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25 décembre 1940 : première liaison radiotélégraphique clandestine de la France vers Londres


Le 25 décembre 1940, la première liaison radiotélégraphique clandestine, en morse, est établie de la France occupée vers Londres. Elle est mise en place depuis le quartier de Chantenay, à Nantes.

1940, la résistance est embryonnaire. Des individus ou des groupes tentent d’établir des liaisons avec Londres. Par bateau ? Les liaisons avec l’Angleterre étaient rares et périlleuses. Il fallait pourtant transmettre quantités d’informations et dans des délais très courts. Il n’existait pas de smartphone. La solution fut le poste émetteur-récepteur.

La constitution du réseau de résistance Nemrod

En août 1940, le lieutenant de vaisseau Louis-Henri Honoré, comte d’Estienne d’Orves, qui est alors au mouillage à Alexandrie à bord du croiseur français Duquesne, désobéit aux ordes pour rejoindre l’Angleterre suite à la signature de l’armistice avec l’Allemagne. Il y parvient à la fin du mois de septembre. Affecté au deuxième Bureau des Forces navales françaises libres (FNFL), sa première mission est de constituer un réseau de renseignement en France occupée. Ce sera le réseau Nemrod, l’un des tous premiers de la Résistance.

Jan Doornick (1905-1941), est un commerçant hollandais bloqué en France par l’avancée allemande. Il gagne Londres et est chargé par le Service de renseignement (SR) de la France Libre d’une mission de reconnaissance des installations de la Kriegsmarine (marine de guerre allemande) sur la côte française. Il débarque à Plogoff, dans le Finistère, à la fin de septembre 1940 et rejoint Nantes le 10 octobre. Fin octobre, il accueille le lieutenant Maurice Barlier, envoyé d’Angleterre pour le seconder. Ce prisonnier de guerre avait réussi à s’évader et à rejoindre l’Angleterre. Les deux hommes participent à la mise en place du réseau Nemrod en France occupée. En tant que représentant de commerce pour les conserveries Amieux, Barlier a des contacts nantais : Léon Setout et André Clément, directeur technique et directeur export chez Amieux, société créée à Nantes. À leur tour, ils prendront part aux activités du réseau Nemrod.

La mise en place de la liaison radiotélégraphique clandestine

Le 21 décembre 1940, Honoré d’Estienne d’Orves est envoyé en France, accompagné du quartier-maître radiotélégraphiste Georges Marty et François Follic, à bord du chalutier La Marie-Louise. Ils débarquent le 22 à Plogoff où une planque les attend, puis rejoignent Nantes le 24 décembre. Ils s’installent à Chantenay chez André et Paule Clément au 1, rue du Bois-Haligan, près de la place Jean Macé.

Le 25 décembre, le repas de Noël se déroule en présence de Jean Le Gigan, un voisin des Clément, qui occupe les fonctions de directeur des achats aux chantiers Dubigeon. Il doit diriger le groupe pour toute la Bretagne. D’Estienne d’Orves, Maurice Barlier et Georges Marty montent l’appareil radio qu’ils ont apporté d’Angleterre. À 13h30, ils établissent la première liaison radio entre la France occupée et Londres.

D’autres transmissions suivront au rythme de quatre à cinq par semaine. Les renseignements transmis à Londres comprennent le QG allemands dans les châteaux des environs de Nantes, les emplacements précis des dépôts de carburants, le terrain d’aviation de Château-Bougon, celui de Meucon, les positions des batteries côtières, les plans du réseau de distribution d’énergie électrique de la région Ouest, la liste des sous-marins relevée à l’arsenal de Lorient, la construction de la base sous-marine de Saint-Nazaire. Pour ne pas attirer l’attention, Léon Setout a trouvé pour Georges Marty un emploi de dessinateur auprès de l’architecte de la ville, André Chauvet.

La trahison de Georges Marty

D’Estienne d’Orves repart à Paris pour s’assurer des contacts pris à Paris et à Vichy par Jan Doornick, qu’il rencontre pour la première fois le 4 janvier 1941. D’Estienne d’Orves le félicite de l’action accomplie et lui propose de repartir pour Londres avec lui à la fin du mois. Mais de cette expédition qui doit comprendre près de 30 hommes, peu nombreux sont ceux qui échapperont aux arrestations. À Paris, D’Estienne d’Orves installe un nouveau secteur avec un poste émetteur à Saint-Cloud. Il noue des contacts avec le réseau de résistance du musée de l’Homme.

À son retour à Nantes, D’Estienne d’Orves est informé du comportement peu discret de Georges Marty. Ce dernier entretient des relations suspectes, bavarde imprudemment avec des soldats allemands et mène la grande vie dans les bars du port. Il est menacé de sanction et de renvoi à Londres, transféré dans d’autres hébergements de Nantes rue de l’Abbaye et rue de la Brianderie, mais le capitaine D’Estienne d’Orves lui laisse une deuxième chance. Marty continue à envoyer des messages. Mais en réalité, c’est est un traître, dont le vrai nom est Alfred Gaessler. Le 1er janvier 1941, il était allé se présenter 24, boulevard Guisth’au auprès des services de contre-espionnage allemands de l’Abwehr. Là, dans le bureau du capitaine Pussbach, il a rendu compte de tous les renseignements utiles au démantèlement du réseau Nemrod. Il est envoyé à Angers au siège régional de l’Abwehr et répète au colonel Dernbach ce qu’il a dit à Nantes : noms, adresses, planques, codes de la radio. Ce jeune alsacien de 20 ans, qui a grandi auprès d’un père pro-nazi, est en réalité un agent de l’Abwehr. Il sera exfiltré vers l’Autriche par les Allemands.

L’arrestation des membres du réseau Nemrod

Dans la nuit du 21 au 22 janvier, après avoir escaladé le mur du jardin, les policiers allemands surprennent dans leur sommeil André Clément, sa femme Paule et sa mère ainsi qu’Honoré d’Estienne d’Orves. Ils sont rapidement menottés ou ligotés. La scène est si violente que Mme Clément mère succombe à une crise cardiaque. Le voisin, Jean Le Gigan st déjà entre les mains de l’Abwehr ; Léon Setout et André Chauvet sont également arrêtés à leur domicile. Tous sont conduits boulevard Guisth’au pour y subir un interrogatoire.
Le réseau Nemrod est démantelé entre le 20 et le 24 janvier, à la veille de l’embarquement prévu pour l’Angleterre. Le 3 février, Jan Doornick revient à Nantes. Informé du désastre, il retourne immédiatement à Plogoff dans une ferme où il est à son tour surpris par un détachement de 100 hommes qui cernent l’endroit et le capturent.

Le jugement par la cour martiale

D’abord emprisonnés à Angers, au Pré-Pigeon, D’Estienne d’Orves et ses compagnons sont transférés à Berlin, à la prison du Praesidium et reviennent à Paris le 26 février. Ils sont d’abord incarcérés à la prison du Cherche-Midi dans l’attente de leur procès, puis à Fresnes après leur condamnation, et au Fort de Romainville avant leur exécution. Tous comparaissent devant la cour martiale du Gross Paris du 13 au 25 mai 1941. D’Estienne d’Orves couvre ses hommes et prend sur lui l’entière responsabilité de l’activité du réseau.

Le verdict tombe le 26 mai. Honoré d’Estienne d’Orves, Maurice Barlier, Jan Doornick, Jean Le Gigan, André et Paule Clément sont condamnés à mort. Jean-Jacques Le Prince (un nouveau radio), François Follic, le capitaine du chalutier La Marie-Louise bateau, et son second Pierre Cornel, également arrêtés grâce aux renseignements de Gaessler, sont aussi condamnés à la peine capitale. En plus de sa condamnation à mort, Doornick est condamné à trois ans de détention en forteresse, ce qui lui fera poser la question : « Monsieur le Président, devrais-je exécuter ma peine avant ou après ma mort ? » Léon Setout est condamné à quatre ans de travaux forcés, les époux Normant (qui fournissaient la planque à Plogoff), à six mois. Au final, seuls D’Estienne d’Orves, Barlier et Doornick sont exécutés. Les autres peines ont été commuées. Ainsi celle d’André Clément, commuée en 15 ans de réclusion, et qui a en fait été déporté.

Les exécutions au Mont Valérien

Curieusement, les condamnés ne sont pas immédiatement exécutés. Stülpnagel, alors commandant de l’administration militaire en France occupée, a-t-il voulu garder des otages pour une occasion spectaculaire ? A-t-il cherché à temporiser compte tenu de la forte émotion provoquée dans l’opinion publique par la condamnation d’un officier de marine ? La cour martiale, impressionnée par l’attitude des accusés, signe leur recours en grâce adressé à Hitler.

Le 21 août 1941, le résistant communiste Pierre George – futur colonel Fabien – secondé par Gilbert Brustlein, abat l’aspirant de la Kriegsmarine Alfonso Moser au métro Barbès à Paris. Cet acte donne le signal de la lutte armée contre l’Occupant allemand. Le lendemain, les Allemands promulguent une ordonnance transformant tous les prisonniers français en otages. Hitler a refusé la grâce qui concernait les membres du réseau Nemrod. Stülpnagel veut faire un exemple. Le 28 août 1941, D’Estienne d’Orves, Barlier et Doornick sont autorisés à passer leur dernière nuit dans la même cellule. Ils obtiennent également que leurs yeux ne soient pas bandés au moment du supplice. Ils sont fusillés au Mont Valérien le lendemain, 29 août 1941, à l’aube, la veille de l’exécution de Marin Poirier au champ de tir du Bêle à Nantes. Le 30 août, un avis signé par le commandant militaire allemand en France paraît en Une des journaux collaborationnistes Le Petit Parisien et Le Matin.

Elle est placardée sur les murs, révélant au grand public la mort des trois membres du réseau Nemrod. Leur mort courageuse frappe les consciences et beaucoup de jeunes vont s’engager dans la Résistance pour se montrer dignes de leur exemple. En 1942, le premier groupe de Francs-tireurs et partisans français, FTPF 1, prend le nom d’Honoré d’Estienne d’Orves. Créés par le Parti communiste français, les FTPF regroupent les organisations armées communistes qui prennent part aux actions de guérillas urbaines et de sabotages. L’Humanité clandestine cite fréquemment son nom. Louis Aragon lui dédie, ainsi qu’à Guy Môquet, Gabriel Péri et Gilbert Dru, son célèbre poème La Rose et le réséda, publié en 1943.

Loïc Le Gac
Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant de Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure
2020 (mis à jour en 2023 par Noémie Boulay)

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En savoir plus

Webographie

« Allo Londres, ici Nantes »  : article publié sur le site du Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant de Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

Biographie d’Honoré d’Estienne d’Orves, sur le site de l’Ordre de la Libération

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2e GM Militant Résistant

Contributeurs

Rédaction d'article :

Loïc Le Gac, Noémie Boulay

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