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Faculté de médecine Couvent des Oblates

Les munitionnettes à Nantes pendant la Première Guerre mondiale


L’annonce de la mobilisation générale, le 1er août 1914, est accueillie avec stupeur. Les premiers mobilisés partent en se rassurant, convaincus de revenir avant l’automne. Pour satisfaire les importants besoins de production, les usines recrutent les civils trop jeunes ou trop vieux pour combattre, ainsi que des travailleurs étrangers et coloniaux. Environ 500 000 ouvriers mobilisés sont rappelés pour prêter main-forte, mais ce n’est toujours pas suffisant. Les usines doivent alors se tourner vers une main-d’œuvre inhabituelle : les femmes.

L’appel à la main-d’œuvre féminine

Le départ des hommes confère aux femmes un rôle nouveau et Nantes n’échappe pas à ce phénomène. Certes, les Nantaises ont toujours travaillé, dans l’industrie du textile ou de la conserve par exemple. Cependant, de 1914 à 1918, elles prennent des emplois dans des secteurs inédits pour elles, comme la métallurgie. La main-d’œuvre féminine reste toutefois proportionnellement plus importante dans les usines d’habillement et d’alimentation. Elles sont aussi nombreuses à se déclarer volontaires pour prendre soin des blessés dans les hôpitaux. 

À partir de novembre 1915, la population et les sphères dirigeantes pensent que la guerre peut durer. Des circulaires ministérielles incitent alors les industriels à employer des ouvrières dans leurs usines. Afin de palier le manque de main d’œuvre dans les usines d’armement, on décide donc de faire appel aux femmes pour fabriquer des munitions, des avions ou encore des canons.

Dès lors, les femmes deviennent un soutien indispensable à l’effort de guerre dans l’industrie de l’armement. Elles sont surnommées les munitionnettes, car elles fabriquent souvent des armes, des munitions et de l’équipement militaire. À Nantes, le port et les industries locales ne font pas exception et orientent leurs productions pour soutenir les besoins du front. Des armes, des munitions ou encore des cuisines roulantes sont alors fabriquées dans 82 établissements par plus de 21 000 employés, dont 4 700 femmes. Sur le site des chantiers navals, ces ouvrières sont employées par les Ateliers et chantiers de la Loire et travaillent sous les nefs.

Cuisines roulantes, 1917

Cuisines roulantes, 1917

Date du document : 1917

La main-d’œuvre féminine est tellement cruciale pour l’effort de guerre qu’en 1915 le général Joffre déclare : « Si les femmes qui travaillent dans les usines s’arrêtaient vingt minutes, les Alliés perdraient la guerre ». En quatre années de guerre, les munitionnettes françaises fabriquent 300 millions d’obus et plus de 6 milliards de cartouches.

Des conditions de travail difficiles

Peu formées, les ouvrières doivent apprendre sur le tas en imitant leurs voisines et sont placées sous la supervision d’ouvriers qualifiés. Très souvent, il s’agit d’un travail à la chaîne et elles se voient confier des tâches qu’elles doivent effectuer en série. Transport et nettoyage du matériel, actionnement des machines, maniement des outils ou encore réalisation de soudures au chalumeau, ce sont toutefois les travaux de finition qui leur sont confiés le plus souvent, leur finesse et leur précision étant très appréciées.

Fabrication des obus aux Ateliers et chantiers de Bretagne

Fabrication des obus aux Ateliers et chantiers de Bretagne

Date du document : 1914-1918

Étrangères pour la plupart au monde de l’industrie, les femmes découvrent les rudes conditions de travail des usines. Les conditions sont d’autant plus difficiles pour elles que le matériel est rarement adapté à leur gabarit et les machines sont bien souvent trop hautes. Avec le conflit, les réglementations du travail volent en éclat pour pouvoir participer à l’effort de guerre. Elles travaillent alors debout, par périodes de 10 h à 14 h, de jour comme de nuit et tous les jours de la semaine. Les ouvrières sont exténuées par les cadences infernales, les positions inconfortables, les tâches répétitives et les trop rares jours de repos. 

En raison du poids des obus, le travail des ouvrières est particulièrement physique. Chaque obus pèse 7 kg et en temps de production normale, 2 500 obus peuvent passer entre les mains des ouvrières au cours d’une journée de travail. Comme elle doit soulever chaque obus deux fois, une ouvrière soupèse en un jour 35 000 kg !

Fabrication des obus aux Ateliers et chantiers de Bretagne

Fabrication des obus aux Ateliers et chantiers de Bretagne

Date du document : 1914-1918

En plus d’être difficile, le travail des munitionnettes est aussi extrêmement dangereux. La manipulation des bombes engendre de réels risques et la moindre étincelle peut faire exploser l’usine entière. Pour limiter les risques, tout objet métallique est interdit dans l’usine : clous des chaussures à talons, épingles à cheveux, agrafes de vêtements… L’autre danger est celui de la TNT, qui pèse sur la santé des ouvrières et ouvriers. En effet, il s’agit d’un produit hautement toxique qui rend la peau et les cheveux jaunes. C’est d’ailleurs pour cette raison que les munitionnettes britanniques sont surnommées « canaris ». Mais ce n’est pas tout ! L’intoxication au TNT provoque rhume, nez bouché, toux, maux de tête. L’exposition prolongée peut même atteindre le système sanguin et les reins et provoquer la stérilité.

Les conditions d’hygiène et les poussières, gaz, fumées toxiques et autres produits corrosifs avec lesquels les ouvrières sont en contact toute la journée provoquent régulièrement des maladies. Peu équipées et protégées, elles sont victimes de nombreux accidents de travail. Épuisées ou malades, près de la moitié des ouvrières quittent l’usine après quelques mois de travail, à la recherche d’un poste moins fatigant.

Une guerre émancipatrice ?

Malgré la pénibilité, les difficultés et les dangers de ce travail, de nombreuses femmes se laissent tenter par cette expérience inédite. L’argument principal est le salaire. Le poste de munitionnette est alors le mieux payé de tous à l’époque. Les femmes, qui doivent désormais, pour la plupart, subvenir seules aux besoins de leurs familles, voient dans cette proposition une belle opportunité financière. Cependant, les inégalités salariales demeurent criantes. En 1913, elles sont payées 50 % de moins que les hommes, et en 1917, 20 % de moins. De plus, malgré tous les efforts qu’elles fournissent, les ouvrières continuent de faire l’objet de remarques sexistes. L’essayiste Gaston Rageot écrit par exemple : « Il reste de la ménagère dans la tourneuse d’obus et les femmes font de la métallurgie comme du tricot ».

L’ouverture du monde des usines aux femmes ne semble donc pas modifier les représentations sociales. À Nantes, au printemps 1917, Maurice Schwob, directeur du Phare de la Loire, estime que les grèves des ouvrières sont soutenues ou fomentées par les Allemands, qui profitent de leur innocence. Il récidive à propos des troubles dans les gares, qu’il attribue aux prostituées, manipulées elles aussi par les Allemands.

Extrait du Phare de la Loire du 28 mai 1917

Extrait du Phare de la Loire du 28 mai 1917

Date du document : 28/05/1917

Dans un premier temps, les femmes suscitent toutefois une grande admiration dans la population, en particulier chez ceux qui les jugeaient incapables de travailler à l’usine. Mais rapidement, elles deviennent une source de crainte. Si de temps à autres des critiques sur les capacités physiques et intellectuelles des ouvrières ou bien des mises en garde sur le danger que fait peser la main d’œuvre féminine sur l’éducation des enfants et la tenue des foyers fleurissent, les critiques les plus véhémentes arrivent au fur et à mesure qu’approche la fin du conflit.

La signature de l’Armistice avec l’Allemagne, le 11 novembre 1918, marque le début de la démobilisation des ouvrières. Elles deviennent subitement des profiteuses et sont accusées de voler le travail des hommes partis au front et de faire baisser les salaires. Si pour la plupart elles sont contraintes de quitter leur poste, la guerre a toutefois permis d’accélérer les mutations sociales du début du 20e siècle et a offert aux femmes une plus grande autonomie. Mais celle-ci est en grande partie perdue lorsque les hommes rentrent du front.

Pendant la Première Guerre mondiale, les femmes ont prouvé à la société française qu’elles étaient capables d‘effectuer les mêmes tâches que les hommes. Bien que leur émancipation ne vient que plus tardivement, une étape venait d’être franchie grâce aux ouvrières.

Elven Pogu
Direction du patrimoine et de l’archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2024

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