Casernes Richemont, Lamoricière et du Commandant-Rivière
Situées à l’est de Nantes, ces trois casernes s’implantent progressivement sur le terrain de la Petite Mitrie au 19e siècle. Leur installation bouleverse l’urbanisme et les usages d’un quartier rural.
Richemont : la difficile implantation d’une caserne de cavalerie
Au début du 19e siècle, Nantes n’est pas une ville de garnison. Pour autant, de nombreux soldats passent par la ville. Ils sont logés chez l’habitant et dans des casernes de passage avec leurs chevaux. La présence militaire, bien que coûteuse, présente des avantages : augmentation des recettes liées au commerce et à l’importation, possibilité de récupérer le fumier et de le distribuer aux maraîchers qui s’en servent comme engrais… Ainsi, tout au long du 19e siècle, la municipalité nantaise oscille entre son souhait de pérenniser la présence militaire dans la ville et sa nécessité de faire des économies, d’autant plus que les nombreux chantiers urbains de l’époque demandent d’importantes ressources.
En 1839, l’Administration de la Guerre annonce au préfet de Loire-Inférieure qu’il est prévu d’envoyer deux escadrons de cavalerie, composantes d’un régiment, à Nantes. La Ville doit faire construire une caserne pour les accueillir. Une commission, créée par le Ministère de la Guerre, préconise de l’installer sur le terrain de la Petite Mitrie. Ce terrain, vaste et non bâti, se situe en effet à l’écart du centre-ville sans en être trop éloigné. Le premier projet, évalué à 2 millions de francs, pour lequel la Ville doit en fournir 700 000, n’est néanmoins jamais réalisé.
En 1847, le projet de caserne de la Mitrie est réactivé. Il est alors prévu d’aménager une caserne de six hectares afin d’accueillir trois escadrons de cavalerie et l’état-major d’un régiment, soit 598 hommes et 433 chevaux. Cependant, il faut attendre quelques années supplémentaires pour voir le projet prendre forme. En 1856, le conseil municipal vote un emprunt de 300 000 francs pour la construction du quartier de cavalerie, qui est déclarée d’utilité publique. L’effectif est revu à la baisse : on parle de deux escadrons. La participation financière de la ville est également réduite. En effet, celle-ci a d’autres postes de dépenses : la construction de la gare en 1851 ou encore l’agrandissement du Jardin des Plantes en 1856. La présence de la gare à l’est de la ville confirme par ailleurs l’installation des casernes dans les quartiers voisins : cette proximité facilite le déploiement des troupes.
En 1857, les travaux commencent sur une partie du terrain de la Petite Mitrie. La caserne est alors habitée par le 25e régiment de dragons, lui-même remplacé par le 3e régiment de dragons en 1880. Le paysage de ce quartier autrefois rural et très végétalisé est bouleversé par l’installation d’une caserne de cavalerie. Les rues de Coulmiers, des Rochettes, d’Allonville ou encore de la Mitrie sont aménagées. La caserne, qui est tantôt appelée Colbert, tantôt « quartier de cavalerie », prend le nom de caserne Richemont ou Richemond en 1902, sans que l’origine du nom ne soit précisée dans les archives. Cette dernière est formée de cinq bâtiments de casernement, d’un à quatre étages, à l’architecture sobre. Ils entourent une vaste place d’armes rectangulaire et bordée de plantations. Divers bâtiments de moindre emprise complètent un ensemble typique de l’architecture de casernement de la fin du 19e siècle.
La Caserne Richemont
Date du document :
Lamoricière et le Commandant-Rivière
Dès 1874, la municipalité et le Ministère de la Guerre souhaitent agrandir le quartier Richemont afin de pouvoir y loger l’intégralité d’un régiment de cavalerie. Ils veulent également construire une nouvelle caserne afin d’accueillir un corps du Train des Équipages, chargé de la logistique et du transport. Nantes est une candidate idéale pour recevoir le Train : la caserne projetée sur le terrain de la Mitrie est à proximité de la gare, qui permet de desservir l’ouest de la France et les ports militaires qui s’y trouvent. Néanmoins, les dépenses demandées sont trop importantes pour la municipalité, dont certains membres affirment que la priorité de la Ville devrait être le commerce et l’industrie plutôt que l’Armée.
L’Administration de la Guerre pousse la Ville à se décider rapidement. En effet, d’autres villes telles que Bordeaux ont exprimé leur souhait de recevoir ces troupes. Face à une certaine concurrence, la municipalité nantaise se décide et vote en faveur du projet. Le 10 septembre 1874, il est confirmé par une « Convention entre le Département de la Guerre et la Ville de Nantes au sujet des subsides et avances de fonds offerts par la Ville pour l’agrandissement du quartier de cavalerie de la Mitrie et la construction d’un quartier du Train des Équipages ».
Agrandissement du quartier militaire de la Mitrie
Date du document : 02/09/1874
Les travaux sont entrepris dès 1875. Trois compagnies du 11e escadron du Train des Équipages militaires s’y installent peu de temps après, avec un parc de 600 voitures. En 1902, la caserne prend le nom de Lamoricière, en l’honneur du général nantais décédé en 1865. Louis Juchault de Lamoricière nait en 1806 à Nantes. Sa carrière militaire est marquée par la colonisation de l’Algérie. Il exerce plusieurs fonctions politiques telles que gouverneur d’Algérie ou député sous la Deuxième République.
La caserne est constituée d’un bâtiment de casernement principal, faisant face au portail d’entrée. Cet édifice massif est d’une architecture simple mettant en avant l’organisation de ses espaces, élément caractéristique de l’architecture militaire. Il fait face à une place d’armes, bordée par de nombreux édifices logistiques, rappelant les missions du Train. Sur les photos d’époque, Lamoricière semble communiquer avec la caserne Richemont.
L’ensemble est complété entre 1882 et 1884 par la construction du Magasin central d’habillement et de campement. Dans son axe, la rue du Commandant-Rivière est aménagée, d’après le nom d’un militaire décédé en mai 1883. Elle donne son nom au Magasin qui est appelé, de façon informelle, la caserne du Commandant-Rivière.
Vue aérienne du quartier Saint-Donatien
Date du document : Fin des années 1900
De son côté, le Magasin central semble être un espace fermé ne communiquant pas avec les casernes voisines. Divers bâtiments forment la caserne dont l’élément central est constitué de deux bâtiments en pierre réunis par une grande halle vitrée à l’architecture métallique. Cet édifice est un exemple exceptionnel d’une charpente Polonceau, qui semble unique à Nantes. La charpente Polonceau tient son nom de son inventeur Jean-Barthélémy Camille Polonceau, qui la conçoit dans les années 1830. Cette charpente métallique particulièrement légère est constituée d’éléments triangulaires, en forme de V inversés. Elle est destinée aux vastes espaces, comme les gares, où on la retrouve fréquemment au 19e siècle, mais aussi aux hangars et espaces de stockage comme à la caserne du Commandant-Rivière.
Finalement, les casernes Richemont, Lamoricière et du Commandant-Rivière constituent trois espaces militaires distincts. Pour autant, ces dernières s’installent sur le même terrain de la Mitrie et sont accolées, formant un vaste espace militaire dans un quartier rural en voie d’urbanisation à la fin du 19e siècle.
La diversité d’usage au 20e siècle
Tout au long du 20e siècle, les casernes Richemont, Lamoricière et du Commandant-Rivière connaissent de nombreux changements d’usages et d’occupants. Au cours des années 1920, le 11e escadron prolonge son occupation de Lamoricière et Richemont, suite au départ du 3e dragons. La Garde républicaine mobile, composante de la gendarmerie, s’installe aussi à Lamoricière.
Les casernes sont également touchées par les conflits du 20e siècle, et notamment la Seconde Guerre mondiale. Le 20 juin 1940, quelques jours après l’entrée de l’armée allemande à Nantes, la caserne Richemont est occupée. La prison des Rochettes y est aménagée. Elle voit passer des résistants dont certains font partie des 48 otages fusillés suite à l’assassinat du lieutenant-colonel Hotz, mais aussi des détenus juifs avant leur transfert à Angers puis au camp d’Auschwitz-Birkenau.
Couchette de la prison des Rochettes
Date du document : 05/09/2016
Après la Seconde Guerre mondiale, les guerres d’Indochine et d’Algérie demandent de former les jeunes appelés. Un Centre d’instruction et de préparation militaire s’installe à Richemont. Dès 1959, on y trouve également un Centre de formation des monitrices de la jeunesse féminine musulmane qui forme 150 jeunes femmes françaises d’origine nord-africaine ou européenne, âgées de 18 à 35 ans et détentrices du certificat d’études primaires. À l’issue de ce stage, on leur confie des missions d’enseignement dans les foyers du Service de formation de la jeunesse algérienne. De son côté, le 2e régiment d’infanterie coloniale, basé à la caserne Mellinet voisine, part pour l’Algérie en 1954. Son matériel et ses services logistiques sont notamment basés à la caserne du Commandant-Rivière.
Entrée du Centre d’enseignement des monitrices de la jeunesse d’Algérie
Date du document :
À partir des années 1960, de nombreux régiments passent par ces trois casernes et notamment par Richemont. La caserne accueille notamment les bureaux des régiments les plus importants de Nantes et des institutions territoriales dont la ville dépend : la 33e division militaire territoriale en 1974, qui fusionne avec la Force d’Action Rapide, s’installe en 1986. Cette dernière, dissoute en 1999, est reconstituée dans la Force terrestre, dont l’état-major de Force n°2 est à Richemont jusqu’en 2010, année de sa dissolution.
La caserne Lamoricière, qui n’est plus aux normes, est entièrement démolie et reconstruite à la fin des années 1970. Elle est depuis occupée par la Gendarmerie nationale.
Plan cadastral parcellaire des quartiers Richemont et Lamoricière
Date du document : 1970
Jusqu’en 1988, la caserne du Commandant-Rivière abrite des espaces de confection, de stockage et de logistique. Après cela, elle accueille des unités de réserve attachées à la base de La Rochelle.
L’occupation actuelle des casernes
La caserne Richemont accueille aujourd’hui les Journées défense et citoyenneté. On y trouve également le Centre d’Information et de Recrutement des Forces Armées, le bureau de recrutement de la Légion Étrangère ainsi que le Commandement de la Marine de Nantes.
Depuis 2003, la caserne du Commandant-Rivière est occupée par les sapeurs-pompiers du Service départemental d’incendie et de secours. Malgré une autorisation d’occupation allant jusqu’en 2027, ces derniers ont exprimé leur souhait de quitter ces espaces anciens et inadaptés à leurs besoins. Le ministère des Armées a confirmé sa volonté de vendre l’ancien Magasin central, sans qu’aucune démarche ne soit officielle pour le moment.
Léa Grieu, d’après les recherches de Xavier Trochu
Direction du Patrimoine et de l’Archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2025
Album : Casernes Richemont, Lamoricière et du Commandant-Rivière
En savoir plus
Pages liées
Tags
Contributeurs
Rédaction d'article :
Léa Grieu
Vous aimerez aussi
Habiter Bellevue : 1960-2000
Architecture et urbanismeAlors que l’explosion pavillonnaire avait marqué les décennies précédentes, les années 1960 font la part belle aux grands ensembles. Le changement d’échelle est net et le surgissement...
Contributeur(s) :Irène Gillardot
Date de publication : 01/10/2020
2885
Piscine Léo-Lagrange
Architecture et urbanismeSeconde piscine publique de Nantes, la piscine Léo-Lagrange est érigée sur l’ancienne île Gloriette disparue dans les comblements des deux bras de la Loire entre 1926 et 1946. Bâti...
Contributeur(s) :Julie Aycard
Date de publication : 05/03/2021
6679
Dockers
Société et cultureLa présence de ces travailleurs du port est sans doute aussi ancienne que l’existence des installations portuaires de la cité. Avec comme frêle indice la présence de la rue de la Bâclerie...
Contributeur(s) :Jean-Louis Bodinier , Jean Breteau
Date de publication : 22/02/2019
2931