Établissement Thoby
Au 83, rue du Pontereau est implanté le siège de l’Église évangélique. Derrière l’élégante maison, on aperçoit le lieu de culte, où se rassemblent les fidèles depuis 1985. Auparavant, cet endroit était un établissement d’horticulture, qui employait une trentaine de personnes : l’établissement Thoby, 71 rue du Pontereau.
Histoires d’amour, de travail et de guerre
Hippolyte Thoby, orphelin issu de l’Assistance Publique, a 20 ans quand il décide de devenir horticulteur indépendant. Il reçoit l’aide de son bienveillant maître d’apprentissage, Monsieur Tréchet, pépiniériste rue Gambetta qui l’emploie depuis ses 14 ans. Ce dernier n’a pas d’enfant et éprouve de l’attachement pour le jeune apprenti dont il admire le courage et la qualité de travail.
Hippolyte est devenu un bon professionnel. La même année, alors qu’il travaille au jardin de l’oncle et la tante chez qui elle vit, il « enlève » Marie Le Ménélec, orpheline comme lui.
Portraits d’Hippolyte Thoby et de Marie Le Ménélec
Date du document :
Ils se marient, s’installent ensemble et succèdent vite à Monsieur Tréchet après son décès vers 1935. Ils veillent au bien-être de Madame Tréchet restée sur place, dans la « petite maison du jardin ». La famille Thoby s’agrandit et s’installe dans la « grande maison ».
L’établissement évolue au mieux et six enfants comblent le couple lorsque la guerre éclate. On écarte de Nantes les plus jeunes sous la protection de l’aînée qui n’a que quinze ans. Les bombardements de 1943 détruisent la plus grande partie de l’établissement et 50% de la maison. Marie, Hippolyte et leurs fils aînés, Claude et Hubert, se trouvent par miracle dans la partie intacte.
Tout reconstruire au Vieux-Doulon
La famille, qui n’est pas propriétaire des lieux, décide de déménager. Hippolyte achète alors un terrain au Vieux-Doulon où les « tenues maraîchères » sont installées à cette époque.
Les Thoby quittent la rue Gambetta, le terrain amputé où ils travaillent pourtant encore, et la « petite maison du jardin » à dotée de deux pièces dans lesquelles ils se sont installés après le bombardement de 1943.
Sur le terrain du Vieux-Doulon, entre les rues du Pontereau et de la Basse-Chênaie, ils créent un nouvel établissement. Marie, Hippolyte et leurs six enfants y logent dans un « baraquement de secours » construit dès 1945.
Puis, après avoir planté quelques cèdres à l’entrée sur la rue Basse-Chênaie, ils s’installent progressivement. Ils créent un jardin paysager, et les abords de « la baraque » d’une blancheur parfaite et couverte de fleurs grimpantes l’été, deviennent vite plaisants pour la famille et les visiteurs.
Baraquement Thoby
Date du document : 1955
Transformer ce pré humide en terrain horticole se révèle être un travail de Titan. Mais dans cette famille, le travail est le symbole de la liberté, de l’honneur, de la joie, de la vie. Et à l’image des parents, les aînés ne ménagent pas leur peine.
Il faut en priorité assécher. Hippolyte et ses fils creusent un étang avant d’installer un réseau de grosses canalisations pour drainer. Ils créent eux-mêmes un réseau ferré pour transporter les wagonnets qui charrient la terre. Ils travaillent si durement que Jacqueline, quinze ans, l’aînée des enfants – observatrice car assignée aux fonctions domestiques – en pleure en secret.
Photo de famille Thoby
Date du document : sans date
Puis, ils construisent les premières serres, des hangars, une chaufferie avec sa haute cheminée.
Avec l’aide d’un maçon, ils bâtissent leur future maison, sur la rue du Pontereau. Ce sera, pour cette étape, une maison à toit terrasse en attendant de futurs étages ; Hippolyte est prévoyant.
Ils cultivent, sèment, bouturent, multiplient… fournissant les fleuristes à l’entour. Ils s’enracinent dans les lieux. Leurs voisins maraîchers les ont accueillis avec chaleur. La famille Dupuy leur prête un cheval. Ils en garderont une profonde reconnaissance et une amitié indestructible qui les lieront jusqu’au bout.
Passage de flambeau
Hippolyte meurt en 1959, à 56 ans. Son deuxième fils, Hubert, prend les rênes de l’entreprise. Il termine la maison et fait construire deux étages sur la terrasse pour faire cohabiter les générations sur l’exploitation : Marie, sa mère, vit au rez-de-chaussée, tandis que lui et sa famille emménagent dans les étages supérieurs.
Vue générale des établissements Thoby
Date du document : 1955
Hubert donne à l’entreprise l’impulsion de la jeunesse. Il adapte les nouvelles technologies de l’horticulture, augmente les effectifs, travailler avec la Belgique, la Côte d’Azur, puis l’Afrique pour les plantes exotiques. Les serres sont de plus en plus importantes. La dernière qu’il crée, très longue et très haute, est justement destinée à ces dernières. Lorsqu’on y entre, on se sent projeté par magie sur un autre continent. Les feuillages gigantesques et majestueux, l’humidité chaude, les odeurs enivrantes… Un étonnant voyage.
Il approvisionne en plantes le grand Ouest. Trois commerciaux visitent les fleuristes de Brest à Royan. Il se diversifie en important des plantes qu’il ne produit pas sur place. Il reste très proche de son frère aîné, Claude. Celui-ci a repris, en 1954, l’exploitation des établissements « Guichard sœurs », route de Vannes, spécialisé dans la production de camélias. Transférés dans un premier temps à Carquefou puis à Saint-Mars-du-Désert, « les Établissements Claude Thoby » deviennent une pépinière de camélias et de plantes de terre de bruyère, reconnue au niveau mondial. Ils disparaissent au décès de Claude en 2015.
Une journée d’horticulteur à Doulon
En 1970, l’établissement d’Hubert Thoby s’étend sur environ 1,5 hectares au cœur du Vieux-Doulon. La moitié de la surface est occupée par des serres et dans l’autre moitié, les plantes sont en pleine terre.
Chrysanthèmes, dahlias variés, bruyères…un festival de couleurs : les lieux sont magnifiques, en particulier sous les lumières de l’automne !
Serres et cultures de pleine terre des établissements Thoby
Date du document : sans date
« L’embauche » se fait à 7 heures du matin. De nombreux camions vont et viennent pour les chargements en vue des livraisons, alors que d’autres livrent les plantes venues d’ailleurs.
Une activité permanente règne dans les lieux, de nombreux jeunes y font leur apprentissage, d’autant que Hubert enseigne à l’école d’horticulture du Grand Blottereau.
Une évolution régulière pendant plus de 20 ans
En 1965, une maison est construite pour le contremaître, qui veille en permanence sur les cultures. Elle se situe au sud de la propriété, au 17 rue Jean-Jacques Audubon, à l’opposé de la maison « des patrons », au nord de l’établissement. En 1966, Bernard Thoby, commercial de l’établissement, construit sa maison à l’ouest, rue de la Basse-Chênaie. Ces trois maisons qui existent toujours « encerclaient » l’établissement. Des axes en forme de croix reliaient ainsi l’établissement aux trois rues adjacentes (rues du Pontereau, de la Basse-Chênaie et rue Jean-Jacques-Audubon).
La fin d’une entreprise
En juillet 1983, une grêle dévastatrice détruit intégralement les serres, les cultures et précipitent l’établissement dans un douloureux naufrage.
Hubert meurt, en 1986, à 57 ans, alors qu’il travaillait, dans les serres du manoir de la Rivière qui servaient d’annexe.
À la suite de ce décès, la maison familiale est vendue à l’Église Évangélique et 68 maisons avec leurs jardins sont bâtis sur les anciens terrains horticoles par les « Pavillons de l’Atlantique ».
Vestiges de cette histoire
Hippolyte, Claude et Hubert Thoby ont eu un rôle fondamental dans l’histoire de l’horticulture nantaise, son rayonnement, le syndicat horticole, la formation des jeunes horticulteurs et la renaissance des Floralies internationales qu’ils ont relancé en 1954.
La maison familiale du 83 rue du Pontereau est restée identique tout comme les maisons du contremaître rue Jean-Jacques-Audubon, et celle du commercial de l’entreprise rue Basse-Chênaie. L’ancienne salle d’emballage et la chaufferie de l’établissement horticole ont été remplacées par une église évangélique.
Françoise Hérail Thoby
Dans le cadre de l’inventaire du patrimoine du quartier de Doulon
2021
Album « Les établissements Thoby : une histoire de famille »
En bref...
Localisation : Pontereau (rue du) 83, NANTES
Typologie : architecture domestique
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Dossier : Inventaire du patrimoine de Doulon
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Rédaction d'article :
Françoise Hérail Thoby
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