Nantes la bien chantée : La carmagnole des brigands de la Vendée
Ces chroniques n’ont pas pour vocation de donner un cours d’histoire. Pour autant, la chanson populaire, quant à elle, peut parfois endosser ce rôle pédagogique tout en se portant garante du souvenir des faits qu’elle relate.
Nantes, dans le texte
Sur les centaines de chansons mentionnant la ville de Nantes, un quartier ou une personnalité locale, toutes ne peuvent pas être qualifiées de chansons nantaises. Loin s’en faut. Mais la chanson présentée ici peut très bien être considérée comme telle, quand bien même aurait-elle été écrite à l’autre bout de la galaxie. Elle relate des faits historiques précis, bien connus des historiens et sans doute de beaucoup de Nantais. C’est une véritable page d’histoire qui s’exprime ici ; de l’histoire de la ville bien-sûr mais aussi de l’histoire de France.
Chanson nantaise et chanson historique, donc, mais aussi, d’une certaine manière et malgré le caractère quelque peu désuet de l’expression, chanson engagée, car elle affiche clairement sa couleur politique. Nous avons là un bel exemple de chanson « bleue » qui a pour intention notoire de faire la leçon aux vaincus. Les « blancs » en l’occurrence. Explicitement républicaine, la chanson brocarde les contingents monarchistes, reprenant jusque dans le titre le terme « brigands », souvent usité à l’époque pour souligner non pas la posture politique des insurgés mais leur statut de hors-la-loi, et ainsi désigner les armées séditieuses d’un vocable infamant.
Page d’histoire et chanson historique
Les faits sont bien connus mais fendons-nous tout de même d’un (hyper) résumé.
La chanson brosse un tableau, assez sommaire et partisan mais exact, de la bataille et du siège de Nantes, les 29 et 30 juin 1793, alors que la guerre civile entre Républicains et Royalistes faisait rage dans l’ouest, particulièrement en Vendée, Loire-Atlantique et Maine-et-Loire. En des termes plus conventionnels, si l’on peut dire : les guerres dites « de Vendée ».
Attaque de Nantes par les Vendéens
Date du document : 18e siècle
Cette bataille fut particulièrement importante dans l’histoire de cette guerre parce que l’enjeu stratégique était crucial pour les deux camps. Pour les royalistes qui souhaitaient s’emparer d’un grand port, d’une cité située au carrefour des routes reliant le sud de la Loire au nord, d’une ville riche, etc, mais aussi pour les républicains qui, au contraire, avaient la ferme intention de ne pas céder ce point on ne peut plus névralgique. Les « brigands de la Vendée » étaient décidés à en découdre, aussi parce que celle que nous surnommons aujourd’hui La cité des ducs, avec sa bourgeoisie dominante, était majoritairement acquise à la cause républicaine.
La question peut se poser de savoir ce qu’est une chanson historique car l’expression peut être entendue de deux façons assez distinctes. Une chanson historique est-elle une chanson qui évoque des faits historiques, pouvant remonter à un lointain passé ou une chanson qui est née dans le contexte historique qu’elle évoque et dont le contexte justement est le thème principal ? Pour ma part, je trouve plus pertinent de considérer comme telle une chanson née dans le contexte historique qu’elle relate. Dans l’introduction de l’ouvrage duquel est extraite cette chanson (cf. bibliographie), Alain Bergerat évoque cet aspect fondamental de la chanson historique : « La chanson que la mémoire orale a conservée traduit la façon dont les gens ont vécu l’évènement et le souvenir qu’ils veulent en transmettre aux générations à venir. »
Le texte, en plus d’être proche de la réalité, se développe dans un langage qui est celui de l’époque, voire du contexte social, ce que la chanson disons… apocryphe, ne parvient que très rarement à faire.
C’est d’ailleurs parfois un élément d’identification qui permet de distinguer une chanson « de l’époque » d’une chanson postérieure. Toutes deux évoquant la même page d’histoire, s’entend.
Dans le texte, cette armée royaliste est aussi stigmatisée, c’est le cas de le dire, dans son identité religieuse. Ainsi, dès le couplet 2, il est question de « l’armée de Jésus ». Plus loin, au couplet 5, la chanson évoque les prétendus soldats qui s’en remettent à Dieu quand l’affaire tourne mal, mais ce sont bien les boulets républicains et non la divine mansuétude qui leur ouvre les portes du paradis céleste.
Le texte se fend également de quelques railleries quand il s’agit de décrire, certes sommairement, l’accoutrement des Vendéens qui, forcément, sont chaussés de sabots dont ils se déchaussent pour courir plus vite quand vient l’heure de la déroute (couplet 4).
Un timbre… judicieux
Ces chroniques ont déjà abordé la notion de « Chanson sur timbre », mais à l’attention des lecteurs et lectrices qui n’auraient pas pris connaissance des articles concernés, je les invite à consulter le commentaire des chansons N° 016 (La statue en balade), N° 017 (Mai 68 à Nantes) ou N° 027 (Vive Saint-Julien-de-Vouvantes) qui sont d’autres exemples de chansons écrites sur des airs préexistants. Toutefois, il ne m’est pas interdit de rappeler ici quelques fondamentaux sur ce principe essentiel de la chanson de tradition populaire. Je vais donc me permettre de réchauffer quelques plats.
Sauf le respect du aux philatélistes d’ici et d’ailleurs, le mot « timbre » est ici utilisé comme le marqueur d’identification d’une mélodie. Il désigne donc un air qui prend alors le plus souvent le nom de la première chanson qui fut écrite « sur lui » ou « avec lui ».
Si nous prenons, à titre d’exemple, La Marseillaise : la chanson de Rouget de Lisle est une création comprenant paroles et musique. Si, deux siècles plus tard, une confrérie d’amateurs de muscadet compose un texte sur cet air, La Marseillaise sera alors considérée comme timbre et la chanson sera probablement transmise uniquement par son texte, enrichi de la mention « sur l’air de La Marseillaise ».
Une chanson sur timbre est donc une chanson écrite « sur l’air de… ». Autrement dit, on peut convenir que ce répertoire s’appuie sur l’utilisation d’une musique préexistante au texte. La pratique est très ancienne, très courante et toujours d’actualité. D’une certaine manière, elle constitue même l’un des fondements de la chanson de tradition orale qui joue souvent sur l’interchangeabilité des textes et musiques.
Vive le son du canon !
La Carmagnole est ce que l’on pourrait considérer comme l’un des deux ou trois grands tubes de la Révolution. Sans doute figurerait-elle sur la deuxième marche de l’hypothétique podium des succès de l’époque, la première étant, cela va presque sans dire, occupée par Le chant de guerre pour l’armée du Rhin, devenue l’hymne national que vous savez sous le titre de La Marseillaise. Un titre qui sonne plus « terroir national », il faut bien le reconnaître.
Depuis sa parution et jusqu’à nos jours, La Carmagnole en tant que chanson, s’est figée dans les esprits car entonnée, quoi que de façon fragmentaire, dans de très nombreuses fictions ou reconstitutions historiques, que ce soit au cinéma, à la télévision ou même dans la littérature. Mais elle a aussi connu une seconde vie, une vie parallèle en quelque sorte, dans la survivance de sa musique. Elle est donc aussi devenue un timbre et ce timbre est encore utilisé de nos jours, notamment dans les cortèges de manifestants particulièrement remontés contre des dispositions étatiques dont ils ne demandent qu’à se passer. On notera au passage que pendant plus de deux siècles, La Carmagnole est restée fidèle à sa propre tradition en demeurant un chant si ce n’est révolutionnaire, du moins revendicatif. On peut préciser que La Carmagnole était au moment des faits relatés ici au sommet de sa gloire (parue l’année précédente).
Hugo Aribart
Dastum 44
2023
1. Voilà l’aristocrate à bout - Bis
Et tous les brigands du Poitou - Bis
Leur armée est perdue
Les voilà confondus
REFRAIN 1
Vive la Carmagnole
Vive le son, vive le son
Dansons la Carmagnole
Vive le son du canon
2. Jusque z’à Nantes ils sont venus - Bis
Disant c’est l’armée de Jésus - Bis
Mais nos braves Nantais
Les chatouillent de près
3. De si loin qu’on les aperçut - Bis
On leur présente le salut - Bis
A grands coups de canons
Fusils et mousquetons
REFRAIN 2
Il fallait voir ces drôles
Tomber au son, tomber au son
Il fallait voir ces drôles
Tomber au son du canon.
4. Il fallait voir ces Poitevins - Bis
Se sauver le long des chemins - Bis
Ils quittent leurs sabots
Se sauvent au galop
REFRAIN 3
Craignant la Carmagnole
Même le son, même le son
Craignant la Carmagnole
Même le son du canon
5. Quand il passait quelque boulet - Bis
Vite, ils prenaient un chapelet - Bis
Mais nos coups de fusil
Les mènent au paradis
REFRAIN 4
Dansons la Carmagnole
Toujours au son, toujours au son
Dansons la Carmagnole
Toujours au son du canon.
6. Charette n’en savait pas long - Bis
Ni son camarade Piron - Bis
Ils étaient désolés
Se voyant culbutés.
REFRAIN 5
La jolie Carmagnole
Que vous avez, que vous avez
La jolie Carmagnole
Que l’on vous a fait danser
7. Le feu dix-huit heures a duré - Bis
Plus de dix mille ont été tués - Bis
Ces cruels brigands
Disent en trépassant
REFRAIN 6
La f… Carmagnole
Que nous dansons, que nous dansons
La f… Carmagnole
F… du son du canon.
En savoir plus
Bibliographie
Collectif, « Chansons-Révolutions ou l’esprit de 1789 », Signes, n° 10, Éditions du Petit Véhicule, Espace culturel Capellia, Bouguenais, 1989, p. 23
Enregistrement
Jean-Louis Auneau, Jean-Noël Griffisch, Alain Monneron et Nicolas Pinel, à Nantes, le 11 mars 2023
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Rédaction d'article :
Hugo Aribart
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