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Conserverie Tante Coline


Les conserveries nantaises ne sont pas toutes nées à Nantes, ni y ont terminées leur carrière. L’exemple de la conserverie Esnault-Robin devenue Tante Coline est particulièrement intéressant pour illustrer les ruptures dans la vie d’une entreprise.

Le créateur

L’histoire commence avec Alexandre Esnault. Il naît à Rougé (44) le 8 août 1879 où ses parents sont cultivateurs. En 1901, lors de son départ sous les drapeaux, il y est toujours domicilié et recensé comme domestique. Libéré fin 1903, il rejoint son frère cadet, Julien, charcutier à Nantes, 12 rue Fourré.  Il y reste jusqu’à son mariage. Il épouse le 28 avril 1906 à La Chapelle-Launay, Marie Louise Joséphine Robin, née le 26 octobre 1880. Le couple s’installe comme charcutiers dans cette commune. Ensemble, ils ont deux enfants : une fille, Marie, née en 1908 et un garçon, Alexandre, né en 1912.

Charcutier puis salaisonnier et conserveur

La charcuterie se développe, en particulier grâce à la renommée de son pâté pur porc et de sa rillette. En 1910, la famille Esnault-Robin s’installe à Savenay. Alexandre obtient un avis positif du Conseil départemental d’hygiène pour y ouvrir une tuerie particulière en 1911.

Au déclenchement de la Première Guerre mondiale en août 1914, Alexandre est mobilisé mais est rapidement renvoyé à Nantes jusqu’en janvier 1915 pour travailler chez Saupiquet. Ce rapide passage lui permet de se familiariser avec la technique de la conserve qu’il développe après-guerre.

Il mène alors avec son épouse, Marie, deux activités en parallèle à Savenay : la charcuterie, rue des Halles, et la fabrique de conserves à La Moëre. La notoriété « Esnault-Robin » s’accroit. Ils déposent les marques « La Nantaise » et « Le Nantais » en 1925. C’est aussi en 1925 qu’Alexandre Esnault donne une structure juridique à l’activité. Les premiers encarts publicitaires « Esnault-Robin » apparaissent dans la presse régionale à partir de 1928, revendiquant plus de 20 ans de succès.

Encarts publicitaires publié dans le journal « La Dépêche de Brest » le 17 mars 1928

Encarts publicitaires publié dans le journal « La Dépêche de Brest » le 17 mars 1928

Date du document : 17/03/1928

Tentative de diversification

La salaison semble bien fonctionner. Pourquoi ne pas développer les légumes ? C’est ce qu’Alexandre et Marie font dans les années 1920 en revendiquant « les bons produits du sillon de Bretagne ». La rillette passe au pluriel et devient « rillettes d’Angers ».

Étiquette des petits-pois à l’étuvée Esnault-Robin

Étiquette des petits-pois à l’étuvée Esnault-Robin

Date du document : Années 1920-1930

Installation à Nantes

L’activité industrielle est transférée en octobre 1930 à Nantes au 63 route de Sainte-Luce. Le couple rachète une propriété de 3 000 mètres carrés, la Villa Fontaine, pour y poursuivre leur production de charcuterie et de conserves. Le bien comprend une demeure de 12 pièces et de nombreuses dépendances. Juridiquement, la société « Esnault Robin et Cie » devient une SARL le 1er juillet 1932. La société est présente à la Foire commerciale de Nantes en 1932 sous le nom de « Charcuterie Tante Françoise ».

Apparition de Tante Coline

Il faut attendre 1938 pour trouver la première apparition de « Tante Coline », avec une campagne d’encarts publicitaires dans la presse. Quel est l’origine de ce nom de marque ? Aucune « tante Coline » n’a été trouvée dans la généalogie « Esnault-Robin ». On peut supposer que l’installation de l’entreprise à Nantes – Doulon, quartier de la Colinière, a pu inspirer ce choix.

Premier encart publicitaire « Tante Coline » dans le Phare de la Loire du 18 mars 1938

Premier encart publicitaire « Tante Coline » dans le Phare de la Loire du 18 mars 1938

Date du document : 18/03/1938

L’entreprise est présente dans plusieurs foires commerciales et participe à des concours régionaux ou nationaux. La marque « Tante Coline », qui n’est déposée qu’en 1947, acquiert rapidement une forte notoriété au point d’effacer progressivement « Esnault-Robin ».

Une affaire de famille

Alexandre et Marie intègrent progressivement leurs enfants à l’affaire : leur fille d’abord, puis leur fils. En 1936, Alexandre est gérant, sa sœur Marie secrétaire, et son conjoint employé.

En 1939, une nouvelle cession accorde la majorité des parts aux enfants. Alexandre Esnault père s’investit alors dans des activités syndicales professionnelles. En 1947, il est président du syndicat des salaisonniers de l’ouest et membre de la commission départementale consultative de la viande. Il décède le 15 janvier 1953.

Le 12 juin qui suit, Jean Grandière, le gendre, prend la gérance. Il cède cette place le 1er janvier 1954 à Marie-Thérèse Desplanches, épouse d’Alexandre Esnault fils. L’affaire perd de l’argent et est à vendre.

L’activité passe sous le contrôle des Tertrais

Le 12 février 1954 est créée la SARL « Tante Coline ». La SARL Esnault, Robin et Cie apporte « le fonds de commerce et d’industrie de fabrique de conserves, viande et légumes exploité à Nantes, 63 Rte de Sainte Luce », et la famille Tertrais (Georges, Maurice et Jean), une somme de 12 millions de francs. Elle en prend le contrôle. Les locaux, habitations et usine restent la propriété de l’indivision Esnault-Robin. Alexandre Esnault fils signe avec la nouvelle SARL un contrat de représentation commerciale. Il est représentant « libre » sans aucun lien de subordination. Il se réserve le département de la Loire-Atlantique et le nord de la Vendée.

Jean Tertrais, en particulier, s’attache à l’entreprise par la mise en place d’une comptabilité plus rigoureuse, des suivis mensuels, une réorganisation de la gamme et des actions commerciales.

C’est à cette époque, fin 1955, que Tertrais développe des contacts avec Saupiquet. Le 28 décembre 1956, la SARL Tante Coline passe en SA et la société Saupiquet obtient un poste d’administrateur.

Publicités « Tante Coline »

Publicités « Tante Coline »

Date du document : 20e siècle

Dans le giron de Saupiquet

Fin 1959 est créée la Compagnie Saupiquet associant Griffon, Tertrais et Teysonneau aux Établissements Saupiquet. Nous sommes en pleine stratégie de regroupement, de recherche d’un nouvel équilibre viande, poisson, légumes, d’une réorganisation industrielle. Il n’est pas facile dans ce contexte de trouver une place pour Tante Coline. Son activité représente 3,8 % du chiffre d’affaires du nouvel ensemble et son image « artisanale » risque de souffrir de son appartenance à un grand groupe. De plus, la situation de son outil de production, route de Sainte-Luce, devient ingérable. Sans parler de l’évolution du commerce et de la demande de nouveaux produits pour lesquels des investissements seraient nécessaires. Une réflexion de fond est menée, avec une priorité : sortir de la route de Sainte-Luce.

Déménagement de la route de Sainte-Luce au boulevard Jules-Verne

Plusieurs pistes sont étudiées puis éliminées pour déménager l’usine Tante Coline : rachat des locaux à la famille Esnault, intégration sur le site Griffon de Cholet ou sur le site Tertrais de Vertou. Après de nombreuses hésitations, le choix se porte sur une solution minimaliste avec l’aménagement de 400 mètres carrés début 1963 dans une zone de stocks au siège de la Compagnie Saupiquet, située au 128 boulevard Jules-Verne. Cette solution « d’attente » permet de conserver le personnel et de réduire l’investissement. Mais à l’évidence, c’est du provisoire.

Tante Coline quitte Nantes

Le 1er octobre 1966, la Cie Saupiquet cède les actions de Tante Coline à des repreneurs angevins et tourangeaux. La production est transférée sur le site de Villedomer en Indre-et-Loire. Une activité de stockage et distribution subsiste puis quitte finalement le boulevard Jules-Verne en 1968.

Plaque de « Tante Coline »

Plaque de « Tante Coline »

Date du document : 20e siècle

La marque continue à vivre commercialement au moins jusqu’en 1994 et reste protégée par de nouveaux acquéreurs jusqu’en 2012.

Laurent Venaille
Association La conserve des Salorges à la Lune
2025

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