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Manoir Saint-Lô ou Saint-Laud Saupiquet

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Nantes la bien chantée : Le salut de la maîtresse


Ces chroniques ont déjà été l’occasion, et le seront encore dans l’avenir, de vanter la beauté des filles de Nantes, que le monde entier nous envie. Enfin… peut-être pas le monde entier, mais tout de même.

Nantes, dans le texte

Elles sont « si tant tellement » belles, ces Nantaises, qu’elles ont parfois bien du mal à recenser le nombre exact de leurs soupirants, que le langage traditionnel désigne ordinairement sous le terme « d’amants ». Vingt ou trente, c’est l’ordre d’idée le plus couramment utilisé par la chanson dès lors qu’il s’agit d’estimer le nombre d’amoureux languissants qui grattent aux portes des belles, soupirent sous leur balcon ou devant le portillon de leur jardin clos. Parfois, ce sont les garçons qui ne sont pas en reste, ainsi l’inconstant « héros » de la chanson type La bague soustraite (Coirault 02509), va jusqu’à prétendre que J’ai bien fait l’amour à cinquante / Depuis Paris jusque z’à Nantes. Mais sans doute est-cela pure fanfaronnade.

Notre héroïne est de celles-ci, de celles dont le succès amoureux dépasse les limites du raisonnable. Certes, le texte précise que tous ces galants ne sont pas à Nantes puisqu’ils se désespèrent entre Paris et Nantes, mais la performance sentimentale mérite tout de même d’être saluée.

L'art du message

Dans la chanson comme dans la littérature, le message est très majoritairement de nature amoureuse. Il tisse un lien fragile entre amants séparés. Séparés par la distance ou par l’enfermement de l’un ou de l’autre. Il devient donc un artifice, un moyen de surmonter l’obstacle qui se dresse entre les tourtereaux. Les déclarations d’amour, promesses de mariage ou de fidélité sont les principaux contextes dans lesquels ce motif est employé mais il peut s’agir aussi, parfois, d’annoncer des nouvelles comme la mort d’un protagoniste.

Si l’on prend le temps d’observer d’assez près le répertoire concerné par l’idée du message ou de la lettre, on réalise vite que, précisément, deux grandes tendances se dessinent. La première revêt cette dimension poétique et subtile, particulièrement lorsque le messager porte l’habit de plumes. La seconde, plus prosaïque, marque une certaine préférence pour le document écrit qu’un personnage plus ou moins réel se chargera de transmettre de l’expéditeur au destinataire, en bon auxiliaire postal qu’il est. Entre êtres humains non liés par le sentiment amoureux, le message devient facilement plus terre-à-terre et n’est autre, le plus souvent, qu’une missive chargée de doléances.

Ce qui frappe le plus, dans les textes des chansons « à message », c’est la nette majorité de messagers à plumes. En réalité, la commission est moins souvent confiée à un humanoïde qualifié – et pour ainsi dire jamais à un préposé de la vénérable maison jaune et bleue que vous savez – qu’à un oiseau : l’hirondelle, le rossignol et l’alouette se partageant cette lourde responsabilité.

Certes, dans la chanson présentée ici, c’est un soldat qui se voit confié le message mais dans la version publiée par Lucien Decombe, c’est l’hirondelle qui endosse cette responsabilité. Ce qui fait sens si l’on veut bien étudier quelque peu le répertoire car, ce faisant, il est aisé de remarquer comme l’hirondelle demeure la messagère privilégiée des amants et se fait ainsi le symbole de la fidélité, de la constance amoureuse.
Le texte présenté ici est assez ambigu quant aux circonstances initiales. Pourquoi demander à un soldat partant pour la guerre de saluer la maîtresse de celui qui, de toute évidence, n’y va pas ?

Signes de reconnaissance

L’expéditeur du message donne deux indices à son messager afin que ce dernier reconnaisse la destinataire sans risque d’erreur : la croix blanche et la fleur de lys au bras. On notera au passage que l’emblème royale place l’amante dans une certaine catégorie de la population… Ce stéréotype romanesque du signe de reconnaissance, est assez courant et doit être mis en perspective avec les récits touchant au thème de l’absence. Entendez : de la longue absence. Dans d’autres chansons types, particulièrement celles qui embrassent le motif du retour de soldat, on trouvera en guise de signe de reconnaissance ou de preuve formelle, la présence d’une « tache de raisin » sur la peau de l’un des protagonistes, la moitié d’un anneau, un tatouage, une pièce d’habillement, etc. Au reste, ce motif de « la reconnaissance » s’inscrit dans une tradition littéraire que l’on retrouve abondamment dans le théâtre des 17e et 18e siècles.

Un « râteau »  royal

Le court épisode dans lequel le roi, qui semble n’avoir rien de mieux à faire que regarder par la fenêtre, interpelle l’héroïne nous renvoie brièvement vers le motif que Patrice Coirault résume dans son catalogue sous l’intitulé « Bergères et rois ou fils de roi ». Ce motif, qui n’est ici qu’effleuré s’inscrit dans l’ensemble thématique des Pastourelles, genre poétique dont les origines semblent remonter au 12e siècle et qui perdura longtemps dans la tradition populaire. Le genre exigeait la mise en scène d’une bergère – d’où le nom de pastourelle, bien sûr – aux prises, si l’on peut dire, avec les manœuvres séductrices d’un chevalier. Ce chevalier était parfois de haut rang aristocratique, voire prince ou même roi mais au fil du temps, le dragueur pastoral a perdu de sa superbe et sa cour s’est faite de moins en moins subtile, tant et si bien qu’en fin de tradition, le chevalier était devenu un simple chasseur en errance, un vieillard libidineux ou n’importe quel lourdaud en quête d’une proie estimée facile, qui, au reste, ne parvient que très exceptionnellement à ses fins. De son côté, la bergère est parfois devenue batelière, lingère ou meunière…

Si le roi se prend, comme on dit, un beau râteau, ce n’est pas par mépris de la bergère dont les atours  – fleur de lys et croix blanche – semblent plutôt indiquer une certaine forme de loyalisme, mais parce que son cœur est déjà envahi par un amour aussi jeune que pur et chaste : la présence de la couleur blanche et du lilas pouvant assumer cette symbolique.

En deux vers, cette version du Salut à la maîtresse évoque ce que Marius Barbeau désigne comme une « pastourelle à échec », par opposition, on s’en doute, aux « pastourelles à succès » dans lesquelles la bergère cède finalement aux arguments de son séducteur. Au final, le monarque doit prendre acte du fait qu’il figure très loin dans la liste des soupirants de la belle, quelque part entre la 20e et la 30e place.

Hugo Aribart
Dastum
2022

[forme]
Petit soldat de guerre - Bis
Dans la guerre tu t'en vas et lon lon la
Dans la guerre tu t'en-en vas

Si tu vois ma maîtresse - Bis
Je t'en prie, salue-la, et lon lon la
Je t'en prie, salue-là

    Etc

[texte]
Petit soldat de guerre, dans la guerre tu t'en vas
Si tu vois ma maîtresse, je t'en prie, salue-la
Comment la saluerais-je ? Moi qui n' la connais pas
Elle porte la croix blanche, la fleur de lys au bras
Le cheval-e qui la mène est couvert de lilas
Le roi est aux fenêtres qui la regarde passer
Petite nourigeonne [petite fille en nourrice], êtes-vous mariée

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En savoir plus

Bibliographie

Catalogue Patrice Coirault : Le salut à la maîtresse (Messages – N° 00405)

Catalogue Conrad Laforte : Le message à l’ami-e (I, I–04)

Barbeau, Marius, Le rossignol y chante, Première partie du répertoire de la chanson folklorique française au Canada, Ministère du Nord Canadien, Musée national du Canada, Ottawa, 1962

Decombe Lucien, Chansons populaires recueillies dans le département d’Ille-et-Vilaine, Caillières, Rennes, 1884

Guéraud Armand, Recueil de chants populaires du Comté Nantais et du Bas-Poitou, Édition critique en 2 volumes, par Joseph Le Floc’h, F.A.M.D.T. éditions, Saint-Jouin-de-Milly, tome 1, 1995, p. 141

Enregistrement

Jean-Noël Griffisch, à Nantes (44), le 25 mai 2019, d’après la version extraite du fonds Armand Guéraud (cf. bibliographie)

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Dastum 44

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Association Musique Nantes dans la chanson

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Rédaction d'article :

Hugo Aribart

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