Les protestants Nantais et la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État
La loi de 1905 consacre à la fois la liberté de conscience, le libre exercice des cultes et l'indépendance de l'État vis-à-vis des Églises. Elle établit et définit alors la laïcité même si le mot n’est pas cité une seule fois dans la loi. Les protestants nantais en ont été d’actifs contributeurs.
La loi est le fruit d’un long processus qui trouve ses origines dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Son article 10 affirme que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses ». En 1802, Napoléon Bonaparte reconnaît dans le Concordat le pluralisme religieux, mais les Églises sont sous contrôle de l’État.
À la fin du 19e siècle, l’affaire Dreyfus exacerbe les tensions entre dreyfusards républicains et antidreyfusards catholiques, et favorise l’idée d'une séparation. La loi de 1901 sur la liberté d’association constitue une première étape. Le député et protestant Francis de Pressensé dépose, le 7 avril 1903, une première proposition de loi de séparation des Églises et de l’État. Une commission dirigée par le protestant Ferdinand Buisson, élabore un nouveau projet garantissant la liberté de culte et l’indépendance de l’État. Son rapporteur Aristide Briand, d’origine nantaise, est essentiellement entouré de conseillers protestants, dont des députés nantais. La loi est enfin votée le 9 décembre 1905.
Des protestants nantais engagés
Le premier d’entre eux, le pasteur Jean-Albert Dartigue-Peyron, exerce son ministère à Nantes. Dans un ouvrage déterminant, intitulé « Faut-il abolir le concordat » et publié en 1884, il plaide pour le principe de la séparation suivant en cela l’ecclésiologie protestante de Martin Luther estimant que l’État devait laisser à chacun la liberté de croire, « d’une manière ou d’une autre […], sans contraindre personne par la force ». Dartigue-Peyron, anticipant la rédaction finale de la loi, et opposé aux positions extrêmes anticléricales, porte au sein des réformés une voix prépondérante et rassurante dans le débat liminaire à la loi de 1905.
La seconde personnalité protestante se nomme Maurice Sibille (1847-1932). Cet homme politique nantais est élu député de Loire-Atlantique sans discontinuité pendant 43 ans. Il défend les intérêts de l’Église catholique et ceux des Églises protestantes face à l’anticléricalisme des cabinets de Waldeck-Rousseau et de Combes. Ainsi, lors de l’examen de l’article 2 du projet de la loi de séparation, Maurice Sibille estime que voter l’article tel qu’il figure dans le projet rendrait « vaines et illusoires les belles promesses, les garanties solennelles de l’article 1er » qui assure la liberté de conscience.
Portrait de Maurice Sibille
Date du document : Années 1920
Il dépose alors un amendement en faveur de la présence d’aumôniers dans tous les établissements où vivait une population s’y trouvant retenue, par la maladie, le service militaire ou l’internat. Son amendement est adopté de justesse par 287 voix contre 281. Et cet amendement, toujours inscrit dans le deuxième paragraphe de la loi, permet la diffusion d’émissions religieuses le dimanche sur les ondes du service public, France Culture et France 2. Maurice Sibille sera aussi soutenu par le député Gustave Roch, autre personnalité protestante et contributeur de la loi.
Des temples propriétés de l’Église réformée
La loi trouvera son application concrète à Nantes en la personne de Paul Bellamy, futur maire radical-socialiste de Nantes. En 1906, alors président du conseil presbytéral, il adresse un courrier au maire républicain modéré de Nantes, Paul-Émile Sarradin, afin de lui signifier que le temple de Nantes, qui nécessitait des travaux, devient « propriété à part entière du conseil presbytéral de l’Église réformée de Nantes ». Ce qui n’est pas pour déplaire au maire qui lui répond par la délibération prise le 18 janvier 1907 : « La commune ne saurait être tenue de payer la subvention votée par le conseil municipal dans ses séances des 2 août 1904 et 30 avril 1906 ». Paul Bellamy est élu quatre ans plus tard maire de Nantes et s’appliquera à faire respecter cette décision à la lettre. Le 24 mars suivant la réponse du maire Sarradin, le pasteur Dartigue-Peyron remet au consistoire un rapport empreint de clairvoyance : « La séparation, nous l’avons acceptée avec sagesse, parce que la loi est la loi. […] Les amis de nos Églises, et ils sont nombreux, s’évertuent à mettre de l’huile dans les rouages ; mais la machine promet de grincer quelques temps encore ».
Portrait de Paul Bellamy
Date du document : Début du 20e siècle
L’inventaire du temple à Nantes est effectué le 22 février 1906 sans incident alors que des émeutes éclatent à proximité des églises catholiques. Quant à Saint-Nazaire, l’inventaire s’effectue le même jour, le 22 février 1906, sans aucune difficulté, en présence du pasteur Corby de la Mission populaire évangélique. Le préfet actera que les temples de Nantes et de Saint-Nazaire sont propriétés du consistoire et non des deux communes. La loi de séparation a donc été très largement portée et approuvée par les protestants nantais.
Charles Nicol
2025
En savoir plus
Bibliographie
Luther, Martin, De l’autorité et des limites de l’obéissance qu’on lui doit, dans Œuvres, Genève, Labor et Fides, t. 4, 1958, p. 33.
Nicol, Charles, Les protestants et Nantes, une minorité au cœur d’une ville portuaire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2024, 301p.
Exposition « Les protestants et la loi de 1905 », temple de l’Église protestante unie de Nantes, Master 1 Histoire publique, Université de Nantes.
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Dossier : la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'État à Nantes
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Rédaction d'article :
Charles Nicol
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