Gibets et fourches patibulaires à Nantes
Tout comme Paris avait son lieu de haute justice avec ses fourches patibulaires sur les hauteurs de Montfaucon, la ville de Nantes s’est munie également de gibets dont il ne reste plus rien aujourd’hui. À deux ou quatre piliers, ces gibets seigneuriaux, dépendant de l’évêché ou des clercs réguliers du chapitre ont été dressés à différents lieux de la ville.
L’exécution de Gilles de Rais
La plus ancienne mention d’un gibet dressé à l’occasion d’une exécution capitale remonte au 26 octobre 1440, date à laquelle fut pendu pour rapt et assassinats d’enfants, Gilles de Rais, baron de Retz, sur la Prairie-de-la-Madeleine, à l’emplacement qui correspond aujourd’hui à l’actuelle place Alexis-Ricordeau. Le corps du seigneur et la potence furent brûlés lors d’un bûcher à la fin de l’exécution.
Illustration de l’exécution de Gilles de Rais
Date du document : vers 1530
La carrée de Biesse
La carrée (ou quarrée) de Biesse (ou Bièce), érigée au 15e siècle sur la Prairie-au-Duc par Pierre Landais, trésorier et conseiller du duc de Bretagne François II, était composée de quatre piliers. Le corps de Pierre Landais y sera d’ailleurs exposé après son exécution le 19 juillet 1485. Différentes versions concernent le lieu d’exécution du trésorier du duc, au Bouffay pour certains, à Biesse pour d’autres. Il est plus que probable que le lieu de l’exécution soit la place du Bouffay et que la carrée de Biesse soit seulement le lieu où le corps ait été exposé, loin des habitations ; les fourches patibulaires n’étant généralement pas le lieu du supplice.
Il en existe une représentation sur le Plan Delafond de 1723 et apparaît également sur le Plan Le Rouge (1766).
Carrée de Biesse sur la Prairie-au-Duc représentée sur le plan Delafond
Date du document : 1723
Le nom de « carrée » se rapporte bien entendu à la forme quadrilatère de l’édifice à quatre piliers. Les seigneurs de Monti, comtes de Rezé possédaient également leurs fourches patibulaires dont le souvenir persiste par le nom du lieu-dit qui portera le nom de « la Carrée » ; un autre gibet se trouvait dans le faubourg de Pont-Rousseau « proche l’églize de Saint Eutrope ». Près de Nantes, la seigneurie du Bois-de-la-Musse en Chantenay possédait également un gibet à quatre piliers.
Une gravure de Nantes datant du début du 17e siècle représente un gibet triangulaire, à trois poteaux à l’emplacement de la Prairie-de-la-Madeleine. Comme l’indique les notes de Léon Maître et de Paul de Berthou pour « l’Itinéraire de Bretagne de Dubuisson-Aubenay », ce panorama étant fort suspect d’inexactitude, il est possible que ce dessin représente la carrée de Biesse sur la Prairie-au-Duc (avec une erreur sur le nombre de piliers) tout comme l’emplacement de l’exécution de Gilles de Rais sur la Prairie-de-la-Madeleine.
Gibet triangulaire de la Prairie-de-la-Madeleine
Date du document : 17e siècle
Le gibet du chapitre
Érigé sur le territoire de la paroisse Saint-Clément, près du Moulin du Chapitre (ce moulin se situait autrefois vers l’angle des actuelles rues Guillaume Grou et Gaston Turpin), ce gibet composé de deux poteaux dépendait du Chapitre de la Cathédrale qui avait également droit de haute-justice. Sa présence est mentionnée dans les témoignages concernant le siège de Nantes de 1487 lorsque les troupes françaises occupaient les faubourg Saint-Clément et Richebourg.
Il est intéressant de souligner qu’à quelques mètres du Moulin du Chapitre se trouvait la tenue des Trois-pendus (ou des Trois-Crucifix) qui donna son nom au chemin du même nom jusqu’au 19e siècle (le haut de l’actuelle rue Frédéric Cailliaud).
Évoqué en 1521 lors de l’enquête ordonné par la chancellerie de Bretagne qui précise les limites de la juridiction du chapitre, les fourches patibulaires déménagent quelques années plus tard sur la Motte Saint-André, au milieu de l’actuel cours du même nom.
Le gibet de l’Évêque
Le gibet de la Haie l’Évêque (le nom déformé de ce lieu donne aujourd’hui Halvêque) se situait près des taillis de Saint-Georges, sur les bords de l’ancien chemin de Nantes à Paris. Les condamnés étaient conduits « jusqu’à la Haie l’Évêque située dans le dit Saint Donatien pour y être suppliciés estant le dit lieu anciennement destiné pour cela ». Ce gibet était composé de deux poteaux jusqu’en 1509, puis porté à quatre par la duchesse de Bretagne et reine de France Anne (1477-1514) qui accorda à la juridiction de l’Évêque le droit de modifier ses fourches patibulaires.
Détail d’un plan des environs de Saint-Georges
Date du document : 18e siècle
La place du Bouffay
Célèbre lieu d’exécutions capitales à Nantes, la place du Bouffay semble se munir d’un gibet dans le courant du 16e siècle lors de la création du présidial, tribunal de l’ancien régime, en 1552. Le déplacement de la potence est projetée pour s’installer place Sainte-Catherine (emplacement de l’actuelle rue éponyme) mais ce projet ne vit jamais le jour. Cependant, c’est près de la chapelle Sainte-Catherine que les suppliciés étaient inhumés, et ce jusqu’à la Révolution française.
Dans son article sur les « Tortures, gibets et piloris à Nantes du 15e siècle à la Révolution », l’auteur Marcel Chauvin indique que « Jusqu’en 1764, l’échafaud restait dressé en permanence sur la place du Bouffay, à partir de cette époque, l’exécuteur des hautes œuvres devait procéder à son démontage après chaque exécution. »
Sentence condamnant à mort Jean-Baptiste Lefeuvre jugé coupable de vol avec effraction
Date du document : mars 1769
Le gibet de la Trémissinière
Aujourd’hui disparu, il en restait quelques vestiges lorsque le vicomte Sioc’han de Kersabiec rédige un article pour la Société Archéologique de Loire-Inférieure en 1869. Ce gibet dépendait de la juridiction du Port-Durand qui avait « droict de haulte, moyenne et basse justice […] foursches patibulaires » comme l’indique l’aveu rendu par Salomon de la Tullaye en 1679.
Autrefois au nombre de trois, il ne reste plus que deux piliers à cette date. Sans doute disposés en ligne droite, parallèle à la rive de l’Erdre, les piliers atteignait 7 à 8 mètres de hauteur.
Si un lieu de justice a marqué les mémoires des nantais il s’agit bien de la place du Bouffay qui jusqu’à la Révolution française fut le théâtre de nombreuses exécutions. L’ombre des terrifiants gibets ne flotte plus sur les prairies nantaises, mais une mystérieuse toponymie d’un lieu du quartier Chantenay semble évoquer le souvenir de la corde par son macabre nom de « chemin des Chats- Pendus »…
Kevin Morice
Archives de Nantes
2024
Album « La carrée de Biesse en carte »
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Bibliographie
Berthou Paul, Maître Léon, Itinéraire de Bretagne de Dubuisson-Aubenay, en 1636, Société des bibliophiles bretons et de l’histoire de Bretagne, 1898-1902
Chauvin Marcel, « Tortures, Gibets et Piloris à Nantes du XVe siècle à la Révolution », Bulletin de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de la Loire-Inférieure, n°73, 1933
Kervarec Michel, Terroir et Moyen Age au Pays Nantais, Éditions du Petit Véhicule, 1999
Vicomte Sioc’han de Kersabiec, « Le Gibet de la Trémissinière », Bulletin de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de la Loire-Inférieure, 1869
Webographie
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Kevin Morice
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