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Jean-Baptiste Ceineray (1722-1811) Techniques innovantes dans le port de Nantes

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Œuvres nantaises de François Morellet


Originaire de la région Pays de Loire, François Morellet (Cholet, 1926-2016) était un artiste familier de Nantes : il eut deux expositions personnelles au musée d’arts en 1973 et 2007 et le musée ainsi que le FRAC (Fonds régional d’art contemporain) conservent des ensembles significatifs d’œuvres. Ainsi, naturellement, les instances officielles, ministère de la Culture, conseil régional, municipalité et privés ont fait appel à François Morellet pour intervenir dans, sur ou pour les bâtiments qu'ils ont construits ou rénovés : ce sont cinq commandes que nous pouvons découvrir dans l’espace public de Nantes.

Un art abstrait jouant avant avec l’espace, le mur et le temps

François Morellet pratique un art abstrait géométrique depuis les années 1950 dans lequel il aime introduire le hasard et l’humour. Utilisant des « systèmes » combinatoires avec des lignes et des courbes, qui obéissent à des « décisions mathématiques », l’artiste décline des nombres, par exemple, les décimales de Pi ou les chiffres d’un annuaire téléphonique. François Morellet réduit au minimum le sens de l’œuvre d’art jusqu’à frôler les frontières de l’absurde.

La toute première intégration architecturale de François Morellet dans l’espace public, en 1971, Trame 3°-87°-93°-183°, peinte en rouge sur fond bleu sur les murs de brique du plateau de La Reynie à Paris, face au chantier du Centre Georges Pompidou, marquera particulièrement les mémoires et sera les prémisses d’une règle à laquelle il n’a jamais dérogée : la géométrie, langage compréhensible par tous, et la discrétion.

Les rectangles en céramique de la rue Lekain

Pour sa première commande publique nantaise, en 1981, c’est un mur de la rue Lekain qui va recevoir deux rectangles superposés, l’un 0°, 90°, l’autre 5°, 95°. Jouant de la surface du mur, comme de celle d’un tableau, François Morellet fait réaliser en céramique industrielle deux grandes plages de couleur, l’une jaune, l’autre blanche. Le rectangle blanc recouvre en partie le jaune, mais étant incliné de 5°, il déborde vers la droite et au-delà de l’angle du mur, n’arrivant pas à tenir dans le cadre proposé initialement. L’artiste joue à la fois des couleurs et des trames créées par le réseau des joints entre les carreaux de faïence. Dans une interview accordée à l’historien d’art, Serge Lemoine, François Morellet souligne l’importance de ce type d’œuvre dans son parcours. En effet, en changeant d’échelle, en passant du tableau au mur, il indique : « pour moi, qui recherchais une impression d’"all-over", d’infini, c’était beaucoup plus satisfaisant qu’un petit carré aux limites arbitraires piqué sur un mur entre deux autres carrés ».

Les arcs de cercle de la Médiathèque Jacques Demy

C'est à la même époque, que la Ville de Nantes commande pour le parvis de la Médiathèque, inaugurée le 1er octobre 1985, une fontaine à Morellet. Celui-ci va utiliser la pente naturelle et le site pour créer dans un coin un cône de pavés sur lequel s'écoule l'eau, qui disparaît dans le sol et rejaillit au-delà des 385 arcs de cercle concentriques, disposés en gradins descendants. L’eau semble alors disparaître dans la Loire. La très grande discrétion de cette œuvre est conforme aux souhaits de l’artiste qui n’entend pas imposer à ses concitoyens son ego et tout le pathos qui l’accompagne, mais seulement « chatouiller » l’espace qui lui est confié. En utilisant un matériau familier et traditionnel, le pavé, Morellet se transforme en artiste-cantonnier, jouant à souligner les caractéristiques du lieu. Les arcs de cercle concentriques reprennent la forme des ronds dans l’eau, créés par le jet d’une pierre ou d’un pavé. Ainsi, c’est avec humour que l’artiste joue avec le thème de l’eau et de la fontaine publique.

Le portail de l’hôtel de région

Au milieu des années 1980, la plupart des nouveaux Conseils régionaux va s’installer dans des bâtiments pour lesquels ils commandent des œuvres publiques. Pour la Région Pays de Loire, c’est un immeuble neuf, situé sur l’Île de Nantes, au bord de la Loire, au bout de l’estuaire et tourné vers l’arrière-pays, qui fut imaginé par les architectes, Ménard, Thibault, Soulard et le cabinet 3A. Pour signaler ce nouvel édifice public, François Morellet a conçu une sculpture extérieure, Portail 0°-90°, portail 8°-98°, en reprenant l’axe de la Loire et celui de l’avenue qui mène au bâtiment. De couleurs bleue et grise à l’origine, qui deviennent bleues et noires après réfection, deux grilles, composées de carrés, échos à la structure des fenêtres de l’architecture, s’enchevêtrent. Elles sont ouvertes en leur centre pour signifier l’entrée du bâtiment. Laissant le regard se perdre au-delà de la sculpture elle-même, les deux « portails » sont une invitation d’une part à rentrer dans l’hôtel de région, d’autre part à la découverte de la région Pays de Loire, ainsi que le souligne Morellet : « Ces deux portiques ont des positions très différentes : le premier perpendiculaire au bâtiment est droit et solennel, le second traverse en biais le premier et semble s’enfoncer dans la vase de la Loire comme le font tant d’immeubles anciens nantais. »

L’angle DRAC

Loin de s’intégrer à l’architecture, les propositions de François Morellet répondent aux volumes et cherchent plutôt à « trouver un autre rythme que celui de l’architecture et jouer avec l’interférence de ces deux rythmes. […] Je vois ces interventions réalisées après la construction architecturale, c’est-à-dire absolument pas intégrées dans la construction ». Pour le bâtiment de la Direction régionale des affaires culturelles à Nantes, Morellet conçoit, en 1987-1988, un néon rouge – élément qu’il utilise dans son travail depuis 1963 –, L’angle DRAC, qui le transperce littéralement. Afin de souligner le caractère déstabilisateur de son intervention, l’artiste a souhaité que les deux lignes de néon rouge clignotent deux fois par jour durant une minute au moment où, comme un gigantesque réveil, l’heure correspond aux « deux aiguilles » : ainsi à 9h35 et 18h50, le bâtiment est pris de tressautements rappelant un fou rire.  Œuvre joyeuse et imprévue, L’angle DRAC est un exemple de l’humour de l’artiste et de son rapport toujours méfiant et critique face à l’Art avec un grand A et à son administration.

Les néons d’Harmonie Atlantique

Enfin en 2010, le Voyage à Nantes est sollicité par Harmonie Mutuelle pour réaliser une œuvre dans le cadre de la rénovation du bâtiment Harmonie Atlantique, situé en bord de Loire sur l'île de Nantes. François Morellet imagine alors l’œuvre De temps en temps, un « indicateur météorologique » qui s’étend sur toutes les façades. L'artiste réalise une œuvre sans cesse changeante qui évite la vision lassante d’une proposition artistique immuable. Chaque jour, en fonction de la météo, au travers de trois types de néons colorés, la façade laisse apparaître un soleil (cercle rouge fragmenté), la pluie (tirets bleus) ou des nuages (arcs de cercle blancs), éventualité qui plaît le plus à l’artiste car ce sera sans doute le temps nantais le plus prévisible !

« Ah, enfin je fais quelque chose qui sera utile ! Ce qui importe aux gens qui partent travailler, le matin, c'est la météo de la mi-journée. De temps en temps, c'est une installation qui indiquera le temps qu'il va faire dans un délai de quatre heures. C'est à la fois précis et ironique. »

Blandine Chavanne
2022



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Peintre Peinture, art graphique Sculpteur

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Blandine Chavanne

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