont est remplacé par un passeur - ou comme on peut raisonnablement le penser dans le cas qui nous occupe, le passage entre deux âges de la vie : de l’enfance à l’âge adulte.
Je souscris volontiers et même ardemment à la seconde option car la chanson est très claire sur le fait que l’héroïne est très jeune, puisqu’elle sollicite l’autorisation parentale pour se rendre au bal. L’opposition parentale, même si elle prend prétexte du danger d’un fleuve en crue, apporte la dimension conflictuelle entre les personnages, conflit qui doit aboutir au drame que l’on sait, jusqu’à la morale énoncée plus haut. Celle-ci porte donc l’idée que ce sont les parents qui décident pour leurs enfants du moment où, précisément, ils ne sont plus des enfants et peuvent entrer dans l’âge adulte. La morale qui s’affiche porte donc aussi le message selon lequel la désobéissance à ce principe de base peut être très sévèrement punie. On est à la limite du châtiment divin.
Une leçon expéditive
On remarquera que le texte choisit la danse comme motif de la tentation et objet du conflit entre la fille et la mère, or on sait que la danse fut longtemps très sévèrement réprouvée par l’église qui l’assimilait à une pratique contre nature pour ne pas dire un tantinet diabolique. Il n’est pas nécessaire de s’attarder sur les opportunités de rencontres amoureuses qu’offrait le bal aux jeunes gens en âge de se marier ou proches de l’être pour être convaincu du fait que nombre de parents partageaient cette méfiance. En définitive, le texte semble prendre parti pour cette morale objectivement sévère car, dans tous les cas, en dépit des quelques nuances que l’on peut trouver d’une version à une autre, l’histoire se termine toujours par la mort des deux jeunes gens. Le message s’adresse aussi bien à ces derniers qu’aux parents que l’on qualifierait aujourd’hui de « permissifs ».
Toutefois, et histoire de conclure sur une note moins austère et plus optimiste, on peut aussi avoir une toute autre lecture du texte et considérer que la noyade elle-même n’est que symbolique, que la jeune fille a basculé malgré les éléments contraires à sa volonté d’un statut à un autre, profitant du contexte favorable d’un bal où les trémoussements cadencés se sont peut-être mués en ébats amoureux.
Hugo Aribart
Dastum 44
2018
Sur l’pont de Nantes un bal y est donné (bis)
Où tout y danse, malure luron luré
Où tout y danse, barons et chevaliers
Où tout y danse, barons et chevaliers (bis)
Il n’y a qu’Hélène, malure luron luré
Il n’y a qu’Hélène qui n’a pas son congé
Dit à sa mère : m’y laiss’rez-vous y aller (bis)
Oh non ma fille, malure luron luré
Oh non ma fille, tu ne peux y aller
La Loire est haute, tous les ponts sont cachés (bis)
Monte dans sa chambre, malure luron luré
Monte dans sa chambre et se mit à pleurer
Son frère arrive : qu’as-tu à tant pleurer (bis)
Mon très cher frère, malure luron luré
Mon très cher frère, au bal, je veux aller
Oh oui Hélène, va vite t’habiller (bis)
La Loire est haute, malure luron luré
La Loire est haute tous les ponts sont cachés
La jeune Hélène dans la Loire est tombée (bis)
Oh mon cher frère, malure luron luré
Oh mon cher frère me laiss’ras-tu noyer
Oh non Hélène, je m’en vais te sauver (bis)
Et l’un dans l’autre, malure luron luré
Et l’un dans l’autre, tous les deux sont noyés.
En savoir plus
Bibliographie
Coirault Patrice, Répertoire des chansons françaises de tradition orale, Bibliothèque nationale de France, Paris, 1996-2006
Le pont du Nord (Aventures au bord de l’eau - N° 01725) : 50 versions référencées
Laforte Conrad, Le catalogue de la chanson folklorique française, Presses de l’université de Laval, Québec, 1977-1987
La danseuse noyée (I, B–02) : 99 versions référencées
Péron André, Sur les ponts de Nantes, Editions Ressac, Saint-Thonan, 1995
Droüart Marie, Chansons populaires de Haut-Bretagne – cahier inédits, P.U.R. / Dastum, Rennes, 2014, page 264
Guériff Fernand, Le trésor des chansons populaires recueillies en pays de Guérande, volume 4 ; Les danses, le répertoire enfantin, Dastum 44 / Parc naturel régional de Brière, Nantes, 2013, page 236
Discographie
Sylvain Girault : Nantes en chansons, Dastum / Dastum 44, 1998, plage N° 8
Version sonore
Barberine Blaise, le 22 août 2018 à Nantes d’après la version recueillie dans le cahier de chansons de M. Poiraud, violoneux du pays de Retz (fin 19e, début 20e siècle)
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Rédaction d'article :
Hugo Aribart
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