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Boulevard des Américains et square Washington Grues

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Tenue des Trois-Pendus


La tenue des Trois-Pendus (ou des Trois-Crucifix) correspond à l’emplacement de l’actuel 63 rue Gaston Turpin. Le lieu s’est vu attribué une destination de secours social depuis la fin du 18e siècle, jusqu’à devenir une maison de retraite aujourd’hui.

Une mystérieuse toponymie

Ce macabre nom de Trois-Pendus n’est pas sans évoquer les suppliciés par la corde. Notons que la présence du gibet du Chapitre est mentionné en 1487 à quelques dizaines de mètres de la tenue. À proximité, la présence d’un calvaire à trois croix peut expliquer l’autre appellation, «Trois-Crucifix», qui évoque Jésus-Christ et les deux larrons «pendus» à leurs croix. Ce nom a d’ailleurs nourri une légende urbaine qui prétend que la dénomination de Trois-Pendus viendrait d’une erreur judiciaire qui se serait déroulé en 1595, pendant les guerres de religion. Cette rumeur provient d’une pierre gravée d’inscriptions latines, retrouvée dans le mur d’une maison démolie lors de l’agrandissement du Jardin des Plantes dans les années 1850. Cette habitation, nommée Beauvoir-sur-Loire (située à l’emplacement de l’actuel passage piéton traversant la rue Frédéric Cailliaud, près de l’entrée du Jardin des Plantes), appartenait à la fin du 16e siècle à l’échevin Ymbert d’Orléans, dont la devise était « Intellige Prisquam Discutias » (réfléchir avant d’agir). Cette explication est une interprétation qui ne se base sur aucun fait réel. Par ailleurs, l’appellation des « Trois-Pendus » fut également donnée à une voie qui empruntait le tracé actuel de la partie haute de la rue Frédéric Cailliaud et de la rue Guillaume Grou.

Illustration des trois pendus par François Villon dans son ouvrage « Le Testament »

Illustration des trois pendus par François Villon dans son ouvrage « Le Testament »

Date du document : 1489

Le bénéfice des Trois-pendus

Un bénéfice ecclésiastique est un ensemble de biens destinés à financer un office. Celui des Trois-Pendus semble être un bénéfice séculier dépendant d’une chapellenie (la charge du prêtre qui dessert une chapelle), «fondée en l’église de Saint-Pierre de Nantes» et dont on trouve la mention dès 1412 : la chapellenie des pendus. Au 15e siècle, une chapelle des Trois-Pendus, « suspensorum capella », est construite à l’Angle-Chaillou, à environ 8 kilomètres au nord de la tenue des Trois-Pendus et de l’autre côté de l’Erdre. Cette chapelle dépend alors de l’abbaye de Blanche-Couronne et du prieuré de l’Angle-Chaillou (ou Lanchaillou). Il est possible que le bénéfice de la tenue qui nous intéresse tienne son nom de cette chapelle, pourtant lointaine du terrain en question. En 1683, tandis que la chapellenie est présentée comme étant « desservie en notre église de Nantes en l’autel de Saint-Charles Borromée », la tenue est décrite comme étant bornée par la propriété de la Mocarderie à l’ouest et par les vignes de la tenue des Belles-Rivières à l’est. Une maison, sur la tenue des Trois-Pendus, est décrite comme étant composée de « chambre basse et haute avec cour et jardin ». Un acte de l’année de 1701 décrit le bâtiment comme étant couvert de tuiles et accompagnée d’une laiterie.

Plan centré autour de la tenue des Trois-Pendus

Plan centré autour de la tenue des Trois-Pendus

Date du document : 1723

Les Enfants-Trouvés

L’armateur Guillaume Grou décède en novembre 1774. Guillaume Grou est l’un des principaux armateurs nantais du 18e siècle. Il participe activement au commerce des esclaves. Plus de 10 000 hommes, femmes et enfants sont déportés d’Afrique vers les colonies françaises des Amériques à bord de ses navires. Administrateur des Hospices de Nantes, il lègue une partie de sa fortune pour la construction d'un orphelinat. Son testament, lu lors d’une délibération du conseil municipal du 10 avril 1779, indique qu’il lègue la somme de 200 000 livres « en faveur de l’humanité », pour y établir en « un endroit convenable et en bon air dans un des faubourgs de cette ville une maison d’orphelins ». 

C’est l’enclos du bénéfice des Trois-Pendus qui est choisi pour y établir cette nouvelle institution. En 1779, le titulaire de ce bénéfice est un chanoine de la Cathédrale, le terrain est entretenu par un fermier. Il alors est décidé d’unir la tenue aux hôpitaux et d’en supprimer le bénéfice. Cette délibération nous apprend également que les charges du bénéfice était d’une messe par mois et décrit la tenue comme étant bornée de haies, et comportant un logement de fermier possédant four et écuries et un autre petit logement. 

Ainsi, le bâtiment de l’orphelinat des Enfants-Trouvés est dessiné par Mathurin Crucy, la première pierre est posée en 1780 et l’édifice est achevé en 1783. Les premiers enfants y sont accueillis à partir du 30 avril. 

L’année suivante, le 14 juin 1784, c’est près de 8 000 spectateurs qui viennent assister à l’ascension du ballon « Le Suffren » dont la base de départ est l’hospice des orphelins. La nacelle de l’aérostat est occupée par le père Joseph Mouchet et le chevalier Coustard de Massy qui atterrissent une heure plus tard à Gesté, près de Cholet.

Ascension du Suffren à Nantes

Ascension du Suffren à Nantes

Date du document : 1784

Les enfants confiés à l’orphelinat sont chargés de travailler selon une décision des administrateurs dès 1787 qui estiment qu’«  ils auront moins de répugnance à s’adonner aux occupations qui leur seront proposées à la sortie de cette maison ». Ainsi, une filature de rouets destinée aux enfants de 8 à 10 ans est installée dans l’une des salles du rez-de-chaussée. Lors de la période troublée de la Révolution française, les sœurs qui géraient l’établissement sont renvoyées et remplacées. L’institution accueille des enfants jusqu’en 1811, telle la poétesse Elisa Mercoeur confiée à l’hospice à l’âge de trois jours le 28 juin 1809. 

Un dépôt de mendicité

En 1828, la Société pour l’extinction de la mendicité de la ville de Nantes est fondée et installe la Maison de travail et de secours, dite de Saint-Joseph, dans les locaux de l’ancien orphelinat. Néanmoins, ces derniers sont dans un état d’importante dégradation. En effet, l’armée prussienne y installe une caserne lors de l’occupation de 1815. 

Dès 1829, la Maison de Saint-Joseph, est chargée de recueillir les mendiants nantais et décrite en 1862 par le ministre de l’intérieur Victor Fialin : « Cet établissement, fondé en vue de l’extinction de la mendicité est une sorte de refuge ouvert à la vieillesse et à l’infirmité. On y reçoit tout individu sans asile et sans pain qui n’a plus trouvé place ailleurs ; la ville y envoie de plus ses mendiants condamnés ou non, mais ce n’est pas à proprement parler un dépôt de mendicité [...] ».

A cette période, deux nouveaux réfectoires sont construits ainsi qu’une chapelle grâce à un don de Jean Charles Marie Lorette de la Refoulais d’un montant de 40 000 francs.

Tandis que les travaux effectués par les résidents consistent à filer du chanvre ou de la laine dans les années 1830, l’activité change en 1847 et consiste dès lors à la fabrication d’allumettes, à la confection de matelas et de sacs en papier. Par la suite, la Maison de Saint-Joseph se voit accueillir dès 1874 une vingtaine de personnes aveugles dont certains s’adonnent à des travaux de couture. 

Lors de la Première Guerre mondiale, l’établissement est occupé par les militaires et les «infirmiers du XIe corps que la caserne Bedeau ne pouvait contenir seule».

La Maison de travail et de secours de Saint-Joseph

La Maison de travail et de secours de Saint-Joseph

Date du document : Vers 1850

Maison de retraite Saint-Joseph

L’établissement continue d’héberger des structures investies dans le champs de l’action sociale tout au long du 20e siècle, dans une atmosphère champêtre et au milieu des vaches, qui donnent un « lait savoureux et pur […] hautement apprécié » par les résidentes âgées. L’édifice est victime des bombardements de septembre 1943. Plusieurs résidents et une religieuse périssent lors du raid américain et les bâtiments sont sévèrement touchés, nécessitant « d’importantes reconstructions pour les rendre habitables », achevées en 1952. En 1959, il est mentionné la présence de veaux, porcs et lapins dans les jardins, qui sont « exploités par les vieillards valides sous la direction d’un chef-jardinier ».

Photographie aérienne de la Maison de travail et de secours de Saint-Joseph

Photographie aérienne de la Maison de travail et de secours de Saint-Joseph

Date du document : 1965

En juillet 1974, la Maison de travail et de secours de Saint-Joseph devient officiellement une maison de retraite. Les dépendances aux allures de ferme et la présence d’animaux tels que des poules, canards, chèvres et poneys font toujours écho à l’ancienne activité rurale de l’établissement, et l’aspect bucolique des pelouses à l’ombre d’un petit bois font oublier ce sinistre nom de Trois-Pendus.

Kevin Morice
Archives de Nantes
2024

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En savoir plus

Webographie

« Guillaume Grou, négociant armateur nantais » par Bernard Michon et Les Anneaux de la Mémoire : Partie 1 et Partie 2

Ressources Archives départementales de Loire-Atlantique

G20

E 501

Ressources Archives de Nantes

BGbr1320

BB106

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Gibets et fourches patibulaires

1784 : le ballon Suffren s’envole dans le ciel de Nantes

Elisa Mercoeur

Tags

Coulmiers - Jardin des Plantes Architecture hospitalière d'assistance ou de protection sociale

Contributeurs

Rédaction d'article :

Kevin Morice

Enrichissement d'article :

Gaëlle Caudal

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