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Novembre-décembre 1910 : inondations à Nantes


La fin de l’année 1910 reste dans la mémoire des Nantais comme un des plus grands traumatismes causés par une crue de la Loire et de ses affluents. Au pont transbordeur, la Loire atteint une hauteur d’eau maximale de 6 mètres 72.

Inondations de décembre 1910, quai de la Fosse

Inondations de décembre 1910, quai de la Fosse

Date du document : décembre 1910

La crue débute au mois de novembre. Elle résulte des pluies torrentielles qui ont touché la France durant l’automne. Tandis que l’eau gagne les rues de Nantes et que les premiers appontements sont installés, certaines familles sont contraintes de fuir leur habitation inondée. Le système de défense contre les crues formé par la levée de la Divatte et les digues de Montjean et d’Embreuil est particulièrement surveillé par les ingénieurs des Ponts et Chaussées qui redoutent leur rupture. Une telle catastrophe inonderait les campagnes alentours.

Une situation chaotique qui dure

À la fin du mois de novembre, la situation inquiète les autorités qui constatent la gravité de la situation en amont. Les quais de Richebourg et Malakoff sont recouverts par les eaux qui ont également fait leur apparition dans le secteur du quai Brancas, de Feydeau ou encore du quai de la Fosse. Le service du pont transbordeur est suspendu, un bac est chargé de faire la liaison entre les deux rives. Le tramway ne peut plus circuler normalement dans les rues : il est contraint de modifier ou interrompre son parcours. En outre, la circulation des trains entre Angers et Nantes est suspendue dans la nuit du 1er au 2 décembre.

Inondations de décembre 1910, quai de la Tremperie

Inondations de décembre 1910, quai de la Tremperie

Date du document : décembre 1910

L’aggravation subite de la crue au début du mois de décembre surprend tout le monde, et en premier lieu les autorités municipales qui s’affairent à installer des appontements partout en ville. Cela fait maintenant un mois que la pluie tombe en continue, ne laissant aucun répit aux Nantais qui observent avec angoisse l’eau montée jour après jour. Dans les cours des immeubles, l’eau peut atteindre 1 mètre. Les quais du port sont peu à peu envahis, entraînant l’arrêt du chargement et du déchargement des marchandises. La situation est particulièrement critique dans les 4e (actuels Madeleine, Île de Nantes, Nantes Sud) et 6e cantons (actuels quais de la Fosse et d’Aiguillon, Dobré, Mellinet). À certains endroits, l’eau atteint une profondeur de 1 mètre 50, et les infrastructures de transport manquent aux habitants. Dans une zone comprise entre la gare de l’État, Pirmil, Pont-Rousseau et Rezé, on ne distingue plus que les toits des maisons.

La rupture des digues

Malgré toutes les précautions prises par les Ponts et Chaussées, les digue de Montjean et de la Divatte se rompent les 2 et 3 décembre. La vallée située entre Haute-Goulaine, le Loroux-Bottereau et la Chapelle-Basse-Mer est submergée : il y a 2 à 3 mètres d’eau à certains endroits. Si aucune victime humaine n’est à déplorer, de nombreuses familles perdent leur maison, leurs biens mais aussi leurs troupeaux d’animaux, noyés. La rupture des digues a pour conséquence de faire baisser d’une vingtaine de centimètres la Loire. Mais le 4 décembre, la situation s’empire aux environs de Nantes avec la rupture de la digue d’Embreuil. La baisse de la crue provoquée par la rupture des digues est cependant de couverte durée. Déjà, l’eau remonte, obligeant la municipalité à réinstaller des appontements dans des rues où l’eau s’était retirée.

Dans la semaine du 5 au 11 décembre, les prévisions sont plutôt optimistes : la Loire commence à baisser en amont. Le pont transbordeur reprend du service : les travailleurs sont autorisés à emprunter le tablier supérieur moyennant un paiement de 0,05 francs tandis que le tarif normal reste appliqué pour les touristes et les promeneurs. Toutefois, l’Erdre ne suit pas le rythme de la Loire, la rivière monte toujours.

Cette accalmie est de nouveau rompue la semaine suivante. Tandis que le Service d’hygiène de la municipalité avait débuté les travaux de nettoyage des résidences inondées, les Nantais assistent à une nouvelle montée de la Loire et de l’Erdre. De nouveau, l’eau s’engouffre dans les rues nantaises et les autorités sont forcées d’installer des appontements. La décrue n’est pleinement engagée qu’à la fin du mois de décembre. Signe de cette amélioration, le 30 décembre, Le Phare évoque les bateliers de l’Erdre ayant repris leur activité après plusieurs semaines d’immobilisation : « Toute la journée aujourd’hui, par suite de la baisse continuelle des eaux, ce fut dans les écluses, un long défilé de gabarres qui rendit au quartier son ancienne physionomie. »

Inondations de décembre 1910, rue des Olivettes

Inondations de décembre 1910, rue des Olivettes

Date du document : décembre 1910

Au final, cette nouvelle crue révèle la nécessité pour les autorités de procéder à des travaux sur la Loire, comme le préconisait l’ingénieur des Ponts et Chaussées Médéric-Clément Lechalas 40 ans plus tôt. Ce constat joue dans la décision de l’État de procéder au comblement de la Loire à Nantes et qui montrera en partie son efficacité lors de la crue de 1936.

Une économie sinistrée

Dès le début de la crue, la hausse du niveau de la Loire et de ses affluents perturbe l’industrie et le fonctionnement du port. À la mi-novembre, les bateaux ne peuvent plus accoster au ponton de Roche-Maurice ou au niveau de l’embarcadère de la rue Crucy, limitant le transport de marchandises entre Nantes et Saint-Nazaire. Les réceptionnaires de marchandises sont invités à venir chercher leurs marchandises sur les quais avant que l’eau ne monte.

Les industries nantaises subissent aussi une à une les conséquences des inondations. Contraintes de stopper leur activité, elles licencient une partie, voire la totalité de leur personnel, provoquant une crise majeure pour la classe ouvrière. Parmi les entreprises sinistrées figurent les Houilles agglomérées, les chantiers de Chantenay et de la Prairie-au-Duc, les tanneries de la rue Dos-d’Âne, Lefèvre-Utile, Brissonneau-Lotz ou encore la savonnerie Biette. Au total, se sont entre 6000 et 7000 chômeurs qui subissent les conséquences de ces inondations.

Inondations de décembre 1910, quai Magellan

Inondations de décembre 1910, quai Magellan

Date du document : décembre 1910

L’industrie n’est pas le seul secteur économique à souffrir de la crue. Dans les quartiers nantais, nombreux sont les boutiques et cafés qui doivent cesser leur activité. Certains tentent de résister à l’assaut des eaux, à l’image du café Maurice, rue Thurot, qui installe des appontements pour permettre à ses habitués d’atteindre le comptoir.

L’aide publique

Dès la mi-novembre, la municipalité s’investit pour venir en aide aux sinistrés. Des hébergements d’urgence sont proposés aux familles dans le besoin à l’école Sainte-Anne, à l’ancien établissement Livet ou encore à l’ancien séminaire route de Paris. Au final, pas moins de 521 personnes sont logées dans les établissements prévus à cet effet par la municipalité et grâce au concours de certains propriétaires privés. Les autorités publiques se montrent aussi présentes sur le terrain. Ainsi, Paul Bellamy (premier adjoint du maire de Nantes), Gabriel Guist’hau (maire de Nantes alors nommé sous-secrétaire d’État à la Marine) ou encore Louis Puech (ministre de Travaux publics) se rendent sur les lieux sinistrés pour constater les dégâts et apporter leur soutien aux victimes. En outre, l’État et les collectivité parlementent pour verser des fonds afin de venir en aide aux victimes de Loire-Inférieure. À la mi-décembre, le gouvernement avait déjà versé 134 000 francs pour le département.

Inondations de décembre 1910, quai Magellan

Inondations de décembre 1910, quai Magellan

Date du document : décembre 1910

Parmi les acteurs municipaux œuvrant au secours des victimes figure le bureau de bienfaisance. Il organise des permanences de jour comme de nuit pour donner des renseignements, distribue des vivres, du charbon et des fourneaux et propose des solutions d’hébergement. Les restaurants municipaux publics restent quant à eux ouverts le dimanche.

Une population solidaire

Aux côtés des pouvoirs publics, les organismes caritatifs et les habitants eux-même font preuve d’un esprit de solidarité à toute épreuve. Les Dames de Charité et l’Union des Femmes de France de la Croix-Rouge s’organisent pour héberger les sinistrés dans des endroits chauffés et pour leur offrir des secours en nature. Des distributions de soupes et des appels au don (notamment de vêtements et de linge) sont lancés. Les cuisines de l’Hôtel-Dieu proposent des repas gratuits. Le 14 décembre, l’Union des Femmes de France comptabilisent 34 000 soupes et rations distribuées dans ses dispensaires depuis le début de la crise. Dans les campagnes fortement éprouvées par la rupture des digues, la solidarité s’organise tout autant qu’en ville. Des vivres ainsi que du grain pour les animaux sont offerts aux familles paysannes sinistrées.

En dehors des organismes de bienfaisance, l’entraide est de mise entre les Nantais. Un grand nombre de victimes de la crue est logé par leurs voisins ou leurs proches. Preuve de ce dévouement, dans Le Phare de la Loire du 9 décembre, un lecteur se propose pour héberger deux petites filles victimes des inondations et encourage les autres personnes en capacité de faire de même à suivre sa démarche. Dans les quartiers les plus sinistrés, bloquées dans les étages des immeubles, des familles entières n’ont pas la possibilité de sortir acheter de quoi manger. Des personnes se portent alors volontaires pour les ravitailler. Toutefois, certains Nantais dans le besoin connaissent la faim, les ravitaillement se faisant parfois trop lentement.

Des souscriptions et des événements caritatifs sont également organisés pour récolter des fonds et des biens en nature. Enfin, des mesures exceptionnelles sont prises par la municipalité pour permettre à l’ensemble des chômeurs de recevoir une aide financière, y compris ceux ne faisant pas partie des syndicats et des sociétés de secours mutuel. Les ouvriers bénéficient également de secours en nature, comme c’est le cas pour les salariés des usines de Chantenay, particulièrement touchés par le chômage.

Noémie Boulay
Direction du patrimoine et de l’archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2021



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Rédaction d'article :

Noémie Boulay

Témoignage :

Le Phare de la Loire

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