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Parfumerie-savonnerie Sarradin


La ville de Nantes est davantage connue pour ses biscuits et ses rigolettes que pour son parfum. Et pourtant, l’histoire des parfumeries nantaises est particulièrement riche. Étroitement liée au développement du savon, l’histoire du parfum est aussi celle de l’hygiène et d’un nouveau rapport au corps et à la consommation matérielle qui se développe considérablement au 19e siècle.

À Nantes, différents parfumeurs et savonniers vont marquer l’histoire la cité et notamment le parfumeur Sarradin dont la boutique est aujourd’hui occupée par la librairie Coiffard rue de la Fosse.

La parfumerie Sarradin, une histoire du 18e siècle

La saga familiale des Sarradin remonte à la fin du 18e siècle, alors que Paul Sarradin (1752-1828), marchand parfumeur originaire de Vendôme s’installe à Nantes en 1781. Son arrivée  n’est pas le fruit du hasard. Il part à Paris en 1770 tout juste âgé de 18 ans. D’abord simple employé dans une épicerie de la capitale, il rejoint la droguerie Delondre (rue des Lombards – actuel 1er arrondissement). À cette époque, le parfumeur Jean-Louis Fargeon (1748-1806) est installé rue du Roule non loin du Palais du Louvre, où il fournit une clientèle très prestigieuse au sein de la cour et de la famille royale. Paul Sarradin entre en apprentissage chez Fargeon à l’âge de 23 ans en 1775 et se forme au métier de parfumeur jusqu’à devenir chef de son propre laboratoire en 1781. Le dernier quart du 18e siècle est riche d’innovations en matière de soins corporels. La consommation de cosmétiques touche de plus en plus les couches populaires parisiennes. Les marchands et inventeurs rivalisent d’ingéniosité pour proposer à leur clientèle aisée différents objets de parures à la mode : étuis à parfum, nécessaire de voyage ou de poche, boîtes à mouches, etc. Paul Sarradin se forme à la meilleure école qui soit et décide de mettre en pratique les compétences qu’il aura acquises à Paris, en s’installant à Nantes, rue de la Fosse, après que Fargeon ait essuyé une première faillite en janvier 1779.

En 1781, Paul Sarradin installe donc à Nantes, à l’angle des rues de la Fosse et du Puits d’Argent probablement à l’actuel n°12, son premier atelier-laboratoire, dans lequel il peut fabriquer ses parfums. Ses débuts semblent assez difficiles : en juin 1785, Paul Sarradin est contraint de vendre sa maison et quitte donc provisoirement son magasin. Il avertit sa clientèle de ce changement grâce aux Affiches générales de Bretagne de la manière suivante :

« Le sieur Sarradin, Marchand Parfumeur, rue de la Fosse, étant obligé de quitter son magasin, par la vente de la maison, prévient le Public qu’en attendant qu’il puisse se procurer un magasin convenable, il continuera son commerce au premier étage de la même maison, et prendra tous les soins possibles pour mériter la confiance de ceux qui traiteront avec lui, cette circonstance ne changent absolument rien à son travail ; il enverra ses marchandises chez ceux qui lui en feront demander ».

Quelques temps plus tard, s’il a retrouvé son commerce, il est arrêté en janvier 1787 pour avoir vendu des sabots dans sa boutique, probablement pour arrondir ses fins de mois et élargir sa gamme de produits.  En 1792, on retrouve sa trace dans les Étrennes du commerce, associé à un certain Chaillou, au 19 rue de la Fosse, lui-même parfumeur. En 1797, la boutique, devenue trop petite, est transférée au n°7 rue de la Fosse, où se trouve actuellement la librairie Coiffard. La localisation exacte de la boutique demeure indéfinie. Différentes sources la mentionnent au n°19, au n°7 et même au n°55.

La collaboration avec le parfumeur Chaillou perdure plusieurs années. Tous les deux font venir de l’étranger différentes marchandises qu’ils revendent ensuite dans leur commerce. Après 1815, le partenariat semble avoir pris fin et seul Sarradin est désormais mentionné dans les arrivages de marchandises par navires à Nantes. Peu d’informations sont parvenues jusqu’à nous concernant les produits qu’il fabriquait, les recettes qu’il appliquait ou sur le type de clientèle dont il disposait. On sait toutefois qu’il fournit d’autres professionnels de santé, notamment le chirurgien dentiste de Paris, Monsieur Bottot, lequel achète en 1811 chez Paul Sarradin depuis plus de 20 ans de l’eau balsamique, « connue avantageusement depuis le 1er octobre 1777 pour entretenir la beauté des dents et la propreté de la bouche ». Sarradin fait également venir de France et de l’étranger divers produits comme des eaux de fleur d’oranger ainsi que son eau odontalgique qu’il fait distiller à Clermont-Ferrand. Bien plus qu’un parfumeur, Paul Sarradin est avant tout marchand. Ce qu’on appelle désormais la Maison Sarradin au n°7 rue de la Fosse se fait la spécialiste des produits bucco-dentaires, dans laquelle on trouve par exemple « des Tablettes conservatrices des dents, ainsi que l’Élixir odontalgique de M. Hostein chirurgien dentiste des princes ».

Paul Sarradin est également spécialisé dans la vente de tubéreuse, une plante à l’odeur très prononcée, extrêmement recherchée par les parfumeurs. Sa boutique propose aussi en 1827 des pastilles « pour neutraliser de suite l’odeur du tabac et procurer une haleine agréable », dont la boîte coûte 1 franc et 20 centimes. À la fin des années 1820, Paul Sarradin est secondé par son fils Émile (1800-1896). Avec sa femme Catherine, ils rachètent le premier étage de la maison rue Racine n°9 au sieur Jean Lamoureux, signe que leur fortune s’est faite. À la mort de Paul en 1828, c’est son fils qui lui succède.

Le parfum dans l’ère industrielle

Émile Sarradin est celui qui va durablement transformer l’entreprise familiale. En 1818, il part faire ses classes à Paris, auprès du parfumeur Badeuil. La même année, il réalise son premier savon à froid (il s’agit de mélanger des huiles avec de la lessive de soude, entraînant la saponification qui permet d’obtenir le savon). De retour à Nantes en 1820, il rénove le magasin familial afin d’en agrandir le laboratoire, où il peut multiplier les différents produits.

Parallèlement, Émile s’investit activement dans la vie publique et politique locale. Il participe au développement de l’enseignement technique et professionnel aux côtés d’Arsène Leloup et de René Bouhier. Après 1870, il est élu adjoint au maire, et meurt en 1896. Son fils aîné, Paul-Émile (1825-1909), lui succède alors et amplifie à la fin du 19e siècle le succès de l’entreprise.

À l’instar de son père, il se consacre pleinement à la vie de l’entreprise sans oublier la vie politique. D’abord adjoint au maire, il est élu maire de Nantes de 1899 à 1908, mandat durant lequel il fonde l’AMF (Association des maires de France). C’est également lui qui inaugure le pont Transbordeur en 1903.

La parfumerie se lance véritablement dans la fabrication de savon à partir des années 1860. En octobre 1861, se tient une exposition nationale à Nantes, où industriels et fabricants viennent présenter leurs produits. On y parle à la fin de Sarradin :

« Viennent enfin les savons de toilette fabriqués par M. Sarradin, de Nantes, et ceux de la Société Hygrophile de Paris. Les premiers, d’excellente qualité, sont depuis bien longtemps appréciés dans notre ville et dans les colonies où il en est beaucoup exporté […]. Ces deux maisons exposent aussi des parfums, des vinaigres, des alcools aromatisés, des pommades et des savons de luxe de toute sorte, sous les noms les plus attrayants, tels que savon au miel, crème à la rose, à la violette, au jasmin, au réséda, amandine, etc., et sous ceux les plus prétentieux et les plus baroques (c’est en cela surtout que se distingue la Société Hygrophile), ainsi l’Extrait impérial, étiquettes pompeuses qui doivent souvent faire vendre très cher des choses fort simples ».

Le 31 octobre suivant, l’Exposition récompense les intervenants, et Sarradin obtient la médaille de bronze pour « belle parfumerie ».

Une spécialité : le savon pour bébé

En 1886, Monsieur Sarradin a su créer toute une série de parfums qui lui ont valu sa clientèle. Les préparations, à base de violettes de Parme et à l’héliotrope blanc lui valent un franc succès. Il vend également du lait d’Iris, de l’eau nutritive pour les cheveux, des sachets parfumés, des savons divers et surtout des savons de toilette conçus par le parfumeur lui-même.

En 1906, Paul-Émile et son frère Alfred-Georges avec qui il s’est associé, demandent l’autorisation d’établir une fabrique de parfums et de savons de toilettes au 18 rue Laënnec. Peu d’informations sont conservées au sujet de cette usine mais dans les années qui suivent, les productions se diversifient encore :

« Parfumerie Sarradin, jeudi 19 mars lotions et teintures, lotion ambrosa et parfums assortis, eau de quinine véritable, eau de portugal, shampoing américain, extrait de henné d’Ak-Hissar, royal windsor, melrose – pétrole hahn, etc. »

« Parfumerie Sarradin vendredi 12 et samedi 13 juin, produits de beauté. Lait de toilette à l’iris, lait d'amandes, lait de lys, lait de roses, crème de lys, crème de glycérine, crème sarradin, poudre de riz ambrosa, eau de roses triple, etc. »

« vendredi 19 et samedi 20 juin savons de toilette garantis purs. Savons ambrosa et Nantes-Mondain, savon à l’eau de cologne, savons Lénis, toutes odeurs, savon bruyères de Paimpol, savon des bébés, savon pour bain. Bains savonneux. Savons le touriste. Savon en feuilles monobloc, le meilleur savon pour la barbe, etc. »

L’entreprise Sarradin parvient à se développer sur l’ensemble du territoire national et des locaux sont acquis à Paris au 54 rue d’Enghien. Le catalogue des produits s’élargit aux parfums et de nombreux dépôts de marque sont actés. Certaines marques connaissent même des succès internationaux, comme Ambrosa, Stella, Violetta ou Frizoleine, produit qui permettrait de friser les cheveux. Le produit phare reste tout de même « Le savon des bébés » et toute la gamme de ses produits dérivés.

Pendant les Première et Seconde Guerres mondiales, l’entreprise est confrontée à la pénurie de main d’œuvre et de matières premières. Les innovations industrielles s’accélérant au 20e siècle, il devient difficile pour la famille Sarradin de concurrencer l’international. Le déclin se poursuit jusqu’à la fermeture définitive de l’entreprise le 31 décembre 1955.

Gillian Tilly, Patrick Sarradin
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2022

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Rédaction d'article :

Gillian Tilly, Patrick Sarradin

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