Pont Anne de Bretagne
Inauguré et mis en service à l’automne 1975, le pont Anne de Bretagne est un ouvrage en béton long de 140 mètres. Axe de circulation majeur, il est représentatif d’une époque où les franchissements fluviaux se multiplient à Nantes. L’ouvrage d’art est actuellement en chantier pour se réinventer et accueillir de nouveaux usages.
Construire un nouveau pont nantais
En 1903, est inauguré un pont à transbordeur, reliant le quai de la Fosse à la Praire-au-Duc, permettant ainsi de desservir la zone industrielle en pleine expansion des chantiers navals. La construction de ce pont transbordeur marque le début du tracé d’une seconde ligne des ponts, qui enjambe la Loire sur la moitié Ouest de l’Île de Nantes. Le pont est cependant démantelé en 1958, ne correspondant plus aux usages des transports routiers et fluviaux, et étant rongé par la rouille. Pour autant, il reste nécessaire de desservir l’Ouest de l’Île de Nantes et ses nombreuses industries. Un pont Bailey est mis en place en 1966, à l’emplacement de l’actuelle passerelle Victor Schoelcher. Ce pont en ossature métallique préfabriquée n’est néanmoins destiné qu’à un usage temporaire.
En 1968, une étude montre que Nantes est sous-équipée en infrastructures pour répondre aux besoins de franchissement de la Loire. Un projet de remplacement de l’ancien pont transbordeur, et du pont Bailey d’alors, est alors pensé. Au début de l’année 1974, commencent ainsi les travaux du nouveau pont dit « Léon Bureau », selon le nom du boulevard qu’il prolonge.
Les spécificités techniques du pont
Prévu pour être ouvert à la circulation à l’automne 1975, le pont dit « Léon Bureau » est un ouvrage en béton, long de 140 mètres, proposant quatre voies de circulation et deux trottoirs, pour une largeur totale de 18 mètres, et s’élevant à 8,65 mètres au-dessus de la Loire. Suite à un appel d’offres, l’Entreprise de Travaux Publics de l’Ouest est sélectionnée pour ce chantier colossal, dont le coût total s’élève à plus de sept millions de francs. La Ville finance le projet à hauteur de 76 %, le reste étant à la charge de l’État.
La construction de ce nouveau pont exige également un partage de l’espace fluvial entre la Ville et le Port Nantes – Saint-Nazaire. Une convention de superposition de gestion est signée entre les deux parties, autorisant la Ville de Nantes à occuper l’espace fluvial et la rendant responsable de la gestion du nouvel ouvrage d’art.
Le pont dit « Léon Bureau » est un pont en béton à tablier unique, constitué de deux pentes égales de 6%. C’est un pont dit « en poutre caisson ». En effet, son tablier est constitué de deux poutres caisson en béton précontraint. Les poutres caissons sont des poutres creuses. Leur utilisation, ainsi que celle d’un béton précontraint (qui a déjà subi une première compression), offrent au pont une meilleure résistance au poids, mais surtout à la torsion. 82 éléments appelés « voussoirs » viennent compléter l’ouvrage. Les voussoirs sont posés en encorbellement, par rapport au précédent. Ils sont mis en place de façon successive et symétrique à partir d’une pile, afin d’éviter tout déséquilibre. Les voussoirs sont maintenus par des câbles appelés « câbles de fléau ».
Plans du pont Anne de Bretagne
Date du document : 07/10/1975
Deux piles, qui prennent racine dans la Loire, soutiennent le tablier. Elles sont fondées au rocher par un massif de béton, coulé dans une enceinte de palplanches. La culée nord du pont, reposant contre le mur du quai de la Fosse et destinée à supporter le tablier, est en béton armé. La culée sud, du côté de l’Île de Nantes, est creuse. Les culées reposent sur deux files de pieux, mesurant chacun un mètre de diamètre.
Les ciments, mortiers et bétons utilisés pour la construction du pont sont fabriqués à partir de sables de la Loire. En tout, ce sont 3 200 mètres cubes de béton qui ont été utilisés pour construire la fondation et les appuis, et 1 500 mètres cubes pour le tablier.
Construction du pont Anne de Bretagne
Date du document : 1975
Le 1er octobre 1975, le nouveau pont est officiellement testé. Une vingtaine de poids-lourds de l’association des Benniers Loire-Océan, pour un poids total de 480 tonnes, sont chargés d’y circuler. Entre chaque passage, dont le poids doit être de plus en plus lourd, des mesures sont réalisées pour s’assurer de la bonne réaction de l’ouvrage d’art.
Nommer le pont
L’ouvrage étant presque achevé, la Ville de Nantes doit le nommer. Lors du Conseil municipal du 22 septembre 1975, il est décidé de l’appeler « Pont Anne de Bretagne », en l’honneur de la duchesse bretonne et reine de France. En effet, une plus modeste rue portait alors ce nom sur l’Île de Nantes, un hommage insuffisant selon le Conseil municipal d’alors. Cette rue est depuis renommée « rue de l’Île Mabon ».
Pour autant, ce choix ne fait pas l’unanimité et le nommage du pont canalise des revendications sociales et politiques. En effet, le 27 septembre 1975, cinq militants anti franquistes, tous âgés entre 20 et 33 ans, sont tués par le régime espagnol de Francisco Franco :
- trois membres du Front Révolutionnaire Antifasciste et Patriote : José Humberto Baena, José Luis Sánchez-Bravo Solla et Ramón García Sanz, fusillés à Hoyo de Manzanares.
- deux membres de la section politico-militaire d’Euskadi ta Askatasuna, une organisation nationaliste basque paramilitaire : Juan Paredes Manot, dit Txiki et Ángel Otaegui, fusillés respectivement à Barcelone et Burgos.
Ces cinq hommes sont les derniers condamnés à mort exécutés en Espagne. En effet, onze personnes étaient originellement condamnées à la peine capitale. De nombreuses démarches pour éviter les exécutions sont entreprises, notamment au regard de l’innocence avérée de certains ou encore des irrégularités des procès. Le Saint-Siège, l’Organisation des Nations unies ou encore la Communauté Économique Européenne appellent à renoncer à ces exécutions. Pour autant, le 26 septembre, Franco annonce l’exécution de cinq des onze condamnés à mort. C’est une onde de choc qui secoue la communauté internationale, allant jusqu’au retrait de plusieurs ambassadeurs étrangers du pays. Le régime espagnol réagit en organisant un rassemblement, au cours duquel Franco fait sa dernière apparition publique. Il décède en effet le 20 novembre de la même année.
Dans ce contexte, le 2 octobre 1975, à l’occasion d’un appel des confédérations internationales, les ouvriers des chantiers navals de Nantes, syndiqués à la CFDT et à la CGT, adressent à la Ville un courrier officiel, demandant à ce que le nouveau pont porte le nom « Pont des martyrs de la résistance espagnole » ou « Pont des martyrs espagnols fusillés par Franco le 27 septembre 1975 ». Le lendemain de l’envoi de ce courrier, alors que plusieurs syndicats appellent à une grève nationale pour protester contre le régime espagnol, 1 000 ouvriers nantais se mobilisent. Ils remplacent en ce sens les panneaux du « Pont Anne de Bretagne ». Le journal L’Éclair rapporte que « c’est en effet en chantant L’Internationale et en scandant « Franco assassin, Giscard complice », que les manifestants avaient traversé le pont ».
Article de Ouest-France sur la manifestation des ouvriers du 2 octobre 1975
Date du document : 03/10/1975
Le pont garde pour autant son nom en l’honneur de la duchesse bretonne. Il reste néanmoins un symbole de la contestation politique puisque le 11 octobre 1975, une cinquantaine de personnes recouvrent ses panneaux pour le rebaptiser « Pont Saïgon », « ceci en mémoire des milliers de victimes du communisme au Viêt-Nam » nous apprend le journal L’Éclair.
L’inauguration du pont Anne de Bretagne
L’inauguration du pont Anne de Bretagne a lieu le 8 octobre 1975, en présence du maire André Morice, qui dévoile dans un premier temps la plaque de bronze frappée de trois hermines et du nom de la duchesse, sur le quai de la Fosse ; avant de traverser le pont pour dévoiler la plaque sur l’Île de Nantes. Accompagné par le sous-préfet, les conseillers municipaux ou encore des représentants d’entreprises, ils doivent ainsi traverser une « haie d’honneur » formée par les ouvriers de la biscuiterie BN, venus manifester et scandant que leurs « salaires ne sont pas du gâteau ».
Inauguration du pont Anne de Bretagne
Date du document : 08/10/1975
André Morice, dans son discours, rappelle l’importance d’Anne de Bretagne dans l’histoire de Nantes. La cérémonie est suivie d’une réception à la piscine Léo Lagrange.
Cette inauguration marque la mise en service du pont, mais aussi la destruction du pont Bailey voisin, qui commence quelques jours à peine après la fin du chantier.
Démontage du pont Bailey
Date du document : 1975-1977
Un pont réinventé
Le pont Anne de Bretagne devient progressivement un des axes de circulation majeurs de la ville de Nantes. En 2001, 27 350 véhicules l’empruntaient quotidiennement.
Dès les années 2010, la Ville de Nantes souhaite doubler les franchissements de la Loire pour l’horizon 2035. Les ponts actuels ne permettent plus d’absorber le trafic quotidien. Il est également envisagé d’élargir le pont Anne de Bretagne pour faire plus de place aux modes de transports doux et aux transports publics. On souhaite qu’une nouvelle version du pont puisse accueillir une ligne de tramway, permettant notamment de desservir le nouveau CHU.
C’est en ce sens qu’un chantier d’importance commence en janvier 2025. D’ici 2027, le nouveau pont Anne de Bretagne accueillera piétons, cyclistes, tramways, bus ou encore véhicules individuels. Des espaces verts et de vie seront également aménagés sur l’ouvrage. Pour cela, sa largeur passera de 18 à 53 mètres, grâce à un nouveau tablier qui sera apposé en continuité de l’actuel. À l’automne 2025, la charpente métallique du nouveau tablier doit arriver à Nantes sur la Loire, après un voyage depuis l’Italie du Nord-Est, où elle a été construite.
Léa Grieu
Direction du patrimoine et de l’archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole
2025
Album : pont Anne de Bretagne
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Léa Grieu
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