Victoire Durand-Gasselin-Friesé (1908 - 1998)
Victoire Durand-Gasselin-Friesé est née à Nantes le 4 décembre 1908. Rare femme architecte de son époque, elle a fait toute sa carrière dans la Cité des Ducs de Bretagne.
Les Durand-Gasselin : une famille influente
Le patronyme de Victoire n’est pas inconnu à Nantes. Les Durand-Gasselin sont tout d’abord très investis dans la communauté protestante à laquelle ils appartiennent. Certains des membres de la famille jouent également un rôle de premier plan dans la vie municipale. Son arrière-grand-père, Hippolyte Durand-Gasselin, est l’un des architectes du passage Pommeraye. La fille d’Hippolyte, Lucie, se marie avec le greffier Louis Bellamy. De cette union naît Paul Bellamy, maire radical de Nantes de 1910 à 1928, député de Loire-Inférieure et grand-oncle de Victoire. Quant à son grand-père paternel, également appelé Hippolyte, c’est un banquier et un industriel, ami du collectionneur d’œuvres d’art Thomas Dobrée. Ce dernier fait d’ailleurs d’Hippolyte son légataire universel, à l’exception de ses collections qu’il confie au Conseil général de la Loire-Inférieure.
C’est donc au sein d’une famille de la grande bourgeoisie protestante que Victoire s’épanouit. Dans un article datant de 1989, elle évoque sa jeunesse et son éducation plutôt stricte, expliquant qu’elle a été élevée aux côtés de sa sœur par une gouvernante qui lui a notamment appris l’allemand. Elle est scolarisée à l’âge de 8 ans dans un cours privé jusqu’à sa rentrée au Lycée en seconde. Ces notes ne sont pas très bonnes, ses parents ne l’encourageant pas à bien travailler en vue de choisir un métier : « Ce n’était pas l’habitude dans notre entourage ».
Le choix de l’architecture et les années de guerre
Une fois le lycée terminé, Victoire Durand-Gasselin passe une année en Allemagne, et une autre en Angleterre. A l’image de son arrière-grand-père, l’architecture est un domaine qui l’attire particulièrement. Une fois revenue dans sa ville natale, elle décide donc de suivre des cours de dessin à l’École des Beaux-arts de Nantes ainsi que des cours d’architecture afin de préparer le concours d’admission à l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris : « J’y voyais la possibilité de concrétiser un goût latent que j’avais pour l’architecture, mais je ne savais pas comment le réaliser. Je me contentais de dessiner sur les buvards de mes amies la maison de leurs rêves : l’une voulait un château-fort, une autre voulait avoir des divans dans toutes les pièces ! »
Elle est admise aux Beaux-arts de Paris en 1934. Ces années d’études en architecture ne sont pas aisées pour la jeune fille, contrainte d’évoluer dans un milieu très masculin. Elle étudie jusqu’en 1938, puis revient dans sa ville natale en 1939 afin de préparer son diplôme auprès de l’architecte Charles Friesé, un ami de son père. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, ce dernier est mobilisé et confie son cabinet à Victoire. Elle est la seule femme à obtenir le titre d’architecte DPLG (Diplômée Par Le Gouvernement) en novembre 1939. Fraîchement diplômée, elle crée sa propre agence d’architecture en 1940 dans les mêmes locaux que son ancien employeur Charles Friesé. En 1942, elle s’inscrit à l’ordre des architectes.
Photographie d'identié de Victoire Durand-Gasselin
Date du document : 1943
Pendant les années de guerre, elle s’implique dans la Défense Passive de la ville. Lorsque le temple protestant est détruit par les bombardements des 16 et 23 septembre 1943, Victoire se rend sur les lieux. Très affectée, elle écrit à propos de cet l’événement : « Au cours de cette soirée, me dirigeant vers le centre de la ville avec mon équipe de la Défense Passive, j’ai eu un coup au cœur en prenant la rue Bertrand-Geslin. Au lieu d’apercevoir la façade pleine au bout de la rue, j’ai vu la verdure à travers la façade éventrée, mais encore encadrée des deux tours. Le fait était là, brutal : le Temple proprement dit n’existait plus. » Aucune reconstruction d’ampleur n’étant envisageable en temps de guerre, les protestants nantais sont obligés de célébrer le culte dans deux lieux provisoires successifs en attendant l’édification d’une structure plus adaptée.
Victoire Durand-Gasselin recevra la médaille de sauvetage et la médaille commémorative de la Défense passive 1939-1945 pour son engagement en faveur de la protection de civils.
Victoire Durand-Gasselin en uniforme de la Défense Passive
Date du document : 1939-1945
Une carrière nantaise
Sur l’ensemble de sa carrière, Victoire Durand-Gasselin a travaillé sur 198 édifices recensés, dont 126 sont localisés à Nantes. Parmi eux, on peut citer un grand nombre d’immeubles, d’appartements et de maisons, mais aussi d’autres constructions plus notables.
Une fois la guerre terminée, l’architecte est désignée pour construire un temple protestant provisoire en bois, place Édouard-Normand. Victoire disait à propos de ce projet : « […] Cette modeste construction a été une des joies de ma carrière professionnelle. D’ailleurs, les paroissiens s’y trouvaient si bien qu’ils estimaient inutile de reconstruire un Temple en dur ! ». En 1951, elle est chargée d’imaginer les plans du nouveau temple protestant, projet porté par le pasteur Matiffa. L’architecte fait le choix d’un édifice résolument moderne, réutilisant les matériaux de base de l’ancien temple. La première pierre est posée en septembre 1956 et le chantier se poursuit jusqu’en 1958. Malgré un budget très limité, Victoire Durand-Gasselin imagine un lieu de culte monumental, doté d’une salle principale pouvant accueillir plus de 450 fidèles.
Victoire Durand-Gasselin dans son cabinet de travail
Date du document : années 1950
Elle prend part à d’autres projets de reconstruction, dont celui des magasins Decré. Construits par Henri Sauvage en 1931 en moins de 100 jours, ils ont également été détruits pendant la Seconde Guerre mondiale. En plus de Victoire Durand-Gasselin, deux autres architectes sont choisis pour redonner vie à ce patrimoine commercial emblématique de Nantes : Charles Friesé, qui a travaillé avec Sauvage sur le projet de 1931, et Louis-Marie Charpentier.
L’architecte est également à l’origine d’un certain nombre de maisons et villas en bord de mer à La Baule, Préfailles ou encore Pornic, mais aussi de quelques autres bâtiments hors du département comme une bibliothèque à Niort, ou des immeubles à Angers et Saumur.
En 1960, elle épouse son ancien tuteur Charles Friesé, quelque années avant le décès de ce dernier. Elle prend sa retraite professionnelle en 1973.
Victoire Durand-Gasselin et son mari l'architecte Charles Friésé
Date du document : 1965
Une vie associative dynamique
L’architecture n’est pas le seule centre d’intérêt d’une femme aussi active que Victoire Durand-Gasselin. Ainsi, elle fait partie de plusieurs groupements professionnels comme la Société des architectes de Nantes et la Société des Architectes diplômés par le gouvernement. Elle s’investit également dans d’autres associations extraprofessionnelles. Elle écrit un certain nombre de nouvelles en tant que membre de l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire de 1972 à 1996.
Victoire Friésé lors d'un dîner organisé par la Confrérie de la chaîne des Rôtisseurs
Date du document : 11-03-1979
En 1997 et 1998, elle est toujours affiliée à cette société en tant que membre honoraire. Enfin, elle rejoint la Confrérie de la chaîne des rôtisseurs, une association de gastronomes présente dans le monde entier.
C’est en 1998, dans sa ville natale, que Victoire Durand-Gasselin s’éteint.
Noémie Boulay
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2020
Album : Oeuvres de Victoire Durand-Gasselin
En savoir plus
Bibliographie
Bourban Fabrice Victoire Durand-Gasselin-Friesé (1908-1998), une architecte à Nantes, Mémoire de troisième cycle, Nantes, École d’architecture, 1999
Dupré Karine « La construction du temple de Nantes » In Nantes religieuse, de l’Antiquité chrétienne à nos jours – Actes du colloque organisé à l’Université de Nantes (19-20 octobre 2006), Société archéologique et historique de Nantes et Loire-Atlantique, 2008, p. 223-234
Ménard Noëlle, « Des adolescences d’autrefois » [en ligne], Cahiers de l’Académie, Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire, 2019 (généré le 29 juin 2020) - Consultable en ligne
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Rédaction d'article :
Noémie Boulay
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