Ancienne manufacture de parapluies
Au 19e siècle en France, le parapluie connaît un véritable âge d’or. Il n’est plus un simple objet synonyme de richesse et son usage se démocratise, participant à son essor. Partout en France, on fabrique alors des millions de parapluies… et Nantes n’y échappe pas.
Le parapluie, une histoire méconnue
Plutôt que la pluie, les humains se sont d’abord protégés du soleil. Ainsi, l’ancêtre du parapluie est l’ombrelle, dont on trouve des traces dès l'Antiquité, notamment dans les sociétés grecques, romaines ou encore chinoises. Par la suite, au Moyen Âge et jusqu’au début du 18e siècle, on préfère utiliser un capuchon, une cape ou un chapeau afin de se protéger des aléas de la pluie. Cependant, cela n’empêche pas d’être trempés en cas de fortes averses.
Mais au début du 18e siècle, un certain Jean Marius, commerçant spécialiste des mécanismes métalliques, invente le premier parapluie pliant : le « parasol-parapluye brisé à porter dans sa poche ». En 1710, le roi Louis XIV accorde à Jean Marius un brevet de cinq ans et le mot entre dans le dictionnaire de l’Académie français en 1718. Aussitôt, le parapluie de Marius révolutionne le monde de par sa forme et la matière utilisée, complètement imperméable et permettant de rester au sec, y compris sous une pluie battante.
L’objet se diffuse rapidement au sein de la haute société française. En 1712, la princesse douairière de Condé, Anne de Bavière, le décrit : « On peut l’emporter partout, en cas où la pluie viendrait à vous surprendre en pleine promenade ». En 1759, un savant français, Navarre, fait évoluer le parapluie et imagine le parapluie-canne, la seconde servant alors d’étui au premier.
Signe extérieur de richesse qu’on admire, le parapluie devient un accessoire de mode à partir de la Révolution française. Puis, au 19e siècle, il devient l’apanage de la bourgeoisie. Le roi Louis-Philippe, surnommé le « Roi bourgeois », est d’ailleurs régulièrement caricaturé avec un parapluie sous le bras et contribue à le populariser.
Caricature de Louis-Philippe
Date du document : 1848
De l’Auvergne à Nantes
Forte de son industrie de dinanderie (fonte de cuivre, laiton, étain ou fer-blanc), la ville d’Aurillac dans le Cantal devient la capitale française du parapluie. En effet, le cuivre et le laiton sont deux métaux qui entrent dans la composition des mécanismes des parapluies. De nombreuses fabriques s’y installent donc.
La production de parapluie se réalise alors surtout pendant l’hiver. Les différentes parties d’un parapluie, fabriquées par des travailleurs et travailleuses à domiciles durement exploités, sont ensuite assemblées en atelier. Avec l’arrivée des beaux jours, les fabricants et colporteurs prennent la route afin d’écouler leurs marchandises aux quatre coins de la France.
Un marchand de parapluie
Date du document : 1899-1900
Mais certains font le choix de ne pas revenir et décident de s’installer ailleurs, y compris parfois à l’étranger. Des fabriques de parapluies sont alors créées à Périgueux, Nancy, La Rochelle, Bordeaux, Angers, Liège (Belgique), Utrecht (Pays-Bas)… Nantes ne va pas échapper à ce phénomène.
Les « Étrennes nantaises », petits almanachs qui chaque année, jusqu’à la Première Guerre mondiale, fournissent des listes abondantes de commerçants, artisans et industriels nantais, signalent l’existence de huit fabricants de parapluies à Nantes en 1841. Moins de quinze ans plus tard, les marchands-fabricants nantais de parapluies sont au nombre de 25.
Un magasin de parapluies, rue de la Bâclerie
Date du document : Vers 1900
Les parapluies de Nantes et le passage Pommeraye
En 1843, Louis Pommeraye ouvre son fameux passage entre la rue de la Fosse et la rue Santeuil. À cette époque, la création de passage représente un confort considérable pour les piétons, qui doivent affronter des rues souvent sans trottoir, et pour beaucoup couvertes de boue lors des intempéries. C’est donc presque avec une certaine logique qu’Antoine Lamet installe son magasin de parapluies dans le célèbre passage nantais. Plusieurs marchands-fabricants vont lui emboîter le pas. En 1849, Dominique Vaisset s’y établi à son tour, avant de laisser son magasin à Eugène Bernus, également marchand de parapluies.
En 1846, Pierre Sarret s’installe au 22 rue de la Fosse, à l’angle du passage Pommeraye. En 1861, toujours présent au niveau du passage Pommeraye, il présentent ses parapluies, avec son frère et homonyme Pierre Sarret, qui est à la tête d’une importante manufacture de parapluies à Angers, à la grande Exposition générale de Nantes. Aucun des deux frère n’obtient la grande médaille de l’Impératrice, mais le Nantais a le droit à une mention honorable et l’Angevin à une médaille d’argent, gage de la qualité des parapluies fabriqués à Nantes et Angers.
Ce n’est qu’en 1904 que les Sarret disparaissent de Nantes et sont remplacés au 22 rue de la Fosse par la maison « Delbos et Ferradou », dont la généalogie nous emmène une fois de plus dans le Cantal. En 1919, la maison Joseph Ferradou, « Manufacture de parapluies et ombrelles, commission, exportation » est établie au 3 rue du Puits d’Argent et au Passage Pommeraye dans la galerie Régnier.
Entête d’une facture de la maison Delbos et Ferradou
Date du document : 04/06/1921
La manufacture de parapluies de Nantes
Dans les années 1920, des machines perfectionnées remplacent la main d’œuvre ouvrière. Ces derniers n’ont plus qu’a surveiller la mécanique, et encore… Les fabriques de parapluies n’échappent pas à ce phénomène et elles se mécanisent également. Les machines étirent, découpent, façonnent, emboutissent, soudent l’acier, assemblent les carcasses métalliques. Les ouvriers n’ont plus qu’à fixer la poignée au manche et à garnir d’étoffe la monture.
En janvier 1923, Jean-Pierre Ferradou, gendre de Joseph Ferradou, adopte à son tour mécanisation. Il demande un permis de construire au 15 bis de la rue de Strasbourg afin d’y établir une manufacture de parapluies. L’architecte Guibert dessine les plans et l’entreprise Ducos effectue la construction de l’édifice. L’immeuble comprend alors trois niveaux et deux caves voûtées.
Plan de la façade principale et coupe transversale de la Manufacture de Parapluies
Date du document : 30/12/1922
L’établissement fabrique des parapluies, des ombrelles et des cannes et gros, tandis qu’Antoinette Guilmet, née Ferradou, vend les mêmes articles au détail dans le magasin du 22 rue de la Fosse. En 1924, Jean-Pierre Ferradou décède et son épouse, Yvonne, devient la propriétaire de la manufacture.
Il est cependant difficile de juger de l’importance qu’a eu cette manufacture nantaise de parapluies. Une enquête dans les registres de recensement de Nantes révèle qu’en 1921 une demi-douzaine de salariés travaille chez Ferradou : un coupeur, un ouvrier et une ouvrière, un carcassier, une employée, un employé de commerce. En 1926, il faut ajouter un gardien et son épouse, qui habitent sur place, au 15 bis de la rue de Strasbourg.
La fin de la manufactures
Après avoir vécu un âge d’or, le parapluie est peu à peu victime des fantaisies de la mode. Le directeur de la grande manufacture d’Angers signale, à la fin des années 1930, « une offensive générale des fabricants d’imperméables qui tournaient en ridicule le parapluie ». Les crises économiques et la baisse des ventes de parapluies ont finalement raison de la manufacture nantaise du 15 bis rue de Strasbourg. Peu avant la Seconde Guerre mondiale, le lieu abrite ainsi les Messageries Hachette et la nouvelle adresse de la manufacture de parapluies se trouve au 1 bis quai de Tourville. Une fiche d’enregistrement du Tribunal de Commerce précise : « cessation le 1er – 7 – 47 ». Les parapluies de Nantes tombent alors progressivement dans l’oubli.
Le bâtiment de l’ancienne manufacture de parapluies avant sa démolition en 2012
Date du document : 2012
Après avoir abrité les Messageries Hachette et avoir été bombardé pendant la Seconde Guerre mondiale, l’édifice est occupé par des services de formation de la Ville et de Nantes Métropole jusqu’en juin 2011. La Ville décide ensuite de le vendre pour 800 000 € au groupe Effiage, qui souhaite y construire un hôtel. Détruit en 2012, le site accueille désormais un hôtel quatre étoiles de l’enseigne Okko.
Elven Pogu
Direction du Patrimoine et de l’Archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2025
Parapluies et ombrelles à Nantes
En savoir plus
Bibliographie
Le Bail, Louis, « Quand les Auvergnats abritaient le monde sous leurs parapluies. Les manufactures angevines et nantaises » dans Revue du centre généalogique de l’ouest, n°139, 2009.
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Elven Pogu
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