Jean Guichard (1924-2017)
La vie de Jean Guichard est celle d’un homme passionné par le théâtre, dont le parcours se confond avec l’histoire de la décentralisation du théâtre dans la région.
Les débuts d’une carrière de comédien à Nantes
En 1948, Jean Guichard prend à Nantes la direction artistique de la Baraque à Théâtre, groupe constitué de plusieurs élèves du conservatoire de la ville.
En 1956, l’activité importante de la compagnie attire l’attention du ministère des Affaires culturelles : Jean Guichard entend à la radio l’émission La voix des auteurs de Roger Ferdinand. Un appel est lancé aux jeunes compagnies : « Si elles montent une œuvre d’un grand auteur, qu’elles m’écrivent. Pierre-Aimé Touchard, Inspecteur général des spectacles au Ministère, prendra contact avec elles. » Il écrit immédiatement à l’inspecteur général pour l’inviter à venir voir L’Avare. Une semaine plus tard, Pierre-Aimé Touchard est là. Jean Guichard l’emmène à la Chapelle-Heulin. La salle est archi-comble. C’est ce soir-là que son sort s’est décidé : il devient comédien professionnel. En 1958, la Compagnie Jean Guichard touche sa première subvention de la part du ministère.
En 1959, à la demande du maire de la Baule, il crée au Parc des Dryades le Festival de la Baule. Les créations de sa compagnie (œuvres de Shakespeare, Molière, Musset, Pirandello, etc.) rassemblent chaque été plus de mille personnes à chaque représentation. À partir de 1972, le Festival continue sous chapiteau, et permet d’accueillir, en plus de ses mises en scène, une cinquantaine d’artistes : Raymond Devos, Paco Ibañez, Guy Béart, Mikis Theodorakis, Rufus, Le Red Buddha Théâtre, etc.
1960 : la labellisation « Compagnie permanente nationale »
En 1960, le ministre des Affaires culturelles André Malraux attribue à la Compagnie Jean Guichard le label « Compagnie permanente nationale », sous le nom de Comédie de Nantes. C’est une reconnaissance nationale qui s’accompagne d’un cahier des charges de décentralisation, assorti de financements du ministère des Affaires culturelles et de la Ville de Nantes. La compagnie se produit au Théâtre Graslin, à la salle Colbert (actuellement Francine Vasse) et en tournée sur la région grand ouest.
En 1963, le ministère prend contact avec le maire de Nantes, Henri Orrion pour l’installation d’une Maison de la Culture d’État. Dans le cadre du projet de décentralisation culturelle engagé par André Malraux, ces établissements implantés en région, sous l’égide de l’État, avaient pour objectif de rendre la culture accessible au plus grand nombre. Le terrain est choisi, quai de la Fosse, à l’emplacement de l’actuelle médiathèque Jacques Demy.
En 1965, suite aux élections municipales, un désaccord important entre l’équipe d’André Malraux, représentée par Émile Biasini, et la nouvelle municipalité d’André Morice oblige le ministère à renoncer au projet de Maison de la Culture au bout d’un an de négociations. Au cours de sa dernière visite, Émile BIasini a déclaré à la municipalité de Nantes : « Puisque vous n’avez pas tenu la promesse que vous m’avez faite, je vous déclare que tant que j’aurai une influence au ministère de la Culture, jamais il n’y aura de Maison de la Culture d’État ni Centre dramatique national à Nantes ».
Le Ministère demande à Jean Guichard et à son équipe de quitter Nantes, lui promettant d’être toujours à ses côtés. Le départ de Nantes a lieu fin 1966. Dans l’attente du nouveau siège social, la compagnie est accueillie par la municipalité de La Baule sous le nom de Compagnie Jean Guichard.
1970 : le chapiteau
Le 3 février 1968, Jean Guichard est à l’inauguration de la Maison de la Culture de Grenoble. Il discute avec l'administrateur de la Comédie de Saint-Étienne – dont le directeur est Jean Dasté – qui lui conseille de demander un chapiteau au ministère. N’ayant pas de théâtre attitré pour sa compagnie, Jean Guichard souhaite une scène intéressante pour bâtir quelque chose de nouveau lui permettant de développer une action culturelle dans une commune pendant un mois, pour ne pas être qu'une tournée théâtrale qui passe.
Le ministère des Affaires culturelles finance ce projet de chapiteau qui prend la forme d’un espace modulable : quatre mâts au carré, les piquets à l’extérieur de façon à avoir un maximum de visibilité et une liberté d’installation des gradins. Un camion semi-remorque est bâché, les portants se déplient et forment la scène. Un deuxième fermé se transforme en loges. La bâche du chapiteau est en vraie toile pour assurer les meilleures qualités acoustiques. Le succès de cette action (Blois, La Flèche, La Baule etc.) initiera la création de plusieurs théâtres dans la région.
1972 : le Théâtre des Pays de la Loire – Centre Dramatique National à Angers
En 1968, Jean Guichard et sa compagnie sont accueillis par la municipalité d’Angers et le conseil général du Maine-et-Loire sous le nom de Théâtre des Pays de la Loire.
Le choix de ce nom s’explique par un échange que Jean Guichard a eu quelques mois auparavant avec le préfet Christian Lobut qui lui a donné ce conseil : « Ayez le nom d’une région et non d’une ville. Si une ville vous pose des ennuis, une autre ville sera toujours là pour vous accueillir, et vous garderez le même nom ».
Le ministère est fidèle à ses engagements : il décide de lui confier la création du Centre Dramatique National à Angers. C’est l’aboutissement d’un rêve : être choisi pour devenir l’un des douze centres dramatiques nationaux répartis sur le territoire, installés, en principe, dans les métropoles. La compagnie prend le statut de société coopérative ouvrière (SCOP).
Le ministre des Affaires culturelles Jacques Duhamel instaure pour la première fois les contrats triennaux pour le fonctionnement des centres dramatiques nationaux. Avec des subventions plus importantes, Jean Guichard développe un travail d’animation et de création avec un collectif de comédiens.
En 1974, Élisabeth de Quenetain, présidente des Syndicats d’initiative du département de la Mayenne, Gilles Allard, directeur du Comité du Tourisme et Jean Guichard souhaitent créer, grâce au théâtre, une animation dans les demeures, châteaux, places de village, cours de fermes, pour mettre en valeur le patrimoine architectural mayennais. C’est ainsi que sont créées les Nuits de la Mayenne, un festival d’été dont le but est de favoriser le rapprochement entre citadins et ruraux, touristes et résidents.
1985 : le Théâtre Régional des Pays de la Loire
En 1985, le Théâtre des Pays de la Loire cesse son activité de centre dramatique national. À la demande d’Olivier Guichard (sans lien de parenté), président du Conseil régional, la Région des Pays de la Loire devient partie prenante de la structure. Il déclare : « Nous avons voulu donner à Jean Guichard les moyens de poursuivre son importante activité théâtrale, notamment dans les villes petites et moyennes et dans les zones rurales, avec une programmation adaptée a un public qui est encore peu sensibilisé au théâtre, et avec une présence en milieu scolaire. Cette compagnie mène depuis quinze ans une importante action de décentralisation sur l’ensemble de la Région, appréciée du public et des collectivités locales. Elle est la seule à pouvoir assurer ce service ». Les cinq départements (Loire Atlantique, Maine et Loire, Mayenne, Sarthe et Vendée) adhèrent au projet et aident au financement. Le Théâtre des Pays de la Loire devient Théâtre Régional des Pays de la Loire. Administrativement, c’est la même SCOP qui continue.
Fin 1990, Jean Guichard passe le relais du Théâtre Régional des Pays de la Loire à Patrick Pelloquet, le nouveau directeur de la compagnie.
1992 : la création des Rencontres Imaginaires
À 68 ans, Jean Guichard retrouve son appétence pour l’écriture et l’envie de créer des spectacles, de mettre en contact le public avec des lieux exceptionnels. Il souhaite faire « revivre l’âme des pierres » des monuments historiques. Il crée les Rencontres Imaginaires avec la complicité de Beate Althenn dont il vient de faire la connaissance. Elle aime les textes, s’intéresse à l’histoire des religions.
Le public est invité à pénétrer dans un monde imaginaire, avec la confrontation de personnages historiques, symboliques et contemporains, tout en faisant preuve d’un respect pour l’exactitude historique, afin de ne pas trahir le monument. Ces créations cherchent à traduire les émotions ressenties, qui proviennent de la façon dont les lieux sont architecturés. Faire revivre les personnages qui ont habité ces lieux, les faire dialoguer, voire s’affronter, rendre l’intensité de leur réflexion palpable, comme si le temps se contractait. Des comédiennes et comédiens surgissent des pierres, nous parlent. Les spectacles ont lieu dans les cinq départements de la région.
De 1992 à 2015, onze créations ponctueront la fin de sa carrière. Nieul-sur-l’Autise en Vendée accueille le premier spectacle en 1992 et sa dernière création sur Aliénor d’Aquitaine en 2015. L’édition de Fontevraud durera treize saisons. Sans oublier Maillezais, la forêt de Grasla, Fontenay-le-Comte, les Sables-d’Olonne en Vendée ; Nyoiseau, Le Coudray-Macouard, Saint Georges-sur-Loire dans le Maine-et-Loire ; L’Épau dans la Sarthe ; Saint Philbert-de-Grandlieu en Loire-Atlantique ; Clairmont et La Roë en Mayenne.
En 2015, à 91 ans, son dernier texte, sa dernière mise en scène sera Dans les pas d’Aliénor, à l’Abbaye de Nieul-sur-l’Autise.
En 2016, il ne peut plus jouer, ni faire de mise en scène. Il n’a plus de motivation : je lui propose que nous fassions le livre (qui lui avait été demandé il y a une dizaine d’années) ensemble. Aussitôt nous commençons à trier photos, dossier, articles : il a tout gardé depuis 1948. Chaque jour, il dicte des notes, des pensées. Sa mémoire est intacte. Nous travaillons avec un ami, Philippe Leduc, graphiste. Il est heureux de voir son histoire prendre forme. Jusqu’au 17 mai 2017, date de son décès. J’ai repris ses notes fin 2020 et avec Philippe nous avons terminé le livre à l’été 2022.
Les Rencontres Imaginaires dureront jusqu’en 2020. Les Nuits de la Mayenne et le Centre Dramatique National persistent toujours. Le Théâtre Régional des Pays de la Loire a accueilli un nouveau directeur Camille de La Guillonnière en 2021.
Annie Guichard
2022
Album « Jean Guichard »
En savoir plus
Bibliographie
Guichard Jean, Guichard Annie, 70 ans de théâtre sans relâche !, Édition Annie Guichard, 2022
Guichard Jean, Althenn Beate, Les Rencontres Imaginaires: mémoires d’abbayes en Pays de la Loire, Éditions Siloë, 2001
Guichard Jean, Althenn Beate, Promenades contées, Éditions Siloë, 2003
Guichard Jean, Les Nouvelles Rencontres Imaginaires, Éditions Siloë, 2011
Guichard Jean, Les Nouvelles Rencontres Imaginaires, volume 2, Éditions Siloë, 2011
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Rédaction d'article :
Annie Guichard
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