Témoignage : La rue Maisdon-Pajot dans les années 1940
Pendant la guerre, le principal abri dans le quartier était situé dans la rue Maisdon-Pajot, en face de l’école maternelle actuelle. Une sorte de tunnel avait été creusé dans une ancienne carrière. On pouvait y accéder par la rue et par l’école de la Fraternité. Au milieu du tunnel, un entassement de pierres séparait la partie réservée aux Allemands, qui était la meilleure, de la partie attribuée aux habitants du quartier. Nous étions plus que serrés à l’intérieur et pas très rassurés. Après l’armistice de 40, les Allemands ont réquisitionné l’école de la Fraternité et ils ont construit une sorte de petit blockhaus doté d’une mitrailleuse au milieu de la place Zola. « Je suis née en 1938 dans la petite maison au bout de l’actuelle allée des Cormorans. Ma mère était de la rue de la Convention et mon père était de l’avenue de l’Ouest. Mes grands-parents paternels avaient acheté ce terrain entre la rue Maisdon-Pajot et la rue Edgard-Quinet sur lequel toute l’allée des Cormorans est aujourd’hui construite. Ils étaient originaires des alentours de Rennes et mon grand-père était venu à Nantes travailler à EDF. C’étaient quasiment les débuts de l’électricité. Il était chauffeur de chaudières c’est-à-dire qu’il les faisait chauffer. Comme il aimait beaucoup jardiner, il a acheté ce grand terrain. Il avait gardé ses habitudes rurales. Ensuite, mes parents ont construit une petite maison qui donnait sur la rue Maisdon-Pajot, en face de l’actuelle Ville-en-Brique. Tout le reste du terrain, c’était notre jardin. On avait des pommiers, de la vigne. Mon grand-père faisait du cidre qui était imbuvable mais il était content ! On était à la campagne. Nous étions six enfants et ce jardin était notre terrain de jeux. On pouvait grimper aux arbres, faire des cabanes… Mon grand-père avait installé des cabanes à lapins et notre grand jeu, c’était de les ouvrir et de courir après les lapins pour les rattraper. Mon père était ajusteur aux Chantiers de Bretagne où il a travaillé jusqu’à sa retraite et ma mère était à la maison. Comme nous étions six enfants, elle était bien occupée. Elle faisait les tricots, les robes elle-même. Mon père avait un salaire d’ouvrier mais on a toujours eu à manger. Il faisait son potager. Aucune maison n’avait l’eau courante. On allait chercher l’eau au puits rue Maisdon-Pajot. Pour faire la lessive, le dimanche soir, mon père avait inventé un appareil avec deux roues de vélos et un bac galvanisé qu’il allait remplir au puits. Ensuite, il le mettait devant la fenêtre de la cuisine qui se trouvait au ras du jardin car notre cuisine était au sous-sol. Comme ça, ma mère pouvait avoir de l’eau dans son évier avec un robinet. Le quartier était ouvrier. Quand on monte la rue Maisdon-Pajot, sur la droite, ce n’étaient que des petites maisons sans confort. Ce n’était pas la zone mais vraiment la pauvreté. La rue a été urbanisée progressivement. Une carrière s’étendait de la rue Landois jusqu’au niveau de l’école maternelle. Il n’y avait aucune maison, c’était un no man’s land incroyable. C’était en hauteur avec des buttes et des fourrés. On en voit encore une partie au-dessus des garages à l’angle de l’avenue Landois et de la rue Maisdon-Pajot. Deux grottes avaient été creusées dans la roche. Une clocharde vivait à l’intérieur avec ses deux enfants. L’hiver, elle faisait du feu pour se chauffer et avec ma sœur, on avait une de ces trouilles quand on rentrait le soir de l’école Saint-Clair à cause de la lueur du feu dans la nuit. Il y avait un côté effrayant et on se carapatait vite fait pour rentrer chez nous car nous étions obligés de passer devant. Quand mes grands-parents sont décédés, le terrain a été partagé entre leurs enfants. L’allée des Cormorans a été construite sur le jardin. Avec mon mari, nous avons habité la première maison à l’angle de la rue Edgard-Quinet pendant trente-deux ans. C’est la maison où l’on peut voir les mouettes en métal faites par mon mari qui est sculpteur. C’est moi qui ai dénommé l’allée. Au départ, je voulais l’appeler l’allée des Mouettes mais la Ville a refusé car ça pouvait prêter à confusion avec l’allée des Nouettes qui existait déjà. Après avoir racheté les parts des membres de ma famille, j’ai vendu l’ensemble du terrain par lots en 1998 et nous avons fait construire une maison neuve dans le fond en 2000.
Propos de Jacqueline Douillard recueillis par les Archives de Nantes et le groupe mémoire du quartier Dervallières - Zola en 2012 dans le cadre de la collection "Quartiers, à vos mémoires"