Statue de la Délivrance
Le monument aux morts de la Première Guerre mondiale nantais est constitué de deux entités : la statue de la Délivrance et les Tables mémoriales. Cet ensemble imaginé par la municipalité de Paul Bellamy et l'architecte de la ville Camille Robida fut inauguré le 17 novembre 1927. Le 11 novembre 2018, le retour de la statue dans le square du Maquis-de-Saffré à l'occasion des cérémonies du centenaire de l'Armistice permet de présenter aux Nantais le monument dans sa dualité retrouvée.
Statue de la Délivrance
Date du document : 11-11-2018
Le projet double de Paul Bellamy pour le monument aux morts
Dès 1918, le Conseil municipal décide d'ériger "une œuvre imposante, simple, sévère et monumentale" en hommage aux soldats Nantais morts au cours du conflit. La ville et les associations d'anciens combattants s'entendent sur un monument qui installé dans un cadre naturel serait propice au recueillement et présenterait la liste des soldats nantais morts pour la France. Différentes propositions sur l'emplacement de ce monument sont alors étudiées par le service d'architecture de la ville dirigé par Camille Robida. Le site du square Saint-André est finalement choisi lors de la séance du conseil municipal du 28 décembre 1925.
En 1926, Paul Bellamy évoque lors des échanges du conseil sur le financement de l'inscription de 7000 noms sur les tables mémoriales, son vœu de déposer le Livre d'Or contenant l'ensemble des noms de soldats au devant du monument ; un groupe sculptural -une "Victoire ailée" par exemple- dominant cette dépose.
Le choix de la statue de la Délivrance, œuvre réalisée par le sculpteur Emile-Oscar Guillaume est proposé le 9 mai 1927 au Comité d'Action et au conseil municipal ; le projet est adopté à l'unanimité. Au mois d'avril précédent cette statue représentant une femme nue, en équilibre sur la pointe des pieds, le corps arqué vers l'arrière, tendant les bras vers le ciel avec un glaive dans la main droite avait été exposée dans une galerie à Nantes.
La Délivrance nantaise, une statue parmi beaucoup d'autres exemplaires
La statue nantaise n'est qu'un des nombreux exemplaires du modèle initialement dénommée La Victoire par son créateur Emile-Oscar Guillaume lorsqu'il la réalise en 1914 au lendemain de la victoire de La Marne.
La diffusion de ce modèle est notamment assurée par le journal Le Matin qui annonce en 1919 en offrir onze exemplaires aux villes ayant subi l'occupation allemande. La liste des communes françaises et belges ayant accepté l'offre est présentée dans l'édition du 17 octobre 1919 : Amiens, Bruxelles, Colmar, Liège, Lille, Metz, Reims, Mézières, Saint-Quentin, Strasbourg et Verdun. La fonderie Barbedienne est chargée de réaliser ces statues -en bronze doré-, désormais appelées Délivrance. La remise du premier exemplaire est prévue à Lille le 19 octobre 1919.
Aristide Briand, dont Emile-Oscar Guillaume était l'artiste protégé, en possédait également un exemplaire, de plus petite taille. Ce modèle aujourd'hui exposé au musée d'histoire de Nantes a été acheté en 2008 lors de la vente publique "Briand".
Camille Robida, architecte de la ville, auteur du dessin des Tables mémoriales a donc imaginé avec Emile-Oscar Guillaume l'ensemble du monument nantais en ajoutant au-devant des tables la statue de la Délivrance.
Inauguration des tables mémoriales du monument aux morts de la guerre 14-18
Date du document : 17-07-1927
Le scandale de la Délivrance, mise à terre 4 mois après son inauguration
Inaugurée avec les Tables mémoriales le 17 juillet 1927, la statue fait très rapidement polémique en raison de sa nudité. La droite catholique et nationaliste trouve ici un nouveau motif pour s'opposer au député-maire Paul Bellamy, récemment réélu. L'esprit de l'union sacrée est oublié et Bellamy membre du nouveau Cartel des gauches qui avait interdit en 1926 les processions religieuses de la Fête-Dieu voit se dresser alors contre lui l'opposition catholique. Les Jeunesses patriotes, menées par Henri de la Tullaye, notable nantais et ancien conseiller municipal, s'opposent en effet violemment à cet arrêté municipal.
Le monument aux morts et la statue de la Délivrance
Date du document : 1927
Dès le lendemain de l'inauguration, le 18 juillet 1927, la presse de droite catholique et conservatrice, représentée par l’Ouest-Éclair, le Nouvelliste et le Phare de la Loire, est unanime sur l'immoralité de la statue. Des lettres anonymes plus ou moins virulentes sont adressées au maire. Dans le contexte tendu de l'été 1927, la statue est sous surveillance policière jour et nuit. Pourtant dans la nuit du 10 au 11 novembre 1927, un commando de dix-huit personnes élabore une mise en scène et tandis que quelques-uns font diversion, la statue est arrachée de son socle et mutilée à coups de hache.
Les associations d'anciens combattants condamnent pour la plupart l'action contre la Délivrance et très rapidement la gauche se solidarise avec le maire qui fait imprimer une affiche au texte offensif à destination des Nantais.
Les coupables, tous membres des Jeunesses Patriotes ou d'Action Française avec parmi eux des anciens combattants proches des milieux catholiques revendiquent cette action par voie de presse et lettre collective à la fin du mois de novembre.
Pendant ce temps, la Délivrance est laissée dans les réserves du Musée des Beaux-Arts, en attente d'une restauration. Paul Bellamy annonce son souhait de lui redonner sa place une fois restaurée. En 1937, les travaux du percement du canal Saint-Félix et l'aménagement du square Saint-André permettent la réinstallation de la statue à l'extrémité du square sur un nouveau socle la mettant hors de portée de tout acte de vandalisme.
Les voyages de la Délivrance
L'histoire de la statue connaît de nouveaux rebondissements sous l'Occupation Allemande. Le gouvernement de Vichy fait enlever toutes les statues de France en métal non ferreux pour les envoyer à la refonte afin de servir l'industrie militaire allemande. La Délivrance, en bronze, n'est pas épargnée, tout comme de nombreuses statues nantaises. Le 10 février 1942, la statue est enlevée par le Groupement d'Importation et de Répartition des Métaux. La Délivrance semble perdue à tout jamais...
Pourtant, le 24 février 1950, le maire de Nantes reçoit la lettre d'une ancienne habitante du quartier Zola qui l'interpelle sur un article de l'hebdomadaire Inter : sur la photographie, on peut reconnaître plusieurs statues nantaises : le général Mellinet, Livet et la Délivrance ! Ces statues destinées à la refonte n'ont finalement pas été détruites par les allemands et ont atterri dans l'entrepôt parisien du Service de la Récupération Artistique et Culturelle. Dès juillet 1950, les statues nantaises sont de retour en ville.
La Délivrance, mutilée - ses bras lui ont vraisemblablement été enlevés pour faciliter son transport - , est stockée dans un local de l'Atelier Municipal en attendant une restauration. Les fondeurs du Service des Eaux de la municipalité sont chargés de lui refondre bras et glaive.
La statue de la Délivrance
Date du document : 11-11-2018
Depuis 1987, la statue de la Délivrance était installée à l'extrémité Est de l'Île de Nantes, à proximité de l'hôtel de Région. La portée mémorielle de la statue était alors totalement absente et le site excentré la rendait très peu visible et très peu connue des Nantais.
En 2018, à l'occasion du Centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, la statue de la Délivrance, comme les Tables mémoriales, a été restaurée.
Le 11 novembre 2018, elle est replacée sur son socle, square du maquis-de-Saffré, vide depuis 1942.
Delphine Gillardin
Archives de Nantes
2019
En savoir plus
Bibliographie
Archives de Nantes, Direction du patrimoine et de l’archéologie, Un lieu, une date, une histoire : la statue de la Délivrance, 11 novembre 2018, Ville de Nantes, Nantes, 2019 (Histoire et Mémoires)
Bodinier Jean-Louis, Guyvarc'h Didier, « La délivrance : la bataille de l’opinion publique», dans Les folles agapes de Nantes au clair de lune : la construction des scandales sous le regard de l'historien, Apogée, Rennes, 1999, p. 57-81
Guyvarc'h Didier, « Statue de la Délivrance : le vice ou la vertu ? », Place publique Nantes Saint-Nazaire, n°69, hiver 2018-2019, p. 130-133
Leseur Henri, La "Délivrance" : un point de l'histoire nantaise (17 juillet-11 novembre 1927) : la vérité sur l'affaire, les secrets d'une enquête, Impr. de l'Ouest-Journal, Rennes, 1935
Webographie
Nantes, la métamorphose d'une ville - Auran/Ina : Cérémonies du 11 novembre à Nantes
Ressources Archives de Nantes
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Rédaction d'article :
Delphine Gillardin
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