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Statue Premier Miroir de Camille Alaphilippe


L’œuvre Premier Miroir installée au Jardin des Plantes au-dessus d’un plan d’eau est une copie d’une sculpture en grès, déposée à la Ville de Nantes par l’État en 1910. Cette dernière est une œuvre décorative conçue par le sculpteur Camille Alaphilippe pour une fontaine. Dans son sujet comme dans son traitement matériel et esthétique, elle s’inscrit dans la mouvance de l’Art Nouveau.

Une commande de l’État

Début 1908, l’État passe commande au sculpteur Camille Alaphilippe d’une « figure décorative pour une fontaine représentant une femme et un enfant » pour un montant de 3 000 francs. Il est alors prévu que l’œuvre soit reproduite en grès en une dizaine d’exemplaires. 

Camille Alaphilippe (1874-1934), d’origine tourangelle, s’est formé aux beaux-arts de Paris auprès de Louis-Ernest Barrias (1841-1905). Il a obtenu, en 1898, le prestigieux premier Grand Prix de Rome qui récompense ses jeunes artistes lauréats par une bourse d’étude permettant de se former dans la Ville Éternelle. Il répond à la commande par la représentation d’une femme invitant un jeune enfant, qu’elle porte contre son sein, à regarder son reflet sur la surface de l’eau, groupe qu’il intitule poétiquement Premier Miroir. Articulant le sujet de l’ œuvre et sa fonction, Camille Alaphilippe intègre le plan d’eau réel dans sa composition, comme le souligne Florent Allemand, spécialiste de l’œuvre de Camille Alaphilippe.

Sous bois au Jardin des Plantes, le « Premier Miroir » de Camille Alaphilippe

Sous bois au Jardin des Plantes, le « Premier Miroir » de Camille Alaphilippe

Date du document : Début du 20e siècle

Le grès, matériau imposé dans la commande est adapté, en raison de son moindre coût, à un modèle qui doit à l’origine être largement diffusé. Il l’est aussi en raison de ses propriétés physiques. Matériau céramique cuit à très haute température, il est caractérisé par une très grande dureté et une forte résistance aux agressions chimiques ou climatiques, en particulier le gel. Il est donc tout indiqué pour une exposition en extérieur, à proximité de l’eau.

S’il est imposé, le matériau caractérise aussi la modernité de l’œuvre et la participation de son auteur aux recherches de son temps. En effet, depuis l’Exposition Universelle de 1889 où les céramiques orientales ont fasciné les artistes européens, les arts du feu ont fait l’objet d’essais et d’innovations. En particulier, l’utilisation du grès s’est considérablement développée en sculpture les années suivantes. Les artistes les plus fameux parmi lesquels Rodin, Bourdelle, Marqueste ou Falguière s’y essayent. Camille Alaphilippe en explore lui aussi les possibilités plastiques et esthétiques dès 1902, au cours de son séjour à la Villa Médicis. Comme l’a montré Florent Allemand, l’artiste se singularise alors par le recours à ce matériau qui lui permet notamment de donner « une texture de velours » à ses figures féminines. 

La collaboration avec Alexandre Bigot

Le modèle en plâtre dont est tiré l’exemplaire nantais en grès fut exposé une première fois du 1er mai au 1er juillet 1908 au Salon des Artistes Français aux côtés de la célèbre Femme au singe, du même sculpteur, chef d’œuvre de la polychromie, conservée au Petit Palais à Paris.

« La femme au singe » de Camille Alaphilippe, 1908

« La femme au singe » de Camille Alaphilippe, 1908

Date du document : 1908

En mars 1909, le ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts commande à l’artiste l’exécution de trois exemplaires en « grès nature » de sa sculpture, pour 1 800 francs par tirage. La traduction de l’œuvre en grès est exécutée dans la manufacture de grès flammé d’Alexandre Bigot à Mer (Loir-et-Cher) A. Bigot et Cie créée en 1897. 

Alexandre Bigot (1867-1927), physicien et chimiste de formation, artisan céramiste, est alors un des plus importants producteurs de céramiques architecturales. Ces dernières sont abondamment utilisées dans les décors de façade de style Art Nouveau. Bigot est régulièrement sollicité par son avant-garde architecturale : Hector Guimard, Henri Sauvage et Jules Lavirotte. Dès 1903, il a confié la direction artistique de son entreprise à Camille Alaphilippe. Les deux hommes ont dans ce cadre collaboré sur des projets de façades, comme celle du Céramic Hôtel (1904, 34 avenue de Wagram, Paris 8e, façade et toiture inscrits au titre des Monuments Historiques en 1964).

Vue de l’atelier de sculpture de la manufacture A. Bigot et Cie

Vue de l’atelier de sculpture de la manufacture A. Bigot et Cie

Date du document : 1909

Une œuvre inscrite dans la mouvance de l’Art Nouveau

L’œuvre Premier Miroir s’inscrit dans la mouvance de l’Art Nouveau par de nombreux aspects relevant tant de son sujet que de ses développements plastiques.

L’œuvre illustre tout d’abord le goût de Camille Alaphilippe pour les représentations féminines. Comme de nombreux artistes de l’Art Nouveau, il en explore la beauté, le caractère voluptueux et séduisant qui oscille entre pureté virginale et érotisme de la femme fatale. On perçoit cette ambivalence dans cette œuvre . La femme dont la chevelure, attribut de la séduction par excellence, est lâchée, est vêtue d’un drapé qui dégage son épaule avec sensualité. Tendre et protectrice, elle tient son enfant lové contre elle et oriente avec délicatesse son regard vers le plan d’eau. La même impression de mystère se dégage de l’intimité de l’expérience représentée – la découverte de son reflet dans l’eau – inscrivant l’œuvre dans les thèmes intérieurs et mystiques chers aux symbolistes déclinés par de nombreux tenants de l’Art Nouveau.

D’un point de vue plus formel, les courbes de sa pose, le traitement quasiment décoratif de sa robe aux lignes fluides, ses mèches sinueuses qui serpentent dans son dos s’inscrivent dans l’esthétique des courbes d’inspiration végétale de l’Art Nouveau.  

Enfin l’œuvre est un exemple de l’influence exercée par l’art japonais redécouvert depuis l’ouverture du pays à l’Occident et qui irrigue tout l’Art Nouveau. Outre le grès, matériau japonisant par excellence, on devine l’influence de l’art du Pays du Soleil Levant dans la composition de l’œuvre. Le chercheur Florent Allemand a objectivé cette intuition en rapprochant l’œuvre de sa probable source d’inspiration : une gravure de Kitagawa Utamaro.

« Eon Hoshi » de Kitagawa Utamaro, vers 1802

« Eon Hoshi » de Kitagawa Utamaro, vers 1802

Date du document : 1802

L’ œuvre au Jardin des Plantes

En juillet 1910, les trois tirages sont attribués pour dépôt aux villes de Nantes, Castelnaudary et Mamers. Dans cette dernière, la sculpture est toujours exposée en extérieur.

La copie de « Premier Miroir » de Camille Alaphilippe au Jardin des Plantes

La copie de « Premier Miroir » de Camille Alaphilippe au Jardin des Plantes

Date du document : 19/09/2016

À Nantes, elle est installée au Jardin des Plantes dans la grotte. Elle a été remplacée à une date et pour des raisons inconnues par une copie. Cette copie s’étant détériorée, la Ville prévoit de faire expertiser la statue originale et d’envisager sa réinstallation en extérieur.

Aurélie De Decker
Direction du Patrimoine et de l’Archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2025



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En savoir plus

Bibliographie

Allemand Florent, « Femmes fleurs fatales et médiévales. Image féminine et recherche décorative dans l’œuvre de Camille Alaphilippe », Sculpture, techniques et matière industrielle, revue Sculptures, n°8, 2022, p. 125-131.

Allemand Florent, Camille Alaphilippe (Tours, 1874 – Alger ?, 1941?) Prix de Rome en 1898, parcours d’une sculpteur de l’Art Nouveau à l’Art déco, mémoire de recherche de l’Ecole du Louvre, 2020.

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Rédaction d'article :

Aurélie De Decker

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