
Fresques de la parabole de l’enfant prodigue de Pierre Bouchaud
En 1951, Pierre Bouchaud peint sur les murs de la chapelle de la maison d’arrêt de Nantes deux fresques inspirées de la parabole de l’enfant prodigue.
Relaté dans l’évangile selon saint Luc comme ayant été donné par Jésus, ce récit allégorique raconte comment, après avoir réclamé sa part d’héritage, un fils quitte la maison familiale, dilapide son héritage puis, accablé par la famine, y revient et est accueilli par son père. En allant au-devant de son fils de retour après une période d’errance, le père symbolise la miséricorde divine. Dans la chapelle d’un établissement carcéral, ce programme iconographique constitue une invitation à garder espoir.
Qui est Pierre Bouchaud ?
Pierre Bouchaud (1887-1978) est né à Nantes dans une famille de notables dont l’éducation mêle profondément art et religion. La famille fréquente les milieux artistiques nantais notamment Élie Delaunay, dont un des premiers professeurs de peinture avait été le grand-père de Pierre, Léon-Prudent Bouchaud (1817-1868). Ce dernier avait eu une carrière d’envergure nationale, travaillant avec Jean-Baptiste Corot et Henri Harpignies. Jean Bouchaud (1891-1977), le proche frère de Pierre, bénéficie lui aussi d’une notoriété certaine comme en témoignent des commandes officielles (décoration du pavillon d’entrée de l’Exposition Coloniale de 1931 ou encore d’une salle à manger du paquebot Normandie en 1935) et son entrée à l’Académie des Beaux-Arts en 1951.
La vie et la carrière de Pierre Bouchaud s’ancrent, elles, dans sa ville natale. En 1894, il entre à l’Externat des Enfants Nantais où il suit notamment les cours de dessin de l’abbé Egidio Sotta, peintre comme son père Joachim Sotta. Il étudie à partir de 1905 au Grand Séminaire de Nantes et est ordonné prêtre en 1910. Les deux années qu’il passe alors à Rome dans l’objectif de poursuivre ses études de théologie à l’université grégorienne sont l’occasion pour lui de découvrir l’art de la fresque, médium qu’il explore pendant toute sa carrière. Les œuvres de la maison d’arrêt en sont un exemple. Après son retour à Nantes, l’abbé Bouchaud exerce toute sa vie au sein de l’établissement qu’il a fréquenté enfant : il y devient professeur de dessin à son tour, puis en est le directeur d’internat, en conçoit l’agrandissement et en devient finalement le directeur d’établissement en 1954, puis le directeur honoraire en 1961. Parallèlement, l’abbé Bouchaud exerce son art au service de la foi catholique. Il est l’auteur de nombreuses fresques décoratives, de monuments aux morts ou encore de chemins de croix dans des églises de la région. Il illustre des documents édités par les paroisses, il décore des établissements d’enseignement catholiques. Il est également actif dans le réaménagement des églises après le concile de Vatican II.

Portrait de Pierre Bouchaud
Date du document : Années 1950-1960
Comment représente-t-il cette parabole ?
Pour le décor de la chapelle de la maison d’arrêt, Pierre Bouchaud synthétise la parabole de l’enfant prodigue en deux scènes : la chute du fils et son retour. Les commentaires peints dans la partie inférieure de chacun des deux panneaux explicitent les scènes.
Si la symbolique n’était pas suffisamment claire, la transposition de la parabole à la réalité des prisonniers est manifestée dans la première scène par les barreaux derrière lesquels se trouve le fils, la nudité de sa cellule et la frugalité de son existence évoquée par la simple cruche posée au sol. La solitude du fils du récit biblique devient celle du prisonnier dans sa cellule.
Au second plan, derrière les barreaux, la famille, dont il s’est détourné, est réunie dans une scène quotidienne de repas. Au-dessous de cette scène, on lisait : « Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à sentir le besoin. Il se dit : Combien de mercenaires de mon père ont leur pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ».
Sur le second panneau, le fils courbé par l’affliction, se blottit contre son père qui l’enveloppe de ses bras. Contrastant avec celle du fils, l’attitude du père exprime l’accueil calme et bienveillant qu’il réserve à son enfant.
Pour ancrer le propos divin dans une réalité quotidienne ou familière, le peintre installe la seconde scène dans un décor régional : à l’arrière-plan du second panneau, des Bretons dansent au son d’une bombarde et d’un biniou.
Pour adapter la représentation de la parabole au contexte carcéral, le peintre a dû faire l’économie de la scène du départ, qui fait traditionnellement pendant à celle du retour. On peut faire l’hypothèse que le personnage qui salue devant une porte ouverte à l’arrière-plan de la seconde scène fait référence à cette première partie escamotée du récit.
Au-dessous de cette seconde scène, on lit : « Il se leva vint retrouver son père : son père le vit fut ému il accourut au-devant de son enfant le couvrit de baisers et il dit : soyons dans la joie. Car celui-ci mon fils était mort et il vit. Il était perdu et il est retrouvé ».
Comme pour nombre de ses œuvres, Pierre Bouchaud utilise ici la technique de la fresque. Ce procédé de peinture murale, dont le nom vient de l’italien affresco (« dans le frais »), consiste à poser les pigments colorés délayés dans l’eau directement sur l’enduit de chaux juste après sa pause, avant qu’il ne sèche. La réaction chimique entre l’air et les matières en présence aboutit à l’emprisonnement des pigments dans une fine mais très solide couche de surface.
Afin de pouvoir réaliser ce travail rapidement et sans reprise possible, Pierre Bouchaud compose ses scènes dans des dessins préparatoires : les archives départementales de Loire-Atlantique conservent notamment deux études à l’aquarelle.

« La chute du fils » et « Le retour du fils », travail préparatoire de Pierre Bouchaud
Date du document : 1951
À l’époque où il peint les fresques de la maison d’arrêt, l’abbé Bouchaud a pour habitude de compléter ses esquisses par des études photographiques comme l’a mis en valeur l’étude menée par le service régional de l’inventaire en 2014. Ces dernières permettent au peintre de capter les effets produits par la lumière sur les corps et de choisir des postures tout à la fois éloquentes et réalistes. Les photographies prises pour ces œuvres ont été retrouvées dans les archives privées de l’Externat des Enfants Nantais. Ces fresques montrent combien ce procédé permet de conférer aux représentations figurées de l’abbé Bouchaud un velouté dans les carnations tout autant qu’une dimension sculpturale et expressive des corps qui contrastent avec le caractère plus classique du reste de l’exécution, lui donnent vie. Ce passage par la photographie contribue au caractère très incarné et moderne de ses représentations de scènes bibliques.

Photographie préparatoire pour la scène du père accueillant son fils
Date du document : 1993
On mesure l’influence exercée sur l’abbé Bouchaud par le renouveau de l’art sacré dans l’entre-deux-guerres, dans le contexte de reconstruction post Première Guerre mondiale, marqué notamment par les recherches initiées par les Ateliers d’Art Sacré. En réaction à l’académisme et dénonçant la médiocrité des productions de série de la seconde moitié du 19e siècle et du début du 20e siècle alors péjorativement dites « de Saint-Sulpice », ces derniers ont travaillé entre 1919 et 1947 au renouvellement de l’art religieux en faveur d’un art ancré dans la réalité contemporaine, moderne et accessible. L’abbé Bouchaud, très impliqué dans l’art religieux diocésain, participe notamment en 1933 à l’Exposition d’Art Religieux ancien et moderne, organisée à la Psalette à l’occasion d’une présentation des Ateliers d’Art Sacré. En 1947, lors du Congrès eucharistique organisé à Nantes, il est vice-président chargé de l’art moderne. Il a donc une bonne connaissance des débats qui divisent alors les tenants d’un art académique et les partisans de son renouveau. Il a fait sienne, à sa manière, certaines tendances initiées par ces derniers, sans en être jamais un membre à part entière. Il en partage le goût pour la fresque, la recherche d’une esthétique tout à la fois traditionnelle et moderne, la conjugaison des pratiques artistique et spirituelle.
On doit aussi souligner l’influence de l’association La Fresque dont sont membres, entre autres, les frères Paul et Albert Lemasson. Originaires de Saint-Mars-du-Désert, formés à l’École Supérieure des Beaux-Arts de Paris, dans l’atelier de fresque de Paul Baudouïn, élève de Puvis de Chavannes, ils ont beaucoup œuvré dans les églises de Loire-Atlantique dans les mêmes années que lui.
Des années après l’exécution de ces fresques, la chapelle de la maison d’arrêt est transformée en gymnase. C’est à cette période que le premier panneau est endommagé en partie basse par un jet de balle. Remplacée en 2012 par un nouvel établissement pénitentiaire au nord-est de Nantes, la maison d’arrêt est désaffectée.

Photographie des fresques dans l’ancien réfectoire
Date du document : 2014
À partir de la fin de l’année 2017, l’ancienne maison d’arrêt est détruite au profit d’un vaste programme de construction de logements piloté par le promoteur immobilier COGEDIM. Ce dernier s’engage à assurer la conservation des deux œuvres. Il en finance la dépose, la restauration et l’installation sur un châssis métallique, les fresques après dépose étant, par nature, privées de support. Ces travaux sont effectués sous la direction des conservateurs-restaurateurs de fresques Tristan Mahéo et Delphine Burgart. Quelques années après, la première hypothèse d’implantation ayant été abandonnée, elles sont accrochées dans l’église Saint-Médard de Doulon en mars 2025.

Les fresques accrochées à l’église Saint-Médard de Doulon
Date du document : 19/03/2025
À Nantes, on peut découvrir d’autres œuvres de l’abbé Bouchaud :
• Église Saint-Clair, place Saint-Clair, fresque « Saint-Clair et les aveugles », 1929
• Saint-Georges des Batignolles, avenue de la gare de Saint-Joseph, fresques « La Vierge et l’enfant Jésus » (1937), « Saint Georges combattant le dragon » (1936) et « La Sanctification du Travail » (1948)
• Façade de l’école Notre-Dame-de-Bon-Conseil, 17 rue Louis-Préaubert, relief méplat « Vierge accueillant des petites filles », années 1950
• Façade de l’école Saint-Nicolas, 5 rue Dugommier, relief méplat « Saint-Nicolas ressuscite les trois enfants », années 1950
• Église Sainte-Croix, place Sainte-Croix, mosaïque « le Baptême », 1952
Aurélie De Decker
2025
En savoir plus
Bibliographie
Bouchaud Jean-Guillaume, Les quatre frères Bouchaud, illustrateurs, Paris, 2008
Davy Christian, « Venez à moi vous qui peinez et qui travaillez, je vous soulagerai », 303 Arts, recherches et créations, t. XXXIX, 1993, p. 22-29
Davy Christian et Crochet François, Étude thématique régionale de l’inventaire, 2014
Ressources Archives départementales de Loire-Atlantique
133 J 29 : Fonds Bouchaud. Pierre Bouchaud, 1895-1975. Notice biographique, nécrologies, album de photographies familiales.
133 J 34 : Fonds Bouchaud. Pierre Bouchaud, 1895-1975. Œuvres graphiques, sans date. Croquis et études.
133 J 35 : Fonds Bouchaud. Pierre Bouchaud, 1895-1975. Œuvres graphiques, sans date. Études pour fresques.
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Rédaction d'article :
Aurélie De Decker
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