Revue des Spécialités Alimentaires
Le mercredi 5 juin 1889 paraît le premier numéro de La Revue des Spécialités Alimentaires. Les deux directeurs-administrateurs sont Arsène Saupiquet et Louis Lefèvre-Utile, deux entrepreneurs voisins implantés rue de Crucy à Nantes. Le journal est gratuit, ré à 42 000 exemplaires, sur « papier de choix » et « il sera adressé avec la régularité la plus absolue ».
Un objectif gagnant-gagnant
L’objectif annoncé de cette revue est d’apporter à la clientèle, principalement les épiciers, des références de fournisseurs, des renseignements sur leurs produits, les gammes proposées, les tarifs et des informations générales liées au métier.
Des annuaires et almanachs professionnels existent déjà mais ils se limitent le plus souvent à des listes d’adresses par métier ou localité, complétées par quelques renseignements très généraux. Les fabricants de produits alimentaires diffusent de leur côté des bulletins, catalogues ou tarifs. La démarche est onéreuse et limite les possibilités de communiquer sur les produits ou le métier. Déjà en 1883, Arsène Saupiquet ressentait cette nécessité d’informer la clientèle en contribuant à la rédactionon d’un ouvrage, Les Produits Alimentaires. Études générales sur les produits servant à l’alimentation et leur falsification.
L’adoption de la forme d’un journal répond à cette attente tout en permettant aux deux associés de réduire leurs coûts, d’autant plus qu’une à deux pages sur les huit de la revue sont réservées à des annonceurs.
En outre, la revue met en avant des économies potentielles pour les clients : « Dans le but d’économiser à nos acheteurs d’importants frais de transports et de correspondance, les maisons de Nantes, désignées dans La Revue des Spécialités Alimentaires se sont entendues afin de ne faire au même client qu’une seule expédition des différentes commandes qu’il confiera à nos amis de Nantes ».
Une réalisation qui ne parvient pas à décoller
En fait de régularité de parution, la publication des numéros s’espace au cours du temps. D’abord mensuel au lancement, il devient trimestriel en 1891 puis à parution irrégulière. Dès le n°3 du 21 septembre 1889, les deux directeurs Saupiquet et Lefèvre-Utile laissent leur place à un gérant, Émile Sylvestre, qui est un employé de Saupiquet. En 1892, le titre devient La Nouvelle Revue des Spécialités Alimentaires. La teneur des articles s’étiole rapidement, certains étant même repris d’un numéro au suivant. Hors Saupiquet, les articles représentent moins d’une page dans le dernier numéro. La part des annonceurs reste importante mais les entreprises nantaises sont de moins en moins nombreuses. Le journal semble disparaître mi-1892.
Rappelons que c’est à cette période que l’activité d’Arsène Saupiquet évolue en prenant le statut de Société Anonyme, que deux mois plus tard son banquier fait faillite, et que l’usine de la rue de Crucy à Nantes est détruite dans un incendie ! La poursuite de la revue jusqu’en juin 1892 est donc remarquable. Son abandon serait plus lié à une politique différente du nouveau conseil d’administration de l’entreprise Saupiquet.
Une mine d’informations
Ces quelques douze numéros nous apportent des éléments intéressants sur l’activité et les préoccupations d’un conserveur de l’époque. Voici quelques exemples :
Ainsi, la revue nous apprend que Saupiquet dispose d’une gamme de produits très large. On trouve au tarif, en boîtes et bouteilles, 5 références de potage, 10 références de bœuf, dont une de bifteck et une de moëlle de bœuf en 2 kilogrammes, 7 références de mouton dont de la graisse de mouton à pâtisserie, 8 références de veau, 14 références de porc, 16 références de volaille dont du poulet truffé et des crêtes de coq, 19 références de gibiers dont ortolans, perdrix et bécasses, 3 références de pâtés, 15 références de poissons dont huîtres, lamproie, filets de sole ou de turbot, 19 références de légumes dont pointes d’asperges et marrons rôtis. La marque Jockey Club propose quant à elle 11 références de sardines, 2 de maquereaux, 2 d’asperges et 4 de petits pois.
La revue évoque également la première opération de la Société anonyme des Établissements Arsène Saupiquet : le journal annonce la prise en main de la marque d’ananas « Toutoute » de la Guadeloupe et sa distribution en France sous sa responsabilité. Ce produit représente pendant quelques années une part non négligeable du chiffre d’affaires de la société.
Plusieurs articles abordent le sujet des contrefaçons, notamment au travers d’un procès fleuve entre Saupiquet et le fabricant de boîte Dauché sur la possibilité ou non de protéger une forme de conserve. Mais aussi sur des actes plus faciles à trancher comme la production au Portugal par une entreprise allemande de boîtes Jockey Club avec la même forme et le même nom, se contentant de remplacer la marque « Arsène Saupiquet » par « Système Saupiquet ».

Article sur la contrefaçon de boîtes Jockey Club
Date du document : 15/01/1892
La Revue des Spécialités Alimentaires rend compte également de pratiques industrielles impensables de nos jours car présentant de graves risques sanitaires :
• En se réjouissant de la levée de l’interdiction de l’utilisation de sels de cuivre pour reverdir les petits pois : ingérés en grande quantité, les sels de cuivre peuvent être toxiques pour l’organisme humain. Il faut attendre 1912 pour que l’avis des scientifiques soit pris en compte et cette pratique prohibée.

Interdiction de l’utilisation de sels de cuivre
Date du document : 05/06/1889
• En expliquant comment enlever le « petit goût de fer désagréable des petits pois à l’ouverture » : en les égoutant et les ébouillantant avec deux litres d’eau puis en les trempant dans de l’eau froide ! Cette pratique du rinçage des légumes en conserve avant leur consommation est liée à la mise au point des vernis permettant de protéger les produits des réactions avec le fer-blanc de la boîte, initiée en 1842 par le nantais Georget. Cette habitude est restée dans les mémoires, mais n’est plus nécessaire aujourd’hui.
• En publiant dans plusieurs numéros un avertissement sur les conserves de homard, vendues par Saupiquet mais sous-traitées en Amérique du Nord, qui sont conditionnées en boîtes de mauvaise qualité et dont le produit noircit en moins d’un an.

Avertissement sur les conserves de homard
Date du document : 15/06/1889
1900 : Saupiquet et Lefèvre-Utile de nouveau réunis
Dix ans plus tard, un autre projet réunit Saupiquet et Lefèvre-Utile. Celui de la création d’un « Club des Chauffeurs » et d’une course Nantes-Paris. Mais c’est une autre histoire…

Fondation du Club des Chauffeurs
Date du document : 26/02/1900
Laurent Venaille
Association La conserve des Salorges à la Lune
2024
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Laurent Venaille
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