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7 août 1851 : inauguration du chemin de fer à Nantes


Dans l’après-midi du dimanche 17 août 1851, trois trains entrent dans la gare provisoire édifiée sur la prairie de Mauves. La veille, un premier train transportant les invités à l’inauguration du chemin de fer à Nantes était arrivé vers 22h. La présence de ces quatre trains marque le début des célébrations solennelles et festives des 17 et 18 août 1851. Pour la municipalité nantaise et la chambre de commerce, l’événement présente un « immense intérêt pour le commerce et l’industrie ».

L’arrivée du train : l’aboutissement d’un long périple

La fête de l’inauguration est l’aboutissement d’un long cheminement marqué par des hésitations, des temporisations, des discussions prolongées au sein du conseil municipal nantais, inquiet de l’impact du chemin de fer sur l’activité portuaire et les industries qui lui sont liées.

Il faut remonter à l’ordonnance du 31 juillet 1832 qui autorise l’étude d’une ligne Paris-océan pour susciter l’intérêt de Nantes pour le chemin de fer. À cette date il faut encore 34 heures pour gagner Paris depuis la cité des ducs. En 1838, la Société du chemin de fer de Nantes à Orléans voit le jour. Une première étude prévoit la construction de la ligne sur la rive gauche de la Loire.

La même année est créée la compagnie du Paris-Orléans. Les deux villes sont reliées en 1843, un an après le vote de la loi du 11 juin 1842 qui établit le réseau des grandes lignes centrées sur la capitale. La ligne Paris-océan doit passer par Tours et Nantes. La loi confie la construction des infrastructures à l’État, aux départements et aux communes et l’exploitation aux compagnies privées. La compagnie des chemins de fer de Tours à Nantes, chargée des travaux, est constituée en décembre 1845. Le tronçon Tours-Saumur est achevé en décembre 1848 et celui qui relie Saumur à Angers, en août 1849. Deux ans plus tard, le train arrive à Nantes.

Un choix qui ne fait pas consensus

La question de l’emplacement de la gare fait l’objet de longs débats au conseil municipal au cours du mois d’octobre 1845. Trois emplacements sont en concurrence : la Prairie au Duc, l’Entrepôt et la prairie de Mauves. Après de longs débats, la prairie de Mauves retient les suffrages. Le conseil reconnaît cependant « qu’une distance assez considérable sépare le port du quai de Richebourg ». Pourquoi la municipalité s’est-elle opposée à la construction de la gare à proximité du port ? La crainte de la concurrence du chemin de fer et ses retombées négatives sur l’activité du port et des usines situées en amont est clairement formulée puis curieusement niée. On pense que les produits débarqués seraient acheminés hors de Nantes et de la région par la voie ferrée et transformés dans des fabriques éloignées, portant ainsi un rude coup à l’économie locale.

Mais on le voit, le choix du site ne convainc pas totalement. Très vite le doute fait son chemin dans l’esprit du maire de l’époque Ferdinand Favre et des conseillers municipaux. Ils se rallient, sans enthousiasme, à la proposition de la chambre de commerce. Émerge alors l’idée d’aménager « une ligne de rails à chevaux sur les quais » pour résoudre le problème de l’éloignement de la gare du port. La solution est étudiée puis ajournée parce qu’elle nécessitait de très importants travaux dont le nivellement général et complet des quais. Dès 1845, on savait donc que la décision d’édifier la gare sur la prairie de Mauves était une erreur. Les événements plus récents le confirment puisque la ligne de chemin de fer est prolongée sur les quais du port dès 1854.

Des prévisions festives ambitieuses

La municipalité doit être à la hauteur de l’événement. La présence de Louis-Napoléon Bonaparte, premier président de la IIe République, d’au moins neuf ministres, de députés et de hauts fonctionnaires donnerait tout son éclat et son retentissement à la fête d’inauguration du chemin de fer à Nantes prévue les 17 et 18 août 1851.

Le 12 juillet, la municipalité vote un budget de 35 000 francs pour couvrir les dépenses des festivités. Le maire, Evariste Colombel, et deux adjoints se rendent à Paris pour inviter en personne Louis-Napoléon Bonaparte. Seuls les ministres des travaux publics et de la marine honorent de leur présence les festivités.

Le samedi 16 août, une foule de curieux se déverse dans les rues de Nantes. On ne trouve plus de logements disponibles, d’autant que la municipalité a fait retenir 200 chambres pour les mettre à la disposition des invités les plus éminents.
 

Programme des festivités pour l’inauguration du chemin de fer Paris-Nantes

Programme des festivités pour l’inauguration du chemin de fer Paris-Nantes

Date du document : 06/08/1851

Placardée dans la ville, cette affiche présente le riche programme de ces deux journées : cérémonie officielle, bénédiction des locomotives, banquet mais aussi courses de chevaux, ascension aérostatique, régates et fête de nuit sur le cours Napoléon (actuel cours Cambronne) rythment cette inauguration.

Les principales manifestations ainsi que les trains ne sont accessibles que sur invitation de la municipalité ou de la compagnie de chemin de fer. Ainsi, pour la bénédiction des trains prévue dans l’après-midi du 17 août, seules les personnes munies d’invitations peuvent accéder aux quatre tribunes pouvant accueillir 4 000 personnes qui encadrent la voie ferrée. La gravure illustrant l’affiche reproduit le dessin d’Olivier Merson : elle présente le site de la gare tel qu’il a été décoré pour l’occasion par l’architecte parisien Godillot. Pour accéder à ses tribunes, les invités doivent passer devant quatre statues monumentales représentant les Sciences, l’Industrie, le Commerce et les Arts. Ces œuvres du sculpteur nantais Guillaume Grootaërs font face au somptueux oratoire réservé à l’évêque de Nantes.

Billet de dame et billet d’homme pour l’inauguration de la gare de Nantes

Billet de dame et billet d’homme pour l’inauguration de la gare de Nantes

Date du document : 17/08/1851

Une majestueuse procession et une imposante bénédiction épiscopale 

La république conservatrice bonapartiste et monarchiste du parti de l’Ordre, en votant la loi Falloux, a renforcé l’influence de l’Église dans l’éducation. Elle réserve à Nantes une place éminente au clergé chargé de bénir les trains ce 17 août 1851. À 16h, le clergé nantais au complet entre dans la cathédrale, précédé par les croix et les bannières. À genoux, Monseigneur Jacquemet, évêque de Nantes, entonne le « Veni Creator ». L’imposant cortège se met ensuite en marche vers la gare provisoire au son de la musique militaire et des chants religieux. La gendarmerie à pied et un piquet de cavalerie terminent la procession.

Une fois arrivée sur la prairie de Mauves, le silence est ordonné dans l’attente des trains qui arrivent peu après 17h. Le ministre des Travaux publics, celui de la Marine et leur suite descendent des wagons, salués par une salve de 21 coups de canon. La cérémonie religieuse peut alors commencer dans l’enceinte de la gare provisoire. Le chœur de la cathédrale entonne un psaume, puis monseigneur Jaquemet prononce une allocution qu’il fait suivre d’une prière chantée. Enfin, il descend de son oratoire et, précédé de l’exorciste, il bénit les trains et les rails. Un « Te Deum » conclut la cérémonie. La procession peut alors rejoindre la cathédrale où l’évêque donne la bénédiction pontificale. Selon un article du journal L’Illustration, 100 000 personnes auraient assisté à ces cérémonies sur la prairie de Mauves !

À l’issue de l’inauguration, les ministres et les principales personnalités, escortés par la garde nationale, se rendent à la préfecture pour l’accueil officiel. La journée s’achève par un banquet réunissant 680 convives à la Bourse. La maison Roquet et Polenne est chargée du service prévu pour 20h. Les traiteurs sont aussi sollicités pour le banquet du 18 août, servi dans la grande salle de la mairie. Pour ces deux repas, la municipalité doit s’acquitter d’une somme de 9 960 francs.

Billet d’invitation pour la fête de nuit donnée à l'occasion de l'inauguration du chemin de fer, cours Napoléon

Billet d’invitation pour la fête de nuit donnée à l'occasion de l'inauguration du chemin de fer, cours Napoléon

Date du document : 18-08-1851

Un enjeu économique d’importance

Les attractions et les festivités se succèdent ce lundi 18 août. Des joutes se disputent sur le canal qui jouxte la gare provisoire. Un steeple-chase et une course à pied ont lieu à proximité sur la prairie. Les vainqueurs sont récompensés de bouquets de fleurs et escortés triomphalement jusqu’à la mairie où le prix de leur victoire leur est solennellement remis. Plus loin, à la Sècherie, du côté du Bas-Chantenay, on peut assister à des régates. Dans la soirée, un ballon s’élève au-dessus de la gare et une parachutiste s’en détache pour sauter dans le vide. Enfin, un feu d’artifice illumine le ciel au-dessus des locomotives et de la gare. Au même moment les nombreux invités se pressent sur le cours Napoléon, illuminé par des lampes à arc électrique, une innovation extraordinaire en cette nuit d’été 1851.

Gravure de la fête de nuit donnée à l'occasion de l'inauguration du chemin de fer, cours Napoléon

Gravure de la fête de nuit donnée à l'occasion de l'inauguration du chemin de fer, cours Napoléon

Date du document : 18-08-1851

Ces festivités cherchent en réalité à mettre en avant le rôle économique de premier plan qu’ambitionne la cité des ducs. C’est bien une fête commerciale et industrielle qui se déroule les 17 et 18 août 1851. En témoigne la descente en bateau de la Basse-Loire organisée le lundi matin pour les représentants de l’État, avec des escales prévues à Indret, Paimboeuf et Saint-Nazaire. Les officiels sont également invités à visiter le bassin en eau profonde de Saint-Nazaire, en cours d’aménagement. Alors que l’ensablement et l’envasement de la Loire porte préjudice au trafic portuaire de Nantes, ce nouvel équipement doit permettre aux navires de faible tonnage d’accéder au port. Ainsi, Nantes garde encore l’espoir d’accroître son activité portuaire malgré la concurrence du Havre, de Bordeaux et de Marseille. Dans l’esprit de la municipalité et de la chambre de commerce, l’arrivée du train ne doit pas faire oublier la vocation portuaire de Nantes, alors que la navigation rendue difficile sur la Loire menace la prospérité de la ville.

La mise en service de la ligne

Le 21 août 1851, l’exploitation de la ligne Paris-Nantes commence. Au même moment, la municipalité regrette le choix de l’implantation de la gare à l’est de la ville. Néanmoins, les travaux reprennent. La nouvelle gare destinée à sortir du provisoire est édifiée et inaugurée le 1er novembre 1853. Elle porte le nom de « Nantes-Prairie de Mauves ». En 1887, elle est rebaptisée « Gare d’Orléans » suite à l’absorption de la compagnie des chemins de fer de Tours à Nantes par celle du Paris-Orléans.

Peu de temps après les fêtes d’inauguration, la voie ferrée est prolongée via les quais du port jusqu’à Chantenay. Le tronçon de près de 5 kilomètres, inauguré le 1er janvier 1854, coupe la ville en deux et nécessite la mise en place de nombreux passages à niveaux rendant ainsi la circulation difficile. Les trains doivent traverser la ville à vitesse réduite. Quelques années plus tard, en août 1857, la ligne atteint Saint-Nazaire et son bassin à flot, achevé quelques mois plus tôt.

Yves Jaouen, Delphine Gillardin (Archives de Nantes)
2025



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En savoir plus

Ressources Archives de Nantes

I1C32D1A-G : Dossiers sur l’inauguration du chemin de fer à Nantes.

1 D 44 : Délibérations du conseil municipal en 1845.

1 D 45 : Délibérations du conseil municipal en 1851.

Bibliographie

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Rédaction d'article :

Yves Jaouen, Delphine Gillardin

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